Au Moyen-Orient, les sables sont de plus en plus mouvants
D’Israël à l’Arabie saoudite en passant par l’Iran et la Syrie, la toile complexe des alliances va continuer d’évoluer.
Parmi les sables mouvants de la diplomatie du Moyen-Orient, le changement le plus marquant ces dernières années est la paix plus solide instaurée entre Israël et une partie du monde arabe grâce aux accords d’Abraham signés par l’Etat juif, les Emirats arabes unis et le Bahreïn en 2020, suivis par des ententes similaires avec le Maroc et le Soudan. Depuis lors, Israël ne s’est pas fait prier pour nouer des liens commerciaux et technologiques, notamment avec les Emirats arabes unis et le Maroc.
L’une des questions clés pour 2023 sera de savoir si ce bloc économique naissant va prospérer et s’élargir. Si les traités de paix avec la Jordanie et l’Egypte tiennent bon, c’est l’Arabie saoudite, dont les relations détournées avec Israël devraient se développer, qu’il faut tenir à l’oeil: Mohammed ben Salmane, prince héritier et dirigeant actuel, aurait notamment consacré 2 milliards de dollars pour prospecter les start-up israéliennes. Mais bien que l’Arabie saoudite soit largement pressentie comme prochain membre du club abrahamique, ces relations plus cordiales ne seront probablement pas formellement reconnues tant que le roi Salmane, vieillissant, restera sur le trône… ni tant qu’il n’y aura pas d’ébauche de solution entre Israël et la Palestine.
Les accords d’Abraham ont diminué la pression sur Israël pour donner un statut aux Palestiniens, plus désespérés que jamais sous la faible gouvernance de Mahmoud Abbas (88 ans en 2023). La plupart des gouvernements arabes, et peut-être même leurs populations, semblent avoir perdu foi en la cause palestinienne. Mais à Jérusalem, une résurgence des conflits entre les militants israéliens et palestiniens mettrait ces accords à l’épreuve. Les parties prenantes espèrent séparer les liens commerciaux et le conflit israélo-palestinien. Mais bien que les accords soient principalement de nature économique, ils servent aussi à contrer un ennemi commun, l’Iran.
Schisme sunnisme-chiisme
Le schisme le plus dangereux de la région reste celui qui divise le sunnisme, courant dominant parmi les Arabes, et le chiisme, une alternative adoptée par l’Iran et ayant des ramifications en Syrie et au Yémen. Mais ce conflit séculaire n’est pas immuable. Certains Arabes du Golfe qui se sont longtemps montrés hostiles envers l’Iran pourraient désormais chercher un terrain d’entente. C’est le cas des Emirats arabes unis et du Qatar, qui ont longtemps commercé dans cette région. En revanche, l’Arabie saoudite devrait rester fermement opposée à une proposition de paix.
Les chances de reviviscence de l’accord sur les plans nucléaires iraniens entre les puissances occidentales et l’Iran sont faibles si les ayatollahs restent au pouvoir. Et maintenant que Benyamin Netanyahou est parvenu à former une coalition gouvernementale après les élections du 1er novembre 2022, les chances seront encore plus faibles. Mais si le régime iranien tombait face aux manifestations et aux troubles persistants actuels, les tensions dans le Golfe s’apaiseraient pour le bien de tous. Israël pourrait même renouer le dialogue avec l’Iran.
La guerre en Ukraine fait diversion
Le principal protégé de l’Iran dans la région, le Syrien Bachar al-Assad, survivra probablement tant que l’Occident est distrait par la guerre en Ukraine. Il continuera à resserrer son emprise, déjà bien ancrée, sur le pays bien que les frontières avec la Turquie et l’Irak connaissent des poussées de violence. Les dirigeants arabes ayant tenté de le renverser, comme ceux des Emirats arabes unis ou du Qatar, s’adoucissent à nouveau. C’est aussi le cas de la Turquie… Bien qu’enlisée en Ukraine, la Russie sera peu encline à abandonner son allié syrien.
Le Yémen pourrait rester le pays le plus sanglant du Moyen-Orient en 2023, bien qu’une trêve conclue en avril entre les belligérants puisse être retrouvée. Quant à la Libye, elle devrait, elle aussi, rester divisée en deux parties mécontentes, entrant périodiquement en guerre, tandis que l’Onu cherche les moyens d’un consensus. Les relations entre l’Algérie et son voisin, le Maroc, le plus peuplé des pays arabes après l’Egypte, le Soudan et l’Irak, resteront gelées à cause d’un conflit de longue date sur le Sahara occidental, riche en phosphate et dont le Maroc revendique la souveraineté, contestée par l’Algérie.
A l’échelle mondiale, le Maroc pourrait gagner du terrain sur le plan diplomatique mais il est peu probable que l’Algérie cède. Il est absurde que les citoyens de pays arabes voisins ne puissent pas traverser les frontières. Les vieilles animosités ne disparaîtront pas de si tôt. Hormis, pour le moment, celles envers Israël.
Xan Smiley, rédacteur en chef à “The Economist”
Source : The Economist. Sous licence exclusive à Trends-Tendances
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