Climat: “C’est maintenant ou jamais”, mais comment agir?

Le dernier rapport des experts climat de l’ONU (Giec) ne laisse pas de place au doute: “C’est maintenant ou jamais”, résume Jim Skea, coprésident du groupe ayant produit cet opus de près de 3.000 pages. En effet, sans une réduction “rapide, radicale et le plus souvent immédiate” des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, il ne sera pas possible de limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, ni même à +2°C.

Alors que tous les yeux se tournent vers les grosses entreprises et les usines par définition bien polluantes, le citoyens lambda s’interroge : comment peut-il agir pour influencer positivement et à son niveau le cours des choses ?

La nouvelle trinité : “Eviter, changer, améliorer”

Eviter de voyager en avion, consommer moins de viande, améliorer l’isolation de son logement. Trois conseils qui ne sont pas neufs en apparence mais qui pourraient bien faire la différence. Les experts climat de l’ONU insistent en effet sur le rôle majeur qu’une modification de la demande peut jouer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Quand les gens consomment des services tels que transports, logement, chauffage ou nourriture, ils sont responsables d’émissions de CO2 directes et indirectes. “Si nous opérons les bons choix en matière de politique, d’infrastructures et de technologies, nous pourrons changer nos modes de vie et nos comportements, avec à la clé une diminution de 40 à 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050”, résume Priyadarshi Shukla, coprésident du groupe de travail ayant élaboré le dernier rapport du Giec, publié lundi.

Le rapport base son analyse sur la stratégie “Eviter, changer, améliorer”:

  • éviter des comportements très énergivores,
  • passer à des technologies moins émettrices pour le même service,
  • améliorer l’efficacité énergétique des technologies existantes.

Avec un maître mot, “sobriété”.

De manière générale, les options concernant les choix de mobilité sont plus efficaces, par exemple changer sa voiture thermique pour une tout électrique (“améliorer), prendre un vol long-courrier de moins par an (“éviter”) ou passer au vélo et à la marche (“changer”) dans ses déplacements quotidiens.

Eviter l’avion et prendre le train

Dans la catégorie “éviter”, le potentiel le plus important vient de la réduction des vols long-courriers. Réduire leur nombre et préférer le train quand c’est possible pourrait diminuer de 10 à 40% les émissions de l’aviation d’ici 2040, selon le rapport.

L’électrification est une option “faisable, extensible et abordable” pour décarboner les transports.

Les véhicules électriques sont en forte croissance. Rechargés avec de l’électricité bas carbone, ils peuvent réduire considérablement les émissions.

Changer son régime alimentaire

Dans “changer”, le plus efficace serait de passer à un régime alimentaire basé sur les végétaux. Mais attention, sans tomber dans les excès, car devenir végétarien ou même totalement vegan réduirait moins les émissions que d’éviter un vol long-courrier par an.

Quant au renforcement de l’efficacité énergétique des bâtiments, ils remporte la première place pour “améliorer”. Il est possible de rendre tout immeuble existant ou neuf quasiment neutre en énergie ou à basse émission. D’une manière générale, la plupart des procédés industriels peuvent être décarbonés via diverses technologies ayant recours à l’électricité ou l’hydrogène, le captage de carbone et l’économie circulaire (recyclage et réutilisation).

Le rapport souligne également la nécessité de réduire tous les types de gaspillage qu’il soit énergétique ou alimentaire. “Choisir des options bas-carbone, comme vivre sans voiture, des régimes alimentaires sans ou avec peu de produits animaux, des sources d’électricité et de chauffage bas-carbone à domicile et des vacances locales, peut réduire l’empreinte carbone d’un individu jusqu’à 9 tonnes d’équivalent CO2” par an, évalue le Giec, sans préconiser tel ou tel scénario.

Pas à égalité entre les différents pays

Mais l’empreinte carbone annuelle de certains humains est bien inférieure à ces 9 tonnes évoquées. Par exemple, l’empreinte carbone moyenne par habitant en Afghanistan n’atteint même pas 1 tonne, quand celle d’un Français atteint un peu plus de 10 tonnes, et que les écarts à l’intérieur d’un pays peuvent être immenses, de 1 à plus de 100 tonnes.

Riches et pauvres ne sont pas égaux face à des choix que certains n’ont pas. La moitié la plus pauvre de la population mondiale est responsable “seulement d’environ 10%” des émissions liées à la consommation, alors qu’environ 50% de ces émissions peuvent être attribuées aux 10% les plus riches, dont l’empreinte carbone est 175 fois plus importante que les 10% les plus pauvres”, note le Giec. Soulignant la différence entre “nécessité” et “luxe”, le rapport insiste d’un côté sur le besoin d’un niveau de vie “décent” pour tous, et de l’autre sur le fait que les plus riches peuvent réduire leurs émissions en maintenant leur bien-être.

Pas seulement une question de comportement

Refusant de faire porter la responsabilité de cette transition aux gestes individuels, le Giec souligne que réduire les émissions par la demande “est plus qu’un changement de comportement”.

Cinq “moteurs” doivent être actionnés ensemble:

  • “individus (choix de consommation),
  • culture (normes sociales, valeurs),
  • entreprises (investissements),
  • institutions (action politique), et
  • changements d’infrastructures”.

Et de conclure que pour un citoyen, se lancer dans l’aventure “éviter, changer, améliorer” requiert “un soutien important” à travers des politiques publiques pour faire sauter les “verrous d’infrastructure, institutionnels et socio-culturels”, car les engagements actuels des Etats ne permettront pas de limiter le réchauffement à 1,5°C.

De nombreux objectifs de neutralité carbone sont “définis de manière ambiguë” et les lois nécessaires ne sont pas encore votées. Les alternatives à faible émission nécessitent beaucoup plus d’investissements, tandis que les partisans du “statu quo” bloquent les progrès.

Les 8 points qu’il faut retenir de ce rapport

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.© Getty

Voici les points clés de ce rapport long de quelque 2.800 pages, qui représente le consensus scientifique mondial le plus à jour sur ces questions.

  • 1. Assurer un pic d’émissions en 2025

Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas sensiblement réduites d’ici à 2030, l’objectif de 1,5°C sera “hors de portée”. Mais les politiques actuelles ouvrent la voie à un réchauffement de 3,2°C d’ici à la fin du siècle. Tenir l’objectif de +2°C s’annonce déjà extrêmement compliqué: de 2030 à 2050, il faudrait réduire chaque année les émissions comme en 2020, année exceptionnelle où une bonne partie de l’économie mondiale s’est arrêtée en raison du Covid-19.

Pour ne pas dépasser +2,5°C, les émissions devront atteindre leur pic en 2025, ce qui semble improbable, la trajectoire étant repartie à la hausse dès 2021, retrouvant les niveaux records pré-pandémie. Or, au niveau d’émissions de 2019, le “budget carbone” disponible pour conserver 66% de chances de rester sous les +1,5°C serait entièrement consommé en huit ans.

  • 2. Remplacer les énergies fossiles…

Si tous les gisements de pétrole, de gaz et de charbon actuellement en service sont exploités jusqu’à leur terme sans technologie de capture carbone, il sera impossible de tenir +1,5°C. Éliminer les subventions aux énergies fossiles pourrait faire baisser les émissions de 10%.

Tenir +2°C suppose que 30% des réserves de pétrole, 50% de celles de gaz et 80% des celles de charbon ne soient pas utilisées, sauf si des techniques de captage et stockage du CO2 émis sont développées. Les actifs perdus pourraient se chiffrer en milliers de milliards de dollars.

  • 3. … par des sources bas-carbone ou neutres

Pour tenir les objectifs de l’Accord de Paris, le monde doit atteindre la “neutralité carbone” sur tous les plans d’ici à 2050.

La capacité des énergies photovoltaïque et éolienne a fortement augmenté, de 170% et 70% respectivement entre 2015 et 2019, grâce à la baisse des coûts, aux politiques publiques et à la pression sociale. Mais malgré ces hausses spectaculaires, elles ne représentent ensemble que 8% de la production électrique mondiale, 21% de la production peu carbonée. Au total, les renouvelables et énergies peu carbonées – dont le nucléaire et l’hydroélectricité – comptent pour 37% de la production électrique mondiale, le reste provenant des énergies fossiles.

  • 4. Réduire la demande

Le basculement vers l’énergie moins carbonée ne doit pas faire passer au second plan les transformations structurelles – mobilités douces, véhicules électriques, télétravail, isolation des bâtiments, moins de vols en avion – qui permettraient de réduire les émissions de 40% à 70% d’ici à 2050. “Des modifications profondes et rapides de la demande faciliteront la réduction à court et moyen terme des émissions dans tous les secteurs”, souligne le rapport.

Au niveau mondial, les 10% des ménages les plus riches représentent jusqu’à 45% des émissions totales.

  • 5. Museler le méthane

Les émissions de méthane, gaz à effet de serre à la durée de vie bien plus courte que le CO2 mais 21 fois plus puissant, contribuent pour environ un cinquième du réchauffement. Les fuites dans la production d’énergies fossiles (par les puits ou les gazoducs) représentaient environ un tiers de ces émissions en 2019. L’élevage animal est également une source importante. Tenir l’Accord de Paris implique de réduire de moitié les émissions de méthane d’ici à 2050 (par rapport au niveau de 2019).

  • 6. Capturer le CO2

Même dans les meilleurs scénarios, la baisse des émissions devra s’accompagner de la mise en oeuvre de techniques d’élimination du dioxyde de carbone (EDC), ou “émissions négatives”, pour atteindre la neutralité carbone. Les possibilités vont de la capture naturelle de CO2, en plantant des arbres par exemple, à l’extraction du CO2 de l’atmosphère, technologie pas au point.

Ces EDC devraient permettre de compenser les émissions de secteurs qui ne pourront pas suffisamment réduire leurs émissions d’ici à 2050 – aviation, transport maritime ou cimenteries – et seront également nécessaires pour espérer rétablir la situation en cas de dépassement des objectifs de l’Accord de Paris.

  • 7. Agir coûte cher…

Tenir l’objectif de +1,5°C nécessitera des investissements de 2.300 milliards de dollars par an entre 2023 et 2052, rien que pour le secteur de l’électricité. Le chiffre tombe à 1.700 milliards pour +2°C.

En 2021, 750 milliards ont été dépensés dans le monde pour les énergies propres ou l’efficacité énergétique, selon l’Agence internationale de l’énergie. Selon le Giec, les pays riches dépensent deux à cinq fois moins que nécessaire et les investissements dans les pays en développement sont de quatre à huit fois moins élevés que nécessaire.

Tenir l’objectif de +2°C entraînerait une baisse de 1,3% à 2,7% du PIB mondial, par rapport à la trajectoire actuelle, et une baisse de 2,6% à 4,2% pour tenir +1,5°C.

  • 8. …ne rien faire encore plus

Ces estimations de (dé)croissance ne prennent toutefois pas en compte les gains prévisibles, conséquences de l’évitement de catastrophes climatiques, de crises alimentaires ou de l’effondrement des écosystèmes. “Les avantages des scénarios permettant de limiter le réchauffement à 2°C dépassent les coûts des mesures d’atténuation (des émissions) sur la totalité du XXIe siècle,” souligne le rapport.

Les seuls bénéfices en matière de santé publique d’une réduction de la pollution de l’air – cause de 7 millions de décès prématurés par an dans le monde – seraient par exemple du même ordre que les investissements pour atteindre cet objectif.

(Avec AFP)

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