Comment l’Occident veut tenter d’affaiblir l’industrie militaire russe

Stijn Fockedey Stijn Fockedey est rédacteur de Trends

L’Occident n’a pas seulement érigé un rideau de fer financier autour de la Russie pour l’affaiblir sur le plan économique. Il a aussi arrêté presque complètement les exportations de produits et services de haute technologie vers la Russie. Mais même cela ne semble pas être la solution pour affaiblir l’armée russe de manière durable et stopper l’offensive en Ukraine.

Elle a été éclipsée par les sanctions, sans précédent, prises par l’Occident à l’encontre du système financier russe, mais une interdiction radicale d’exporter des produits de haute technologie vers la Russie avait également été mise en place sous l’impulsion des États-Unis. Cette interdiction devrait particulièrement perturber l’industrie de la défense russe.

Depuis 2014, après l’annexion de la Crimée, les exportations vers la Russie avaient déjà été sévèrement limitées. Aujourd’hui, le boycott s’est encore élargi. Il ne s’agit plus seulement d’armes et d’autres articles à des fins purement militaires, non cette fois-ci, ce sont les exportations de toutes les technologies, de tous les composants et de tous les services susceptibles d’aider de quelque manière que ce soit le secteur énergétique ou aéronautique russe, qui sont interdites. L’interdiction s’applique également à un large éventail de composants, de machines et de services connexes qui peuvent avoir des applications tant militaires que civiles. Il existe encore des exceptions pour les applications purement civiles et leurs utilisateurs finaux en Russie, mais pour les sociétés d’exportations, ces règles constituent une pierre d’achoppement (voir l’encadré “Quelque chose peut toujours avoir une application militaire”). Ils doivent être en mesure de garantir à 100 % que leurs exportations ne soutiendront pas, d’une manière ou d’une autre, l’armée russe.

Avec cet important boycott commercial, l’Occident espère affaiblir la base économique de la Russie et ralentir la production de nouveau matériel militaire russe. Si la Russie possède une industrie défensive avancée, elle dépend de ses partenaires commerciaux étrangers pour les composants essentiels. Mais il est vain de croire que l’offensive russe en Ukraine puisse être arrêtée ou ralentie de cette manière. Les images satellite de la longue colonne de chars et autres véhicules de l’armée se dirigeant vers Kiev montrent que l’armée russe n’a pas encore déployé la plupart de ses équipements. Tant que les lignes d’approvisionnement vers le front ne sont pas coupées, l’armée russe a encore les capacités d’attaquer.

Annexes très détaillées

Mettre en place un blocus commercial visant les produits de haute technologie pourrait toutefois perturber, à moyen terme, l’industrie militaire russe. Même si un tel rideau de fer technologique est beaucoup plus poreux qu’un boycott financier. Mais Bhaskar Chakravorti, professeur de relations commerciales internationales à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts, a écrit dans un article d’opinion que les sanctions économiques sur les composants informatiques sont problématiques. La chaîne de production de la microélectronique est extrêmement complexe car elle comporte de nombreuses stations intermédiaires dans différents pays. Ainsi, la Russie pourrait quand même s’emparer facilement de composants technologiques. En outre, un tel boycott pousserait la Russie encore plus dans les bras de la Chine, qui possède sa propre industrie des semi-conducteurs. Ainsi, tant que la Chine ne s’engagera pas dans un boycott commercial contre la Russie, cette dernière aura toujours un fournisseur de semi-conducteurs fiables et spécialisés, et même d’électronique en général.

De plus, la tendance est à l’intégration de l’électronique à usage civil dans les systèmes militaires. L’un des exemples les plus parlants est venu des États-Unis il y a quelques années. Pour contrôler le périscope d’un nouveau sous-marin d’attaque, les Américains ont utilisé un contrôleur d’une console de jeu Xbox. Cette solution est moins chère que le contrôleur original. Le flou qui entoure les technologies militaires et civiles explique pourquoi les nouvelles sanctions américaines et européennes comportent des annexes aussi détaillées concernant les produits et services interdits.

Une économie de guerre autosuffisante

Le président russe a également pris ses précautions. Après les lourdes sanctions économiques de 2014, le Kremlin s’est engagé à minimiser sa dépendance aux importations en provenance d’Ukraine et d’Occident, notamment pour la défense et l’agriculture. Les usines ukrainiennes, par exemple, ont longtemps été une plaque tournante dans la chaîne de production des avions russes. Après ces sanctions, le Kremlin a établi une liste très détaillée de produits et de composants pour lesquels une alternative locale devait être produite.

L’Institut d’études de sécurité de l’UE, un groupe de réflexion spécialisé de l’administration européenne, a souligné dans un document de recherche en 2017 que l’industrie de la défense russe le fait avec plus ou moins de succès. La dépendance, à l’égard des fournisseurs ukrainiens et occidentaux de composants de défense essentiels, a été supprimée plus lentement que prévu. En 2015, la Russie a déjà repoussé l’échéance de son programme de substitution à 2025. Seuls les services de renseignements ont une vision claire de la dépendance de la Russie à l’égard de la technologie occidentale, mais le président Poutine a fait en sorte qu’à court terme, son offensive militaire soit à l’abri d’un boycott technologique occidental, aussi sévère soit-il.

Quelque chose peut toujours avoir une application militaire

“Il est toujours possible d’exporter des biens qui ne figurent pas sur la liste des sanctions”, affirme Kevin Verbelen, expert en commerce international chez Agoria, la fédération représentant les entreprises technologiques belges.

“La liste européenne des entités et des personnes russes interdites est vaste. Vous devez vous assurer que votre partenaire commercial russe n’a pas d’actionnaires suspects, ou qu’aucune des personnes mises en cause ne fait partie du conseil d’administration ou de la direction. Vient ensuite l’examen par produit et service que vous souhaitez exporter. La liste des articles interdits est désormais très détaillée. En outre, il existe une clause générale exigeant que vous soyez en mesure de garantir pour tous les articles, y compris ceux qui ne figurent pas sur la liste noire, qu’ils ne peuvent pas être utilisés pour des applications militaires russes.”

“Il est presque certain qu’il y a toujours quelque chose qui peut potentiellement avoir une application militaire ou trouver son chemin vers une utilisation finale militaire en Russie. Nos membres se posent beaucoup de questions, car ils doivent décrire et justifier de manière beaucoup plus détaillée la demande de leur licence d’exportation vers la Russie. Les sanctions de 2014 étaient plus limitées, mais déjà suffisantes pour réduire de moitié les exportations du secteur technologique belge vers la Russie. Je pense qu’encore plus d’entreprises vont maintenant se retirer. D’autant plus que les conditions-cadres sont également devenues difficiles, notamment les sanctions financières qui rendent la transaction difficile à gérer.”

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