Avoir peur du noir, cela coûte…

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La Belgique a-t-elle vraiment besoin de 800 MW de turbines au gaz supplémentaires, comme le prévoit le plan Wathelet ? Febeliec en doute. Une question finalement plus politique que technique.

Sortir un canon pour avoir raison d’une mouche, on a déjà vu plus efficace — une tapette à mouches, par exemple. C’est ce que l’industrie reproche à Melchior Wathelet. “C’est comme tuer une mouche avec un canon”, déplore Peter Claes, directeur de Febeliec, l’association regroupant les consommateurs industriels d’énergie. En cause ? Le plan concocté par le secrétaire d’Etat cdH en charge de l’Energie, adopté début juillet par le kern. Outre la prolongation de 10 ans de Tihange 1 moyennant la captation par l’Etat d’une part substantielle des bénéfices dégagés, ledit plan prévoit le lancement d’un appel d’offres devant mener à la construction de 800 mégawatts de capacités de production au gaz supplémentaires. “Un investissement de quelque 800 millions d’euros”, souligne Febeliec.

Sans oublier que, pour l’heure, le marché de l’énergie ne sourit pas vraiment au gaz, la rentabilité de ses centrales ayant fondu, voire sombré. C’est la raison d’être du mécanisme de soutien flexible qui garantira une rentabilité minimum aux turbines, pour une durée de maximum six ans. On parle d’un plafond de 90.000 euros par MW installé par an en “base” et de la moitié en “pointe”. “Subsidier des centrales au gaz rendra l’électricité belge encore plus chère que dans nos pays voisins, peste Peter Claes. Les subsides constituent une concurrence déloyale par rapport à ceux qui ont investi sans aides, et freinent le développement de solutions innovantes et moins chères.” Tout ça pour amortir le choc d’un manque éventuel ne dépassant pas les 40 heures par an, a calculé Febeliec. D’où l’histoire de la mouche et du canon.

Le noir est-il envisageable ? Les industriels préfèrent pointer d’autres pistes afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement du pays : le renforcement des capacités d’importation ou le recours accru à la gestion de la demande. Une gestion qui passe via l’industrie, justement, qui pourrait davantage réduire son importante consommation en cas de coup dur. Pour l’heure, le gestionnaire du réseau Elia dispose déjà d’une sorte de réserve interruptible de 331 MW ; il y a moyen de faire plus, relève Febeliec.

Le plan Wathelet ne dit pourtant pas autre chose. Aux côtés du soutien à la filière du gaz figurent, noir sur blanc, ces deux pistes : concrétiser dans les meilleurs délais les projets d’interconnexion avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, notamment. Et multiplier les contrats interruptibles afin de développer 400 MW supplémentaires de réserve stratégique. Noir sur blanc, mais pas suffisamment marqué pour Febeliec, visiblement.

La question fondamentale qui sous-tend cette discussion n’est en rien technique ou industrielle. Elle est, en fait, éminemment politique, voire philosophique. Et mérite d’être rappelée — ce qu’elle n’est que trop peu. Est-il envisageable que notre pays puisse passer quelques (rares) heures sans courant, sans que l’on crie au scandale intergalactique ? Est-il concevable de se passer d’onéreuses capacités de production qui ne servent qu’à couvrir quelques pics de la demande et d’opter, à la place, pour un éventuel déclenchement de plans de délestage ? Monsieur Tout-le-Monde se plaint fréquemment de sa facture électrique, qu’il trouve par trop salée. Demandez-lui s’il est prêt à se passer de jus, ne fût-ce qu’un tout petit peu. Répondre par la négative revient, implicitement, à en accepter le prix.

BENOÎT MATHIEU

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