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Annuler la dette? Sympathique, mais catastrophique!
Faut-il annuler la dette des Etats européens ? Ou plus précisément, faut-il annuler la partie de la dette des Etats de la zone euro qui est détenue par l’Eurosystème, c’est-à-dire les banques centrales de ces Etats ? La proposition est sympathique. En tant que contribuables, nous sommes tous partie prenante à cette dette publique. Et quel débiteur n’aimerait pas voir son ardoise s’effacer tout à coup ?
Une lettre ouverte rédigée par une centaine de personnalités de renom (Thomas Piketty ou, chez nous, Paul Magnette, Philippe Defeyt, Olivier De Schutter) reprend cette idée simple et séduisante: la crise sanitaire a gonflé un endettement public qui était déjà au plafond avant la crise, mais cette nouvelle dette, estimée à 2.500 milliards d’euros, a été en grande partie logée – grâce aux opérations de rachats d’actifs lancées par la BCE – dans les bilans des banques centrales. “Nous nous devons à nous-mêmes 25% de notre dette, résument ces personnalités. Et si nous remboursons cette somme, nous devrons la trouver ailleurs”, dans de nouveaux prêts, dans de nouveaux impôts, dans une baisse des dépenses. Alors pourquoi les banques centrales européennes n’annuleraient-elles pas cette nouvelle dette logée chez elles? En échange, les Etats lèveraient une somme équivalente (soit 2.500 milliards) pour véritablement financer la transition énergétique et rebâtir l’économie.
Le symbole politique serait fort. Mais ses implications seraient catastrophiques. On passera sur l’immense difficulté technique qu’il y aurait à annuler une partie de la dette souveraine de la zone euro sans devoir passer par un nouveau traité. On évitera de se centrer sur notre problème belgo-belge, puisque notre Banque nationale, contrairement à ses consoeurs, est encore partiellement détenue par des actionnaires privés dont on marcherait sur la tête.
On pointera seulement que cette proposition, qui en soi n’est pas utile puisque la dette logée dans les banques centrales est déjà aujourd’hui annulée de facto, risquerait de faire beaucoup plus de mal que de bien. Elle ébranlerait durablement un système financier dont la dette d’Etat est un pilier, en créant deux types de titres : ceux qui sont annulables et ceux qui ne le sont pas. Et en jetant un doute abyssal sur leur qualité puisque rien ne garantira plus qu’une obligation d’Etat ne puisse pas être annulée un jour. Or, les obligations d’Etat sont à la base de l’échafaudage financier. Cet actif réputé sûr se retrouve au bilan des assureurs et des banquiers, dans les fonds de pension et les sicav.
On ne joue pas impunément avec la dette. Dire que ces obligations risqueraient, ne fût-ce qu’en théorie, de ne plus être payées jetterait le discrédit sur les Etats, propulserait les taux vers des sommets et rendrait donc bien plus difficiles les financements futurs, ceux des Etats, mais aussi ceux des particuliers qui veulent acheter une maison, ceux des entreprises qui veulent s’agrandir, etc.
Et puis, annuler une dette est commettre un acte de défiance extrême à l’égard de l’avenir. Car ce qui fait la valeur d’un prêt, ce qui garantit qu’il sera remboursé, c’est la richesse qui sera créée avec cet argent. Dire qu’on ne remboursera pas, c’est dire que l’avenir n’apportera rien. On ne peut que souscrire à l’observation de la présidente de la BCE Christine Lagarde : “Si l’énergie dépensée à réclamer une annulation de la dette par la BCE était consacrée à un débat sur l’utilisation de cette dette, ce serait beaucoup plus utile”. Le vrai débat ne porte pas sur la dette, mais sur ce que l’on fait de cet argent.
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