Comment la région bruxelloise veut miser sur le Brexit pour inciter les diffuseurs britanniques à s’installer dans la capitale

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Secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur, Cécile Jodogne mise sur le Brexit pour inciter les diffuseurs britanniques à ouvrir une antenne à Bruxelles. Cette initiative s’inscrit dans son projet de cité des médias qu’elle veut également construire en Région bruxelloise.

Cécile Jodogne a la bougeotte. Il faut dire que son titre de secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur ne lui donne guère le choix. A peine revenue d’un périple au Mexique avec la princesse Astrid, la mandataire du parti Défi s’apprête déjà à repartir au Sénégal pour la dernière mission économique de la législature. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, elle défendra à nouveau l’économie bruxelloise et sensibilisera ses interlocuteurs à la responsabilité sociétale des entreprises – une thématique qui lui tient à coeur – sur un continent qu’elle n’a jamais cessé de privilégier vu le lien francophone qui l’unit à la Belgique.

” J’effectue en moyenne 12 missions économiques par an et, généralement, la moitié de ces voyages s’effectue hors Europe, détaille Cécile Jodogne qui a pris ses fonctions de secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur en juillet 2014. Si je calcule bien, j’ai dû faire une cinquantaine de missions au cours de mon mandat et 11 d’entre elles étaient des missions princières. Avant d’occuper ce poste, je n’avais pas vraiment d’a priori sur ce type d’expéditions, mais j’étais malgré tout convaincue qu’elles devaient être riches en rencontres et en expériences. Cela ne s’est pas démenti au fil de mes voyages : les missions économiques facilitent effectivement les échanges et ouvrent des portes à nos entreprises, surtout lorsqu’un membre de la famille royale est présent. A ce sujet, les échos des participants ont toujours été très positifs. ”

Relocaliser pour durer

Juste avant la mission économique princière au Mexique en février, Cécile Jodogne s’était rapidement rendue à Londres pour positionner une fois de plus Bruxelles dans le grand débat qui fait rage outre-Manche. Confrontées au problème du Brexit, plusieurs sociétés britanniques doivent en effet déménager une partie de leurs activités si elles veulent conserver certains avantages européens. La secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur y mène donc une opération de séduction depuis quelques mois déjà.

J’ai fait de la responsabilité sociétale des entreprises le fil rouge de ma politique en Commerce extérieur.” Cécile Jodogne

Certes, le Royaume-Uni n’a toujours pas tranché entre un Brexit ” dur ” théoriquement fixé au 29 mars prochain et un Brexit adouci par un accord concerté avec l’Union européenne, mais quelle que soit l’issue des débats parlementaires, le divorce est inéluctable et bon nombre d’entreprises britanniques tentent déjà de se positionner. Ainsi, pour préserver leurs droits de diffusion sur l’ensemble du territoire européen, les chaînes de télévision qui émettent aujourd’hui depuis le Royaume-Uni doivent, par exemple, obtenir une licence dans l’un des 27 Etats membres et donc y installer un siège social avec du personnel.

” Ce n’est pas une mince affaire, commente Cécile Jodogne. Aujourd’hui, le Royaume-Uni héberge sur son sol 1.400 des 4.600 chaînes de télévision et de vidéos à la demande qui diffusent dans l’Union européenne. La grosse majorité de ces 1.400 diffuseurs s’adresse à un public qui dépasse les frontières du Royaume-Uni. S’ils veulent continuer à toucher leur audience, ils doivent donc relocaliser une partie de leurs activités dans un des pays de l’Union. La Belgique et Bruxelles en particulier peuvent jouer ce rôle de relais de diffusion car notre capitale présente une série d’atouts non négligeables. ”

Cécile Jodogne, secrétaire d'Etat bruxelloise au Commerce extérieur
Cécile Jodogne, secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur” Je considère l’accueil des diffuseurs britanniques sur notre territoire comme une vraie plus-value pour l’écosystème bruxellois. “© pg

Opération de charme

Le 13 février dernier, la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur a donc repris son bâton de pèlerin pour vendre Bruxelles aux représentants d’une quarantaine de diffuseurs britanniques venus l’écouter à Londres, dans les salons de l’ambassade de Belgique. Proximité géographique, accessibilité rapide, cadre de vie multiculturel favorable aux expatriés, faible coût de l’immobilier, qualité des soins et de l’enseignement, etc. : Cécile Jodogne a dressé le portrait idéal d’une capitale belge qui se veut concurrentielle par rapport à d’autres candidates comme Paris, Luxembourg ou encore Amsterdam.

Confiante, la secrétaire d’Etat surfait tranquillement sur un vent favorable qui s’était levé quelques jours plus tôt au sommet de Davos. Lors du dernier Forum économique mondial, le directeur général de la vénérable BBC avait en effet confié au Premier ministre Charles Michel son souhait d’établir prochainement à Bruxelles le siège de ses activités internationales, même si d’autres pays comme l’Irlande et les Pays-Bas sont également sur la liste. Bien sûr, rien n’est fait et Cécile Jodogne préfère d’ailleurs renvoyer la patate chaude au journal britannique The Guardian qui a révélé l’information, mais il n’empêche : ce genre de publicité renforce la détermination de la femme politique dans son désir d’attirer un maximum d’acteurs britanniques des médias sur le sol bruxellois.

” Les projecteurs se braquent seulement sur cette thématique depuis que l’on parle d’une éventuelle arrivée de la BBC à Bruxelles, s’étonne Cécile Jodogne, mais en ce qui nous concerne, nous avons déjà démarré nos actions en 2016, juste après le référendum où les Britanniques ont exprimé leur souhait de sortir de l’Union européenne. A mes yeux, le Brexit est une catastrophe pour l’Europe et pour la Belgique, bien sûr, mais il faut savoir aussi saisir les opportunités qui se présentent. J’ai donc décidé de cibler trois secteurs économiques particulièrement sensibles au Brexit, à savoir les fintechs, les sciences du vivant et l’audiovisuel en proposant Bruxelles comme une alternative crédible et complémentaire à Londres. Je considère d’ailleurs l’accueil des diffuseurs britanniques sur notre territoire comme une vraie plus-value pour l’écosystème bruxellois. ”

Media park Le projet de cité des médias porté par la Région bruxelloise.
Media park Le projet de cité des médias porté par la Région bruxelloise.© sau

Nourrir la cité des médias

Portée par une campagne de promotion B to B intitulée The future is close, Brussels is yours ( Le futur est proche, Bruxelles est à vous), cette vaste opération de séduction à l’égard des chaînes établies au Royaume-Uni s’inscrit également dans le souhait de Cécile Jodogne de construire une cité des médias à Bruxelles. Ce projet baptisé Media Park est prévu sur une vingtaine d’hectares dans la commune de Schaerbeek et s’apprête à abriter notamment les futurs sièges de la RTBF et de la VRT, théoriquement en 2021. Dans la foulée, d’autres acteurs des médias bruxellois, comme la chaîne de télévision BX1, le cluster Screen Brussels ou encore des écoles de cinéma et de journalisme, devraient également rejoindre le site qui sera normalement finalisé à l’horizon 2030.

Lors d’une précédente mission économique princière en Corée du Sud en 2017, la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur avait d’ailleurs défendu son projet et même signé un partenariat avec la Seoul Business Agency, histoire d’accélérer le développement du Media Park à Schaerbeek. La capitale sud-coréenne renferme en effet une Digital Media City de 57 hectares – qui concentre près de 500 entreprises actives dans les médias, les télécoms et le divertissement – et l’accord signé en Corée du Sud prévoit un échange d’idées et de savoir-faire entre les deux métropoles, notamment en matière d’investissement économique et de développement technologique.

La venue d’acteurs étrangers et en particulier britanniques pourrait donc donner davantage d’ampleur au projet.

Le revers de la médaille

Signe que le Brexit a déjà enclenché un processus d’adaptation chez certaines compagnies du Royaume-Uni, la Région bruxelloise compte de plus en plus d’entités légales créées par des sociétés britanniques sur son sol. ” Sur les 36 derniers mois, le nombre d’entreprises britanniques qui se sont établies à Bruxelles a doublé par rapport aux 36 mois précédents, précise Cécile Jodogne. C’est l’une des conséquences positives du Brexit qui ne doit cependant pas faire oublier d’autres aspects moins réjouissants. ”

C’est en effet le revers de la médaille : une étude de la KU Leuven sur l’impact d’un Brexit dur en Région bruxelloise évalue à 4.000 le nombre d’emplois sacrifiés sur l’autel d’une sortie non négociée de l’Union européenne. Aujourd’hui, près de 700 entreprises bruxelloises – tous secteurs confondus – exportent vers le Royaume-Uni, représentant quelque 55.000 postes de travail dans la capitale. Le rétablissement des droits de douane gonflés de lourdeurs administratives rendra ces sociétés moins compétitives sur le marché britannique, ce qui leur coûtera des emplois. Pour pallier ce risque, Hub Brussels – l’agence bruxelloise pour l’accompagnement des entreprises – a donc prévu une série de séminaires, histoire d’aider les patrons des grandes sociétés et des PME à mieux affronter le Brexit et, surtout, à se diversifier.

Pour un entrepreneuriat durable

Bien décidée à faire de Bruxelles le nouveau relais des diffuseurs britanniques, Cécile Jodogne n’en oublie pas pour autant l’autre thématique qui l’anime dans son combat de femme politique : la responsabilité sociétale des entreprises qui se décline non seulement dans l’attention particulière qu’elle porte aux droits humains – notamment dans les questions d’égalité de genre – mais aussi dans la promotion du développement durable et de l’écoconstruction.

” J’ai fait de la responsabilité sociétale des entreprises le fil rouge de ma politique en Commerce extérieur, confirme Cécile Jodogne. Chaque fois que c’est possible, j’insère ce volet lors des missions économiques et c’est aussi ce qui a fondé mes décisions d’annuler certains voyages dans des pays où les droits humains sont bafoués par les gouvernements en place, comme les Philippines ou le Myanmar. Je suis également très sensible à l’écoconstruction et je mets régulièrement en avant le savoir-faire de la Région bruxelloise en la matière. On ne le sait pas assez mais Bruxelles est une ville qui peut prétendre à être visitée comme étant exemplaire dans les solutions durables. Elle compte aujourd’hui plus d’un million de mètres carrés de bâtiments passifs sur son territoire. ”

Fortement mise en avant dans son propre programme d’activités au Mexique, la responsabilité sociétale des entreprises sera de nouveau mise à l’honneur lors de la prochaine mission économique de la secrétaire d’Etat au Sénégal du 20 au 23 mars prochain. Ce déplacement se fera dans le cadre de l’ouverture d’un nouveau poste d’attaché économique et commercial de la Région bruxelloise à Dakar.

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