Ces amateurs qui nous gouvernent

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Le compromis politique et sa traduction en textes légaux est un art, nécessitant doigté et expérience. Des qualités pas toujours présentes dans les différents gouvernements.

Mais qu’ont-ils vraiment décidé ? A l’issue des conclaves budgétaires et autres rounds importants de la vie politique, la question demeure en suspens, parfois pendant de longues semaines. A croire que les ministres et leurs collaborateurs n’ont pas toujours bien conscience de la teneur des décisions qu’ils prennent. Alors, ils optent pour le flou et se disent qu’il sera toujours temps d’ajuster le tir lors des débats parlementaires.

L’exemple le plus spectaculaire de ces derniers mois fut fourni par la TVA sur l’électricité : quand il a décidé en juillet dernier de la relever de 6 à 21 %, le gouvernement fédéral ne savait pas encore s’il allait, ou non, neutraliser cette hausse dans l’index. Cela change pourtant fortement l’impact sur le pouvoir d’achat des citoyens (au cas où cela vous aurait échappé, cette hausse de TVA est bien intégrée dans le calcul de l’index, ce qui avancera le franchissement de l’indice-pivot de plusieurs mois). Lors de ce même conclave de juillet, le Premier ministre avait aussi annoncé une taxe sur la spéculation boursière. Elle a été confirmée début octobre et à la veille des vacances de Toussaint, on n’en connaît toujours pas exactement les contours…

Bref, cela sent l’improvisation à plein nez et on comprend que des ministres “routinés” comme Didier Reynders puissent être désarçonnés par ce mode de fonctionnement. “Je suis un peu inquiet par exemple qu’on termine un débat budgétaire en juillet en disant qu’on se mettra d’accord sur les notifications à la rentrée”, déclarait-il ainsi cet été au Soir. A l’époque, il ignorait que ces fameuses notifications – là où l’on détaille et chiffre les mesures – seraient encore nébuleuses deux mois plus tard…

La section politique de la Ligue d’impro

Ne nous focalisons pas trop sur le niveau fédéral. Le gouvernement wallon tient à tenir son rang dans ce qui ressemble à la section politique de la ligue d’impro. Sa méthode à lui, ce n’est pas “on verra plus tard” mais “sorry, j’avais oublié”. Quelques jours après les présentations budgétaires triomphantes, orchestrées par le ministre wallon du Budget Christophe Lacroix (PS), on découvre, au détour d’un tableau, une taxe sur le matériel et l’outillage ou une hausse des droits d’enregistrement pour les multipropriétaires. On bricole des justifications in 0extremis et parfois on finit par retirer une mesure qui n’aurait jamais été introduite si les personnes autour de la table maîtrisaient leur sujet.

“Quand ils posent des choix, les gouvernements poursuivent d’abord un objectif financier, analyse le fiscaliste François Parisis (ULg). On fixe une recette, on annonce une mesure et puis seulement on réfléchit aux modalités pour atteindre la recette prévue. C’est une manière de légiférer très perturbante et qui, en outre, ne respecte pas du tout le parlementarisme. Comment voulez-vous contrôler un exécutif dans ces conditions ? Le gouvernement a déjà communiqué à trois reprises sur la taxe sur la spéculation et nous n’en connaissons toujours pas les détails. Cela ressemble un peu à de l’amateurisme.” Il ajoute au passage qu’à force de courir derrière les seuls objectifs financiers, on finit par s’éloigner des objectifs économiques ou sociaux d’une disposition. Il semble ainsi que la taxe sur la spéculation va surtout toucher des particuliers avec un petit capital et pas les vrais spéculateurs.

Bardés de diplômes mais inexpérimentés

Marie Goransson, professeur de management public à la faculté de philosophie et sciences sociales de l’ULB, tient toutefois à nuancer les critiques. S’il y a un peu d’amateurisme au gouvernement fédéral, c’est aussi parce que le principal parti, la N-VA, n’a jamais participé à l’exercice du pouvoir et que son personnel manque dès lors d’expérience. “Au début de la législature, la N-VA a publié des annonces pour recruter, explique-t-elle. Le parti compte des gens instruits et diplômés mais ceux-ci n’ont pas cette expérience des cabinets et de l’élaboration technique des décisions. Ils ne savent pas comment ça fonctionne réellement. Une partie des compétences s’acquiert sur le terrain, en politique comme ailleurs.” Le parfum d’amateurisme serait donc en quelque sorte la rançon de l’alternance. Le monde politique belge l’avait vécu en 1999 lors de la première participation d’Ecolo au pouvoir.

Dans un schéma classique, l’administration compense l’inexpérience de certains collaborateurs ministériels. En Belgique, c’est un peu particulier, en raison notamment de la forte politisation. Si le PS a pu parfois mieux chiffrer et expliquer les décisions fédérales que les ministres de Charles Michel eux-mêmes (ce qui n’empêche pas le même PS de s’emmêler les pinceaux dans les exécutifs régionaux), c’est en partie grâce à ses relais au sein de l’administration. D’où ce cercle vicieux pour Charles Michel : s’il sollicite l’expertise des hauts fonctionnaires (ce qui paraît sain), ses demandes se retrouvent rapidement dans les boîtes mail de l’opposition ; s’il ne la sollicite pas, il réunit encore moins d’expertise autour de la table. “L’administration fédérale ne ruisselle pas de fonctionnaires N-VA, sourit Marie Goransson. Même en écartant la politisation, la collaboration administration-cabinet n’est pas facile chez nous, chacun travaille de son côté.” Elle salue la création récente d’un master en management public en Wallonie et à Bruxelles, formation dans laquelle les cadres de l’administration et du personnel de cabinet se retrouvent. “On crée ainsi un réseau et cela réduit ensuite les problèmes”, explique la professeur de l’ULB.

François Parisis regrette, lui, que le gouvernement fédéral rechigne à solliciter des avis externes afin de compenser ses lacunes. “Je me demande si les partis détiennent encore une expertise suffisante pour élaborer des textes novateurs qui tiennent la route techniquement”, dit-il. Il convient toutefois que les exigences européennes – les projets de budget doivent être remis de plus en plus tôt et les dérapages sont scrutés de près – obligent le monde politique à aller très, voire trop vite.

Cela peut expliquer les dispositions plutôt risibles de la taxe santé imaginée par la ministre des Affaires sociales Maggie De Block (Open Vld). Pour pouvoir avancer rapidement, elle s’est en effet basée sur l’actuelle législation en matière d’accises. Résultat : la hausse concerne autant le light et l’eau aromatisée que les sodas bien sucrés.

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