Augmenter le taux d’emploi en réinsérant les malades de longue durée? Le gouvernement Michel a échoué, comment y remédier?

Le gouvernement Michel s’était donné pour priorité d’augmenter le taux d’emploi. Dans cette optique, il s’est notamment attaqué aux malades de longue durée. Mais les plans de réinsertion n’ont pas fait baisser leur nombre. Comment y remédier ?

Selon la sécurité sociale, le nombre de personnes en incapacité de travail a grimpé de plus de 7% l’année dernière, soit autant que la diminution du nombre de chômeurs. Pourtant, la politique menée par le gouvernement Michel ces dernières années visait à la fois à remettre davantage de malades de longue durée au travail et à réduire le nombre de chômeurs. Ces mesures n’ont visiblement pas porté leurs fruits.

La Belgique compte plus de 400.000 personnes en congé maladie depuis plus d’un an. S’y ajoutent 438.000 individus en incapacité de travail primaire – des travailleurs dont l’absence pour maladie est inférieure à un an. L’année dernière, l’INAMI a remboursé près de 8,3 milliards d’euros de prestations de santé pour maladie et invalidité. Un chiffre supérieur au montant annuel des allocations de chômage.

“Les allocations de chômage et de l’INAMI fonctionnent apparemment comme des vases communicants”, constate le député N-VA Jan Spooren. Ce dernier est apparu, durant les négociations de 2014 pour la formation d’un gouvernement, comme un fervent partisan de la réactivation des malades de longue durée. “Tout le monde s’accorde à dire que nous devons augmenter le taux d’emploi si nous voulons continuer à assumer les dépenses de sécurité sociale. Mais les mesures actuelles ne produisent pas les effets escomptés. Nous perdons en incapacité de travail ce que nous gagnons en recul du chômage. La politique actuelle a freiné l’augmentation des dépenses liées à l’incapacité de travail, mais le résultat ne suffit pas pour supporter les coûts du vieillissement.”

Kris De Meester, conseiller auprès de la FEB, relativise ce constat. “Il n’existe pas de lien linéaire entre ces deux groupes”, affirme-t-il. “La plupart des malades de longue durée ne sont pas issus du chômage, mais sont encore sous contrat de travail. Il faudrait ventiler les chiffres de l’incapacité de travail entre les individus avec et sans contrat de travail. Ce n’est qu’au vu du résultat qu’on pourra déterminer dans quelle mesure chômage et incapacité de travail fonctionnent en vases communicants.”

L’augmentation n’en est pas moins frappante : entre 2014 et 2018, le nombre de travailleurs en incapacité de travail depuis plus d’un an a progressé de 79.172 unités. Il se pourrait que l’accès aux allocations de maladie soit une solution de rechange trop facile pour les personnes qui risquent de perdre leurs indemnités de chômage ou veulent réduire l’écart jusqu’à l’âge de la retraite. Mais il est plus compliqué d’accéder à ce système depuis quelques années. Par exemple, le nombre de mois de mois de travail requis pour pouvoir prétendre aux allocations d’invalidité a été relevé de six à douze. Notre pays se place ainsi dans la moyenne européenne.

Le gouvernement a aussi mis en place des plans de réintégration. Ceux-ci doivent permettre aux travailleurs de longue durée de retrouver plus facilement le chemin du travail. Dans certains cas, ces plans doivent rendre plus compliquée une installation définitive dans l’incapacité de travail.

Pic démographique

L’augmentation du nombre de malades de longue durée en dépit des règles plus strictes s’explique en partie par le vieillissement. Le nombre plus important de travailleurs plus âgés entraîne une augmentation du nombre de travailleurs souffrant de maladies liées à l’âge. C’est ce qui ressort des statistiques relatives à l’incapacité de travail. Une étude menée par les Mutualités Socialistes sur la base des données de leurs membres indique également que le vieillissement accroît la durée de l’incapacité de travail. En moyenne les travailleurs plus âgés sont moins souvent malades mais le sont plus longtemps que leurs collègues plus jeunes.

Un certain nombre de mesures prises par le gouvernement Michel – comme la suppression progressive de la prépension et le relèvement de l’âge de la pension – renforcent encore l’effet du vieillissement. Par exemple, l’âge effectif du départ à la pension est passé de 59 à 61 ans. Un succès pour la coalition suédoise, certes, mais une augmentation du nombre d’absences de longue durée. “La désillusion était à prévoir”, estime Paul Callewaert, secrétaire général de l’Union Nationale des Mutualités Socialistes. “Nous avons l’impression qu’il s’agit plus d’une politique de façade que d’une série de mesures cohérente. Il est illusoire de croire que le nombre d’invalides baisse quand on relève l’âge de la pension et que l’on supprime la prépension.”

Il est illusoire de croire que le nombre d’invalides baisse quand on relève l’âge de la pension et que l’on supprime la prépension – Paul Callewaert, Mutualités Socialistes

Le scepticisme est aussi de mise chez les employeurs. “Le nombre de malades de longue durée reste élevé”, constate Kris De Meester. “La politique récente a eu pour effet de ralentir son augmentation. Les choses devraient s’améliorer une fois que nous aurons franchi le pic démographique.”

Sans responsabilisation

L’effet du vieillissement ne suffit pas à expliquer que les plans de réintégration ne produisent pas les résultats escomptés. Un certain nombre de mesures prévues dans l’accord du gouvernement n’ont pas été mises en oeuvre ou ne l’ont été qu’en 2017. C’est ainsi qu’on n’a pas donné suite à l’idée de responsabiliser les médecins, les employeurs et les travailleurs. “Ma proposition d’introduire des emplois d’insertion professionnelle est toujours en attente”, déclare Jan Spooren. “Elle vise à faciliter la transition vers un autre employeur pour la personne en incapacité de travail. Cette mesure figurait pourtant dans l’accord d’été 2018 du gouvernement. “

Le plan initial de réinsertion des malades de longue durée prévoyait d’infliger une amende aux employeurs qui ne collaboraient pas à un trajet de réintégration. Son montant était fixé à 800 euros par travailleur en incapacité de travail concerné. Une mesure de responsabilisation des travailleurs était également sur la table : ils pouvaient perdre une partie de leurs indemnités.

Aucune de ces deux propositions n’a abouti. Du côté des Mutualités Socialistes, Paul Callewaert souligne que les patients sont déjà pénalisés par un parcours administratif semé d’embûches. “Pour nous, encourager une reprise du travail est positif en soi, mais les effets secondaires sont trop nombreux. Récompenser les employeurs qui proposent de bons plans de réintégration nous semble une bonne idée”, ajoute-t-il. ll va sans dire que les employeurs applaudissent des deux mains.

Fit note

L’introduction du trajet de réintégration a entraîné un changement de mentalité. Peu à peu on met l’accent sur les capacités dites résiduelles du travailleur plutôt que sur son incapacité.

Voilà pour la théorie. Dans la pratique, tous les médecins traitants n’y ont pas encore été associés. C’est pourquoi un renforcement de cette politique est exigé. En février, l’organisation patronale flamande Voka a proposé de remplacer le certificat médical classique par une fit note. Cette idée s’inspire d’une pratique courante au Royaume-Uni. La fit note impose aux médecins de décrire ce que le patient est encore capable de faire. Par exemple, rien n’empêche un employé d’un helpdesk qui a la jambe cassée de travailler si on vient le chercher.

Lors d’une journée d’étude qui s’est tenue en octobre dernier, les Mutualités Libres (ML) ont même plaidé pour un prolongement de l’invalidité primaire tant que subsiste la chance d’une reprise du travail. Aujourd’hui, tout malade de longue durée se voit attribuer administrativement le statut d’invalide au bout d’un an. Pour les ML, il faut revoir la définition administrative de l’invalidité. C’est une question de psychologie. “Ce terme est perçu comme péjoratif et définitif”, explique Xavier Brenez, directeur général des ML. “Nous voulons en finir avec ce délai administratif d’un an. Il ne tient pas compte des capacités restantes du travailleur. On compte en moyenne un an et demi pour se remettre d’un burn-out. Aujourd’hui, la personne qui en souffre tombe sous le régime de l’invalidité.”

Accélération administrative

On peut accueillir positivement ce trajet formel de valorisation des capacités résiduelles, mais il faut reconnaître que les trajets de réintégration restent plutôt une exception. Pour chaque plan de réintégration, on dénombre dix cas de reprise du travail à temps partiel du travail issus d’une concertation entre l’employeur et le travailleur.

Kris De Meester pointe une possibilité d’améliorer cette concertation. “Cette matière dépend encore de la compétence de deux ministres : celui des Affaires Sociales et celui de l’Emploi”, constate-t-il. “Cette répartition fait perdre un temps précieux dans la mise en oeuvre d’un trajet de réintégration. Il faudrait pouvoir examiner beaucoup plus vite les possibilités sur le marché du travail – le plus tôt reste le mieux. On sait que la personne qui s’absente du travail durant six semaines reste souvent chez elle pour des raisons qui n’ont plus rien à voir avec ses problèmes de santé initiaux. Je ne parle pas de pathologies graves comme le cancer, mais de maux de dos par exemple. Inutile d’attendre quatre mois avant de chercher une alternative. En Norvège, des solutions sont à l’étude après seulement deux semaines.

On compte en moyenne un an et demi pour se remettre d’un burn-out. Aujourd’hui, la personne qui en souffre tombe sous le régime de l’invalidité – Xavier Brenez, Mutualités Libres

Dans ce cas, le quick scan effectué actuellement par les médecins-conseils des mutualités devrait disparaître. Celui-ci donne une première indication relative à la reprise éventuelle du travail. “Il vaudrait mieux le remplacer tout de suite par une évaluation approfondie”, estime Jan Spooren. “Elle permettrait de déterminer directement ce qu’une personne peut et ne peut plus faire. En 2014, nous avons opté pour un quick scan en raison des coûts plus élevés d’une évaluation approfondie. Mais examiner plus rapidement les alternatives qui s’offrent au travailleur, et consacrer un peu plus de temps et d’argent à l’évaluation initiale me semble une bonne idée. En plus d’augmenter sensiblement les chances d’une reprise du travail, cela répondrait aux critiques selon lesquelles trop de plans de réintégration peuvent mener à une démission forcée.”

Traduction : virginie·dupont·sprl

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content