Au milieu de nations submergées, l’Inde surnage

Malgré les cyclones, le covid et l'inflation, l'Inde a pu retrouver une vie normale. © REUTERS

En Asie du Sud, les économies ont dégusté en 2022. Mais l’Inde est quand même parvenue à garder la tête hors de l’eau.

Peu de régions dans le monde débuteront aussi mal leur année 2023 que l’Asie du Sud. Revenons sur les événements qui ont jalonné cette année dans la région. Au Sri Lanka, l’économie s’est effondrée, l’inflation a atteint les 70%, il y a pénurie de nourriture et de carburant et un président a été chassé du pays par un soulèvement populaire. Le Pakistan a failli se retrouver en faillite, a connu des inondations dignes de l’Ancien Testament ayant provoqué, selon les estimations, de 32 à 40 milliards de dollars de dégâts et se retrouve à devoir gérer les incessantes perturbations d’Imran Khan, un ex-Premier ministre rageur qui rend le pays ingouvernable. Au Bangladesh, en plus des inondations qui ont frappé le pays, des accidents industriels effroyables se sont produits et la population est en train de perdre patience avec le million de réfugiés Rohingya qu’elle a sur les bras. Le Népal, lui, a dû faire face à la diminution de ses réserves de devises étrangères.

6,8 % de croissance pour l’Inde

Pourtant, une lueur d’espoir subsiste dans ce marasme ambiant. Selon la plupart des standards, l’Inde a traversé l’année 2022 sans y laisser trop de plumes. La levée des restrictions liées à la pandémie a rétabli une vie normale et permis aux migrants de recommencer à voyager dans le pays. La hausse des taux de la banque centrale a été moins brutale que celle des pays riches. L’inflation, d’environ 7%, semblait franchement raisonnable comparé à celles des Etats-Unis et du Royaume-Uni, sans parler de celles du Pakistan et du Sri Lanka.

Selon les prévisions, l’économie devrait croître de 6,8% sur l’ensemble de l’année, dépassant toutes les grandes économies à l’exception de l’Arabie saoudite. Mesurée en dollars au cours actuel, l’Inde est désormais la cinquième économie mondiale, soufflant la place au Royaume-Uni. L’écart entre les deux pays ne fera que s’élargir en 2023, à en croire les estimations du Fonds monétaire international.

Un numéro d’équilibriste

La réélection convaincante du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party, dans l’Uttar Pradesh, un Etat important – mais également dans d’autres Etats plus petits – garantit une certaine stabilité dans une région en proie aux troubles. Sur la scène internationale, le premier ministre Narendra Modi a réussi à garder l’équilibre entre la Russie, son allié historique, et l’Occident, duquel l’Inde se rapproche de plus en plus. Et son ministre des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a habilement défendu le droit de l’Inde à accorder la priorité à ses intérêts nationaux.

Ce parcours remarquable devrait se poursuivre en 2023. Alors que la Chine souffre d’un ralentissement qu’elle s’est elle-même infligé et que certains pays occidentaux sont au bord de la récession, la croissance de l’Inde ne ralentira guère. Ainsi, son économie devrait croître de 6,1%. Cela s’explique en partie par l’intérêt manifesté par les pays étrangers. En effet, à mesure que la relation entre la Chine et l’Occident se refroidit, les entreprises cherchent à relocaliser leurs usines. L’Inde est la grande gagnante.

A mesure que la relation entre la Chine et l’Occident se refroidit, les entreprises cherchent à relocaliser leurs usines. L’Inde est la grande gagnante.

Les investissements nationaux sont un autre facteur favorisant le développement de l’Inde. Les plus grands conglomérats du pays dépensent sans compter dans les énergies propres, notamment le solaire, l’éolien et l’hydrogène.

De nombreuses entreprises sont attirées par les subventions gouvernementales encourageant la production dans 14 secteurs clés, comme les appareils électroniques, les médicaments, les drones et les batteries. Les géants indiens comme Adani et Reliance, ainsi que de nouvelles entreprises comme Ola, une start-up de covoiturage et de mobylettes électriques, en profitent.

Pourtant, l’Inde ne se développera pas dans une bulle. Comme les autres pays d’Asie du Sud, elle est exposée à certains risques, des événements et des tendances qui sont hors de son contrôle.

Toujours le climat

Trois facteurs menacent de déstabiliser le sous-continent en 2023. Le premier, c’est le coût de la vie. Les crises économiques et climatiques ont rendu le quotidien très difficile pour de nombreux habitants au Sri Lanka et au Pakistan, mais c’est l’ensemble de la région qui paye le prix fort de la guerre en Ukraine, qui a entraîné une flambée des prix de la nourriture et des carburants. Un dollar surpuissant, dopé par le resserrement rapide de la politique monétaire américaine, fait grimper tous les prix. L’inflation en Inde a beau ne pas être aussi grave qu’ailleurs, elle fait quand même mal.

Ensuite, deuxième sujet de grande inquiétude: le climat, de plus en plus imprévisible. Au Pakistan et dans le nord de l’Inde, une vague de chaleur record aux mois de mars et d’avril a complètement paralysé certaines villes. Les habitants ont dû rester cloîtrés chez eux. Les deux pays ont également souffert de précipitations extrêmes. La sous-région est particulièrement vulnérable au changement climatique. D’autres vagues de chaleur, sécheresses et inondations records sont à prévoir.

Différend frontalier

Enfin, la géopolitique est le troisième facteur déstabilisant: l’Inde et la Chine n’ont toujours pas réglé un différend qui remonte à 2020 concernant une frontière dans les montagnes du Ladakh. Dans un tel climat de suspicion mutuelle, de petites confrontations risquent de prendre des proportions énormes, d’autant plus que l’Inde se rapproche de l’Occident.

Les pays d’Asie du Sud, éprouvés par 12 mois de bouleversements, espèrent que la nouvelle année sera plus calme, plus stable et plus prospère. L’Inde, dont l’économie a atteint un tournant, nourrit les mêmes espoirs.

Leo Mirani, correspondant à Bombay de “The Economist”

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