Comment la France remplit à l’½il ses musées

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La dation permet aux héritiers d’artistes de payer les droits de succession en cédant des oeuvres à l’Etat français. En 40 ans, plus de 10.000 oeuvres d’une valeur de plus de 800 millions d’euros sont ainsi venues enrichir les musées hexagonaux.

La polémique Woerth-César déclenchée par Libération nous a poussés à nous replonger dans la saga de la succession du célèbre sculpteur décédé en 1998. Et permis de (re)découvrir que la dation de l’artiste au Centre Pompidou avait quelque peu traîné en longueur. La dation ? S’agit-il d’une faute de frappe ? Non : il s’agit d’un mécanisme fiscal bien connu des héritiers d’artistes et des grandes fortunes.

Créé en 1968 par André Malraux, alors ministre de la Culture, la dation a pour vocation de lutter contre le départ massif des oeuvres d’art de haut niveau détenues par des particuliers. En effet, l’obligation de payer les droits de succession souvent élevés conduit parfois les héritiers d’artistes ou de grands collectionneurs à vendre des oeuvres de qualité. Le mécanisme de la dation leur permet de payer ces droits de succession, dont ils sont redevables auprès de l’administration fiscale, en oeuvres d’art. C’est-à-dire en cédant ces oeuvres à l’Etat.

Initialement prévue pour les droits de succession, la procédure de la dation a vu son champ étendu aux droits de mutation à titre gratuit, c’est-à-dire les droits de donation, et plus récemment à l’impôt sur la fortune (ISF). La procédure ne s’applique pas en revanche à l’impôt sur le revenu. Le fisc se réserve bien sûr le droit de refuser ce mode de paiement alternatif, sans recours possible pour le contribuable.

Les successions représentent 75 % des dations

L’oeuvre proposée doit être de haute valeur artistique (oeuvres d’artistes dont le prestige est indiscutable, oeuvres d’art qui présentent un témoignage sociologique, politique, historique ou religieux, oeuvres d’artistes anciens redécouverts au gré des études historiques et oeuvres d’art contemporain) ou de haute valeur historique (documents et souvenirs militaires, pièces archéologiques, antiques, orientales, tribales, archives littéraires, musicales, collections de philatélie, etc.).

Le contribuable propose une valeur pour l’oeuvre qui paiera ses impôts. La commission de la dation, placée sous l’égide du ministère de la Culture, avec l’aide des conservateurs et d’experts reconnus, examine l’intérêt de l’objet proposé et se prononce sur son estimation. Libre ensuite au contribuable de confirmer son souhait de payer par dation. Libre également à la commission d’accepter ou non l’oeuvre proposée.

Pour l’Etat français, cela rapporte gros. Depuis la première dation en 1972 du portrait de Diderot par Fragonard, plus de 10.000 oeuvres d’art d’une valeur globale de plus de 800 millions d’euros sont venues enrichir les musées nationaux. Les successions représentent 75 % des dations réalisées, les donations 12 % et l’ISF 13 %.

Pas de musée Picasso sans la dation

Sans la dation, il n’y aurait pas de musée Picasso à Paris et pas de second Vermeer au Louvre, “dans la mesure où ces oeuvres n’auraient jamais pu être achetées au prix du marché sur les budgets annuels d’acquisition du ministère de la Culture”, rappelait en 2009 la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel.

La liste des oeuvres acquises par l’Etat français via la dation est impressionnante. Citons entre autres L’astronome de Johannes Vermeer, L’origine du monde de Gustave Courbet, Un combat de taureau d’Edouard Manet, Danse à la ville de Pierre-Auguste Renoir, ou encore des oeuvres plus modernes comme deux tableaux de Mark Rothko et Francis Bacon. Sans oublier trois sculptures de César finalement cédées au Centre Pompidou.

Emilie Lévêque, L’Expansion.com

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