Avec une économie qui patauge, il est trop tôt pour les réjouissances

L'économie patauge, se traîne, s'enlise, stagne...? Ce sera finalement 'patauger', et il n'y a aucune raison de se réjouir. © GettyImages

Luc Aben, économiste en chef de la banque privée Van Lanschot, suit de très près l’évolution de l’économie afin d’ajuster sa stratégie de placement en fonction notamment des constats qu’il en tire. Mais pour la qualifier, il ne sait trop quel mot choisir : elle patauge, se traîne, s’enlise, stagne… ? Ce sera finalement ‘patauger’, et il n’y a aucune raison de se réjouir.

Luc Aben : ” Quand l’économie s’est mise à avoir des ratés vers la mi-2018, beaucoup ont tenté de l’expliquer par des facteurs ponctuels et temporaires : l’épidémie de grippe, la mauvaise passe de la Turquie, les tensions commerciales, le niveau trop bas du Rhin, des problèmes liés aux nouvelles normes d’émissions en vigueur dans le secteur automobile allemand, l’interminable saga du Brexit, l’approche économique italienne… De l’avis général, tout cela allait bien finir par s’arranger. ”

Cependant, la dynamique économique s’est effectivement ralentie à partir de l’automne. ” Depuis, les prévisions de croissance ont connu un ajustement structurel dans le monde entier. Encore récemment, le Fonds monétaire international (FMI) a ajusté de 0,2% à la baisse ses prévisions de croissance pour 2019-2020. Rien de bouleversant, mais comme cet ajustement vaut aussi bien pour les États-Unis que pour l’Europe ou les marchés émergents, l’économie se met à hésiter et une certaine peur de la croissance se manifeste. ”

Dose d’EPO pour l’économie américaine

L’année dernière, Donald Trump a dynamisé l’économie américaine par une baisse des impôts. Un petit shoot d’EPO, estime Luc Aben. ” Fin 2018, il a été clair qu’aucun mur n’entourait (encore) les États-Unis, puisque la peur de la croissance qui régnait en Europe et en Asie les a finalement aussi atteints. La politique monétaire pratiquée par la FED, la banque centrale américaine a, elle aussi, suscité une certaine inquiétude : jusqu’en décembre 2018, son patron Jerome Powell n’a, en effet, cessé de répéter que le taux directeur devrait être plus élevé, mais janvier 2019 était à peine entamé qu’il faisait marche arrière et reportait ses intentions aux calendes grecques. ”

Donald Trump attentif à Jerome Powell, président de la FED.
Donald Trump attentif à Jerome Powell, président de la FED.© GETTY IMAGES

Les États-Unis continueront-ils à croître de 3%, comme l’année dernière ? ” Probablement pas. ” Y a-t-il une menace de récession ? ” Non plus : le chômage est faible et les salaires augmentent sans provoquer de pression inflationniste. Non, l’économie tient bon et continue de progresser dans son ensemble. D’autre part, peut-être que la FED baissera à nouveau son taux. ”

Le temps de l’action politique est venu

En Europe, l’économie patauge. ” J’ai parfois le sentiment que Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), veut à nouveau acheter beaucoup d’obligations pour injecter des liquidités dans l’économie européenne. Mais cette méthode ne peut aider que s’il y a aussi des réformes structurelles politiques. Lesquelles n’ont pas eu lieu. Rien ne bouge à ce niveau, ou pas assez. Et en dehors de cela, il reste bien peu d’autres outils à la disposition de la BCE. Il est vraiment temps que les responsables de la politique et des décisions monétaires prennent enfin des mesures coordonnées. Les décideurs politiques doivent prendre plus de mesures structurelles, qui seront différentes d’un pays à l’autre, cela va de soi. En Italie, cela pourrait être l’augmentation des pensions, et en Allemagne le rattrapage du retard numérique. ”

Mario Draghi, président de la BCE, présente ses résultats.
Mario Draghi, président de la BCE, présente ses résultats.© GETTY IMAGES

Et en Belgique ? ” Développer une politique visionnaire, sans courir derrière les sondages. Et surtout, ramener l’immense appareil bureaucratique à des proportions plus logiques. ”

Luc Aben plaide pour une intégration plus poussée des pays de la zone euro. ” Ils ont tous cédé leur politique monétaire à la BCE mais ont conservé leur pouvoir sur le budget (dans la limite de la marge de déficit budgétaire autorisée par l’Europe). C’est un peu comme la conduite d’une voiture : quand les deux mains agissent de concert sur le volant, vous arriverez à destination. Mais si une main (le monétaire) veut aller à gauche et l’autre main (le budgétaire) veut aller à droite, la conduite devient difficile. Il est impératif d’amener une partie des budgets nationaux jusqu’au niveau européen, et avoir un ministre des Finances européen serait plus que sensé. ” Impossible “, affirment certains. Pourtant, avec un minimum de volonté politique, c’est bel et bien possible. Les moyens financiers existent. Le compte courant de la zone euro (ce qui reste aux particuliers et aux entreprises) avoisine les 380 milliards d’euros par an ! Pour l’instant, cet argent quitte la zone euro pour être investi ailleurs. Pourquoi ne pouvons-nous pas l’injecter dans notre propre économie ? Via des travaux d’infrastructure utiles, par exemple ? ”

Le marché intérieur chinois

En Chine aussi, la croissance se ralentit. La faute aux tensions commerciales ?

Xi Jinping, le leader Chinois, dans la Grande Salle du Peuple.
Xi Jinping, le leader Chinois, dans la Grande Salle du Peuple.© GETTY IMAGES

Luc Aben : ” Pas exclusivement, je pense. La croissance a été surtout freinée par la lutte contre l’énorme dette du pays. La Chine a aussi connu une période un peu plus difficile en 2015 et 2016 mais, à l’époque, le gouvernement avait injecté des sommes considérables. La recette appliquée ces derniers mois est devenue plus subtile. Le gouvernement a notamment réduit les impôts directs et indirects, ce qui se traduit par une croissance économique (plus) graduelle. La reprise de la croissance devra en tout cas venir de la demande intérieure. Cela s’inscrit dans le grand virage opéré par la Chine, d’un modèle avec une industrie lourde et axé sur l’exportation vers un modèle axé sur le marché intérieur et composé principalement de services. Ce changement de cap ne date pas d’hier mais pourrait s’étaler sur une génération ou deux. Et en Chine aussi, le spectre du vieillissement de la population se profile à l’horizon. “

Stratégie d’investissement

Une économie mondiale qui patauge, qu’est-ce que cela signifie pour la stratégie d’investissement de Van Lanschot ?

Luc Aben, économiste en chef chez Van Lanschot
Luc Aben, économiste en chef chez Van Lanschot© PG

Luc Aben : “Nous ne nous lançons pas tête baissée dans le risque plus élevé que représentent les actions car les bénéfices des entreprises stagnent quand la croissance ralentit. D’autre part, il n’y a pas vraiment d’alternative dans la mesure où l’intérêt généré par les obligations reste très bas. Le choix entre des obligations, avec un rendement maximum de 1%, et des actions avec un rendement de près de 4% (dividende) est rapidement fait. Ce dividende doit bien entendu être durable mais nous ne prévoyons pas de récession. Et même avec une croissance de seulement 1% en Europe, les bénéfices des entreprises peuvent croître de 3% à 4% par an.

C’est la raison pour laquelle nous nous en tenons à une pondération neutre en actions, avec un équilibre dynamique entre des obligations à court terme et des actions (l’accent étant mis sur les sociétés en tant qu’émetteurs). En ce qui concerne les actions, l’accent repose sur les pays émergents. En Europe, je ne m’attends pas immédiatement à une nouvelle dynamique mais en revanche, en Chine, à Taïwan, en Corée du Sud…, on assiste à un renouveau. Globalement, nous préférons les secteurs plus défensifs : soins de santé, services publics, énergie… Parce que les entreprises de ces secteurs versent un dividende plus intéressant que le rendement que l’on peut attendre des obligations.”

(Source: Le Vif Extra: Make Money, Be Happy)

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