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Assassinat de Julie Van Espen: “La mission de la justice”

La justice fait de nouveau l’objet de critiques de la part d’une opinion publique mal informée. L’assassinat d’une jeune fille par un violeur, apparemment récidiviste, condamné en première instance mais laissé en liberté en attendant le procès d’appel, entraîne des critiques à l’égard des juges, du système judiciaire et même du ministre de la Justice.

Certes, la victime serait sans doute encore en vie si le coupable avait été en prison au moment des faits. Mais le rôle de la justice n’est pas d’empêcher préventivement que se commettent des crimes. En matière pénale, elle doit assurer que les coupables soient sanctionnés, et que ceux qui sont innocents ne le soient pas. Comme chacun est présumé innocent jusqu’au jour où il est définitivement condamné en tant que coupable, on ne peut, sauf les exceptions prévues par la loi, incarcérer une personne dont il n’est pas définitivement établi qu’elle a commis un crime. Et on peut encore moins mettre en prison quelqu’un qui est seulement “susceptible” de commettre un autre crime, aussi grave soit-il.

Rappeler que telle est la mission de la justice est évidemment une évidence, mais cela ne semble pas l’être pour une partie de l’opinion publique qui croit qu’on peut se permettre de sanctionner à l’avance des personnes qui n’ont encore rien fait, ou qui sont accusées d’infractions mais pas encore définitivement jugées. On rappellera à ce sujet le mouvement d’opinion qui s’était dessiné en France pour permettre de sanctionner des personnes simplement fichées par la police comme étant dangereuses. Un Etat où cela serait permis n’est plus un Etat de droit.

La mission des juges est d’appliquer la loi, en ce compris les règles relatives à l’appel suspensif d’une condamnation qui empêche, sauf dans des cas précis, de faire purger une peine qui n’est pas définitive. Ils sont aussi tenus de respecter la présomption d’innocence, élément essentiel de la justice. Et, dans ce domaine plus que dans tous les autres, l’erreur est humaine, même si ses conséquences sont parfois lourdes. Il y a et il y aura toujours des erreurs judiciaires, des personnes que l’on condamne à tort et d’autres que l’on innocente sans bonne raison ou simplement parce que la preuve de leur culpabilité n’a pas été établie. Ces erreurs font partie du système et on n’y changera jamais rien parce que la justice n’est qu’humaine. Elle doit appliquer des lois qui visent, non pas à établir la vérité tout court, mais une ” vérité judiciaire “, qui peut parfois être différente.

Enfin, il faudrait clarifier le rôle de la justice, et particulièrement de la justice pénale. Celle-ci doit certainement veiller à juger les crimes les plus graves. Mais si l’on prétend qu’il incombe aux tribunaux de sanctionner toutes les infractions, de toute nature, qui sont commises dans le pays, on assigne à la justice une mission impossible. Contrairement à ce qu’on dit dans certains partis, ce n’est pas simplement une question de moyens. La justice résoudra certes plus d’affaires si elle dispose de plus de juges et de greffiers. Mais elle ne pourra jamais sanctionner toutes les personnes qui enfreignent la loi pénale. Parce que des infractions de roulage à tous les délits incriminés par des milliers de lois particulières, leur nombre est tout simplement excessif. Le législateur abuse en effet des sanctions pénales, et parfois même les édicte en sachant très bien qu’il est impossible de les appliquer.

Il faut se rendre compte que dans notre pays, des dizaines de milliers de comportements sont interdits sans même que, souvent, leurs auteurs sachent qu’ils enfreignent la loi. Et sans analyse approfondie, même des spécialistes ne sont pas toujours en mesure de distinguer ce qui est interdit de ce qui ne l’est pas. On devrait ainsi peut être commencer par nettoyer sérieusement la liste de ce qui doit être sanctionné et, parmi ces actes, de ce qui doit réellement l’être par des juridictions pénales. Des milliers d’incriminations d’ordre administratif, environnemental, social ou fiscal sont passibles de sanctions pénales, parfois en plus des sanctions administratives prévues par les mêmes dispositions.

Dans l’amas des comportements susceptibles de sanctions, la justice est bien obligée de faire la part des choses, de poursuivre certaines personnes et non d’autres, parce qu’elle est incapable de tout poursuivre. Or, c’est peut-être entre autres parce qu’elle est noyée de plaintes portant sur des comportements qui pourraient ne pas faire l’objet de sanctions ou être sanctionnés autrement que la justice manque de moyens pour sanctionner des actes criminels qui, eux, méritent réellement une répression efficace et rapide. Une des grandes questions à résoudre à l’avenir est donc de mieux décider ce qui mérite réellement une action pénale et ce qui pourrait être réglé d’une autre manière.

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