Cinq scénarios pour Chypre

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Cinq scénarios possibles pour la crise chypriote. Quelle que soit la direction prise, l’atteinte à la réputation des leaders de la zone euro se révèle déjà catastrophique.

Au milieu du chaos précédant le vote du parlement chypriote sur le plan de sauvetage, le président chypriote Nicos Anastasiades s’est montré assez clair : Chypre prendra également d'”autres plans” en considération. Or, quelles sont concrètement les solutions pour juguler la crise à Chypre les jours et les semaines à venir ? Nous distinguons cinq scénarios possibles en notant que divers mixages de deux ou plus de ces scénarios sont également envisageables.

Un:L’Europe cède. L’idée d’une taxe sur les dépôts bancaires est balayée. L’Europe casque 17 milliards d’euros de diverses façons. La recapitalisation des banques chypriotes passe par le Fond Européen de Stabilité Financière (le FESF). Pour le remboursement de cet emprunt, l’Europe bénéficie d’une prérogative sur les revenus de gaz que réalisera l’île pendant les prochaines années.

=>Ce scénario est peu probable puisque la chancelière allemande Merkel y perdrait la face et hypothéquerait sa réélection plus tard dans l’année. Les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande s’opposeraient également vivement à ce scénario.

Deux:L’Europe politique ne cède pas mais la BCE s’engage. Il s’agit purement d’un scénario destiné à gagner du temps. La Banque Centrale Européenne (BCE) continue à pourvoir les banques chypriotes d’euros afin qu’elles puissent rapidement rouvrir. Dans ce scénario, la BCE revient sur son attitude sévère des jours passés. Cependant, plusieurs membres de la BCE ne laissent pas planer le moindre doute sur le fait que la banque a atteint les limites de ce qu’elle pouvait faire pour Chypre (et qu’elle les a même dépassées).

=>Bien que le président de la BCE Draghi ait promis l’année dernière au monde entier de toujours faire le nécessaire pour sauver la zone euro, ce scénario constituerait une gifle pour la crédibilité de la BCE. Pour la BCE, la production d’argent sans programme de relance crédible revient à commettre un sacrilège. Il est garanti que la résistance allemande vis-à-vis de cette procédure ne manquera pas d’être impressionnante. Pourtant, certaines rumeurs de la BCE semblent privilégier la probabilité de ce scénario.

Trois:des adaptations supplémentaires au programme d’aide rejeté. On pense d’abord à une majoration du montant minimum dispensé de la taxe sur les dépôts : par exemple de 20.000 euros à 50.000 euros ou même 100.000 euros.
=>On se demande si les politiques chypriotes craignent surtout leur propre population ou les investisseurs étrangers (surtout les Russes). Si la première crainte l’emporte, ce scénario a une chance d’aboutir, si la seconde prévaut, les dépôts bancaires n’ont aucune chance, sous quelque forme que ce soit. En cas de limite rehaussée de dispenses pour les dépôts bancaires, il y aura quoi qu’il en soit moins de rendement que les 5,8 milliards exigés par l’Europe. Les compensations peuvent venir de l’Europe (difficile, voir le premier scénario) ou provisoirement de la BCE (également difficile, voir le deuxième scénario).

Quatre: la Mère Russie. Pour Moscou, la crise chypriote constitue une véritable bénédiction. Si la Russie tire l’île de l’embarras – et Moscou dispose certainement des moyens nécessaires – elle peut se renforcer considérablement sur plusieurs plans. En effet, celle-ci ne manquera pas de poser des conditions solides à une assistance financière. Ainsi, il ne fait de doute que Gazprom jouera un grand rôle dans les exploitations de gaz dont dispose Chypre. Ainsi, Moscou bénéficiera également d’un aperçu de toutes les personnes qui en tout possèdent plus de 20 milliards d’euros à Chypre. Celles-ci ne sont pas toutes amies de Poutine & Co. En outre, à terme la Russie pourrait transférer la base militaire de Tartous de Syrie à Chypre. De cette façon la Russie sera définitivement installée en Méditerranée, un atout géopolitique et militaro-stratégique très important.
=>S’il en tient à la Russie, ce scénario a beaucoup de chances de réussir. Beaucoup de Chypriotes réalisent cependant qu’ils se détourneraient de l’Europe, ce qui à terme pourrait entraîner de lourdes conséquences. Ce scénario fait frémir Washington.

Cinq:une sortie rapide de la zone euro. C’est le scénario apocalyptique. Les banques restent fermées, l’inquiétude tourne à la violence et l’économie menace de se désintégrer totalement. Les autorités chypriotes, ou ce qu’il en reste, n’auront pas d’autre choix que d’imprimer de l’argent afin d’endiguer le chaos. Quoi qu’il en soit, un tel scénario mènerait à un grand désordre économique et presque sûrement à une hyperinflation.
=>À mesure que d’autres solutions à cette crise, ce scénario deviendra presque inévitable.

L’Europe a réussi à transformer la situation chypriote en chaos total

Si certains consultants cherchent un exemple destiné à illustrer une forme extrême de mauvaise gestion, ils peuvent difficilement nier la façon dont les instances européennes ont réussi à transformer la situation chypriote en chaos total. Une île d’un million d’habitants, avec une économie qui représente à peine 0,2% du PIB de la zone euro et un secteur bancaire de 70 milliards euros (à nouveau une relative bagatelle) provoque une crise qui fait trembler la zone euro une nouvelle fois sur ses fondements. Quelle que soit l’issue de cette crise, la crédibilité des leaders européens a été violemment ébranlée ces derniers jours.

En touchant au principe de la garantie de dépôt jusqu’à 100.000 euros, les leaders européens ont ouvert la boîte de Pandore. Chaque fois qu’il y aura une crise, les habitants des pays concernés ne manqueront pas de garder à l’esprit qu’une atteinte aux biens bancaires a déjà été envisagée au moins une fois. On peut s’attendre de toute façon à des actions venant de divers pays. Herman Van Rompuy, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble et le président néerlandais de l’eurogroupe des ministres des Finances Jeroen Dijsselbloem affirment avec insistance qu’une telle taxe sur les dépôts ne sera jamais envisagée dans d’autres situations. Chacun prend acte et n’en pense pas moins.

Le danger de contagion d’envisager une telle taxe à l’avenir est très réel (et à plus forte raison une application effective). Le ministre des Finances luxembourgeois Luc Frieden reconnaît ce danger et estime que les responsables de la zone euro doivent formuler une nouvelle proposition “le plus rapidement possible” afin de reprendre le contrôle de la situation chypriote.

Son insistance à proposer de nouvelles initiatives est assez évidente. Le secteur bancaire chypriote fait huit fois la taille de l’économie chypriote. Au Luxembourg, cette proportion est de … 21. On peut partir du principe que le secteur bancaire luxembourgeois est beaucoup mieux géré et contrôlé que son pendant chypriote. En outre, le secteur bancaire luxembourgeois abrite beaucoup d’assets management, ce qui diminue les risques d’un mouvement de capitaux rapides. Mais les proportions sont ce qu’elles sont. Si la situation se corse, le Luxembourg est également très vulnérable, certainement vu la politique d’échec de toute la zone euro.

Johan Van Overtveldt

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