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A Poutine, petit père de l’Union européenne

Baptisera-t-on bientôt, à proximité du Berlaymont, un square “Vladimir Poutine” ? Avec la mention : “Au petit père de l’Union européenne, à l’insu de son plein gré” ?

L’occupant actuel du Kremlin le mériterait amplement. Il a réussi en deux semaines à donner une impulsion incroyable dans trois domaines cruciaux : la transition climatique, la construction et la défense européenne, et l’impulsion technologique.

Voici quelques jours, Josep Borrell, le patron de la diplomatie européenne, rappelait dans une tribune que “certaines semaines peuvent ressembler à des décennies”. Les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine font partie de cette catégorie, poussant les pays européens à briser plusieurs tabous, rappelle-t-il : “Nous avons imposé des sanctions sans précédent aux oligarques liés au Kremlin et aux responsables de la guerre. Des mesures qui étaient impensables il y a quelques jours à peine – comme l’exclusion des principales banques russes du système Swift et le gel des avoirs de la Banque centrale russe – sont désormais en place. Et pour la première fois, l’Union européenne aide ses Etats membres qui fournissent des équipements militaires à l’Ukraine assiégée, en mobilisant 500 millions d’euros dans le cadre de la ‘facilité de soutien à la paix européenne'”.

On travaille aussi au bannissement du pétrole et du gaz russes (sans parler du charbon, dont la Russie est aussi un grand producteur). Conséquence, l’Europe devra coûte que coûte mettre en place le plus rapidement possible des formes d’énergies renouvelables et durables. Cela suppose d’intensifier les investissements dans les moyens de production déjà existants et d’accélérer la recherche et développement pour en trouver d’autres. L’industrie européenne devra aussi travailler à diversifier encore davantage ses sources d’approvisionnement en matières premières et à intensifier ses recherches pour, le cas échéant, se passer de certains matériaux.

Faire entrer la sécurité européenne dans l’âge adulte suppose de débloquer de grands budgets (l’Allemagne l’a fait) mais aussi de soutenir l’industrie de la défense qui existe sur le territoire et dont quelques beaux fleurons subsistent en Wallonie. Ces dépenses et ces efforts technologiques n’amélioreront pas notre confort de vie, au contraire. Nous sommes entrés dans une économie de guerre où la sécurité, la recherche d’une certaine autarcie et un certain protectionnisme prendront le pas sur le pouvoir d’achat et les rendements sur fonds propres. Adieu la mondialisation joyeuse. Mais c’est le prix à payer pour une Europe plus résiliente, plus forte, plus durable et, espérons-le, pour un retour à la paix.

On se gardera de “sauter comme des cabris” : il aura fallu une agression terrible, sanglante, contre un pays du Vieux Continent et des millions de réfugiés jetés sur les routes pour réveiller l’Europe. Et si la folie guerrière du maître de la Russie pousse l’Europe à s’unir, à investir dans sa défense et à repenser complètement sa politique industrielle et énergétique, il faut encore que ces premières impulsions soient suivies par d’autres.

Mais nous n’avons pas d’autres options. On voudrait espérer un changement de pouvoir en Russie. Toutefois, malgré le courage de milliers de manifestants, le régime poutinien reste solide. Comme le note un chercheur de la Rand Corporation, le célèbre think tank américain : “Le scénario d’un successeur libéral réformateur implorant le pardon pour les péchés de Poutine serait génial. Mais ce serait génial, aussi, de gagner au loto”. Le conflit risque donc de s’enliser. L’Europe, qui a déjà relevé la tête, doit s’y préparer.

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