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Augmentation des salaires: et si on ciblait un peu plus?
Avec un budget limité, un paysage chahuté et des défis qui s’accumulent, nous avons besoin de finesse comme de pain.
Le débat sur les salaires, nourri par deux informations apparemment contradictoires, a pris un tour agressif ces derniers jours. D’un côté, la Banque nationale a indiqué que le taux de marge des entreprises (qui calcule, en gros, la part de valeur ajoutée conservée par l’entreprise après avoir payé les salaires et les impôts de production) continue d’augmenter. De l’autre, le Conseil central de l’économie estime que le handicap salarial entre la Belgique et ses voisins s’est creusé pour atteindre près de 6%, ce qui ne laisse pas de place pour une augmentation des salaires réels ces deux prochaines années. Evidemment, côté syndical, on s’étrangle: quoi, les entreprises sont riches, et il n’y aurait pas moyen d’augmenter les salaires?
La réponse doit être nuancée, trois fois. Primo, les salaires ne sont pas bloqués puisque l’indexation automatique fera qu’ils seront relevés d’une dizaine de pour cent l’an prochain. Secundo, le “taux de marge” d’une entreprise n’est pas son bénéfice. Il n’est pas nécessairement un signe de richesse. Ces dernières années, cette marge sert d’ailleurs de plus en plus, comme le souligne le Conseil central de l’économie, à financer des amortissements: pour produire la même quantité de richesses, les entreprises ont besoin de machines plus chères et de les renouveler plus souvent. A cette réalité s’ajoute le fait que les entreprises qui le peuvent se constituent des réserves en prévision des futures factures énergétiques, des hausses salariales et des incertitudes qui volent en escadrille autour d’elles. Et tertio, les écarts salariaux sont bien plus grands entre secteurs qu’entre pays. L’écart de rémunération moyenne est bien plus grand entre un employé d’un géant du digital et un employé de l’horeca qu’entre un travailleur belge et son homologue néerlandais.
Tout cela pour dire que nous avons encore trop la mauvaise habitude de vouloir prendre des mesures “linéaires”, non ciblées, sans descendre un peu dans une analyse plus fine. Certes, on comprend pourquoi: politiquement, les déclarations à l’emporte-pièce sont bien plus faciles à faire entendre que des propositions plus nuancées, et rapportent bien davantage de voix ou de cotisations.
Mais ce mode de pensée “linéaire”, qui ne tient pas compte des spécificités des secteurs et des entreprises, amène à des situations qui peuvent vite devenir intenables. Alors oui, certaines entreprises ont des marges et des perspectives suffisantes pour augmenter les salaires au-delà de l’inflation. D’autres, en revanche, ne les ont pas, et se demandent même comment faire face dans quelques mois à l’explosion de leurs factures énergétiques et à la hausse programmée de 10% des coûts salariaux.
On pourrait d’ailleurs avoir une réflexion similaire sur la décision prise lors du dernier contrôle budgétaire de limiter désormais, pour les grandes et moyennes entreprise, la déductibilité des pertes. Cela rehausse le taux réel de l’impôt des sociétés pour ces entreprises et comble donc l’écart fiscal entre PME et grands comptes, mais cela leur donne aussi moins de souplesse pour affronter les chocs qui se succèdent à un rythme effréné.
Par les temps qui courent, avec un budget limité, un paysage chahuté et des défis qui s’accumulent, nous avons besoin de finesse comme de pain. Et cela nécessite deux prérequis. D’une part, il faut des outils, notamment statistiques, pour pouvoir identifier les acteurs qui peuvent supporter telles mesures, et ceux qui ne le peuvent pas. Or, ces outils, nous ne les avons pas en suffisance. D’autre part, il faut la volonté politique de les utiliser. Or, le climat actuel, avec des acteurs à couteaux tirés, n’incite pas à développer des analyses fines et des décisions ciblées et mesurées.
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