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Comment calcule-t-on le coût d’une vie?

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Les européens devraient s’en souvenir avant de critiquer le retrait des Américains en Afghanistan : 300 millions de dollars par jour et pendant deux décennies. Voilà le coût total de la guerre menée en Afghanistan. Ce que rappelle régulièrement Joe Biden pour justifier le départ des troupes US de ce “cimetière d’empires”.

Nous sommes donc bien loin du chiffre le plus souvent cite de 1.000 milliards de dollars. N’oublions pas que cette guerre a été déclenchée en raison des attentats du 11 septembre dont nous avons commémoré les 20 ans le weekend dernier. Raison pour laquelle, je voulais évoquer les familles des victimes de cet horrible attentat.

Outre la perte d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une soeur, d’un fils ou d’une fille, la question s’est immédiatement posée de savoir comment indemniser toutes les familles des défunts ? Il fallait éviter d’ajouter à la peine de la perte de l’être cher, la peine pécuniaire des survivants. L’ancien président Georges W. Bush l’avait compris et avait prévu un fonds de compensation pour indemniser rapidement les ayants droits de ces victimes. Mais encore fallait-il convaincre ces 3000 familles endeuillées de ne pas se lancer dans des procès dont les Américains ont le secret. Et notamment à l’encontre des compagnies aériennes coupables de négligence en matière de sécurité.

C’est à Kenneth Feiberg, un avocat aujourd’hui âgé de 75 ans, qu’a incombé la charge de convaincre, une à une, chaque famille d’être indemnisée par ce fameux fonds de compensation plutôt que de se lancer dans des procès fleuves et à l’issue incertaine.

C’est enfoncer une porte ouverte que de reconnaitre la difficulté de sa tâche. Motif ? Parce que face à la mort, nous sommes en principe égaux. Mais les statistiques des assurances nous montrent chaque jour que certains le sont un peu plus que d’autres comme dirait Coluche. Parmi les morts, il y avait des traders, des banquiers d’affaires, des femmes de ménage ou des pompiers. Hors bien souvent les techniques d’indemnisation tiennent compte des revenus futurs des personnes décédées. Et donc, oui, si la grande faucheuse ne fait pas de différence entre les morts, les actuaires réfléchissent autrement, et in fine, la perte d’un trader vaut plus que celle d’un concierge sur le plan monétaire.

Kenneth Feinberg, a voulu éviter que 85% des compensations versées ne soient destinées à 15% des familles. C’était son combat principal. Pas simple à mener, raison pour laquelle, il a dû enchainer des rendez-vous pendant un an, sous forme de tête-à-tête, pour expliquer le fonctionnement de ce fonds de compensation. Mes confrères des Echos rappellent aussi que son combat était de tous les instants : fallait-il, par exemple, avouer à une veuve qu’en réalité le défunt avait une maitresse et deux autres enfants ? La question a taraudé Kenneth Feinberg pendant des jours avant qu’il ne se décide à ne rien dire, et à envoyer deux chèques séparés aux deux familles éplorées.

Mon “point final” de cette semaine se résume à un banal constat : derrière la géopolitique, derrière les chiffres astronomiques des coûts liés à cette guerre de 20 ans, il y a aussi l’humain. Avec ses petits secrets et ses grandes douleurs. C’est l’une des leçons cachées de ce 11 septembre 2021.

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