2015 : Une année où on a joué avec le feu

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Les leaders mondiaux ont joué avec le feu en 2015. Certains parce qu’ils le devaient, d’autres parce qu’ils pouvaient le faire. Heureusement, nous ne sommes pas arrivés à un véritable brasier, mais le risque d’incendie reste élevé.

Les hommes et femmes politiques ne l’avoueront jamais, mais certains osent jouer avec le feu parce qu’ils savent que les pompiers, dans ce cas les banquiers centraux, se tiennent prêts à éteindre la moindre petite étincelle avec un nouveau flux d’argent frais.

Draghi

Début 2015, le président de la BCE Mario Draghi a d’emblée réclamé le rôle principal. En 2012, il avait – avec succès – promis de sauver l’euro. Fin 2014, il a promis de s’attaquer au danger de déflation en Europe en achetant à grande échelle des obligations d’Etat et d’autres actifs, et de mettre donc sur pied une variante européenne de l’assouplissement quantitatif (QE). En janvier, Draghi joint les gestes à la parole. A l’automne, il élargit cette expansion monétaire, bien que les marchés financiers, addicts à l’argent gratuit, s’attendaient encore à plus.

Cette politique porte entre-temps ses fruits. Les prévisions d’inflation se stabilisent, les octrois de crédit en Europe démarrent doucement et la reprise est un peu plus solide, notamment grâce à un euro affaibli, la forte chute des prix du pétrole et une politique budgétaire moins restrictive. En bref, le nuisible démon déflation semble pour l’instant mis hors-jeu. Mais avec une combinaison de croissance potentielle faible et de dette élevée, l’économie européenne reste sensible à la moindre étincelle de déflation. Les décideurs politiques font entre-temps trop peu pour stimuler la croissance et réduire les niveaux d’endettement, jusqu’à en irriter et désespérer Draghi & co.

Grèce

Au printemps, le danger d’incendie s’est déplacé vers la Grèce. Le gouvernement de gauche radicale d’Alexis Tsipras fraîchement élu essaie unilatéralement de changer les règles du jeu en reportant les économies et les réformes nécessaires, sans pour autant vouloir renoncer à la solidarité européenne. Cela mène à des chamailleries sans fin, notamment parce que Draghi limite l’incendie par l’action préventive de l’opération QE. Ce n’est que quand l’Allemagne a, de manière convaincante, menacé de jeter la Grèce hors de la zone euro, que l’Europe et la Grèce sont arrivées à un arrangement qui, jusqu’à présent, tient bon dans les grandes lignes.

Chine

En été, il y a alarme incendie en Chine. L’économie chinoise, et surtout l’industrie chinoise, est aux prises avec des surcapacités chroniques, des salaires en croissance et une monnaie chinoise relativement chère. Mais lorsque la Chine, de manière plutôt maladroite, déconnecte la monnaie du dollar en août, le reste du monde interprète cette forme de dévaluation comme un signal que l’économie chinoise se trouve en plus mauvaise posture que ce que les chiffres officiels suggèrent. La panique semble en grosse partie non fondée, mais il est clair que la transition vers un nouveau modèle de croissance ne se déroule pas aisément. La Chine joue ici avec la boîte d’allumettes, mais elle doit le faire, car la poursuite de l’ancien modèle de croissance transformerait l’économie chinoise en une forêt aride propice à prendre feu.

Beaucoup de marchés émergents partagent les répercussions et souffrent également des prix des matières premières en chute et de l’assèchement des flux de capitaux. En raison du malaise dans les pays émergents, l’économie mondiale croît à nouveau plus lentement en 2015 que la moyenne des dix dernières années, malgré la reprise en Occident.

Belgique

Entre les deux, la Belgique déclenche de temps en temps un détecteur de fumée, lorsque les partis gouvernementaux se disputent de manière un peu trop enthousiaste tout en étant aux commandes de la rue de la Loi. Le Premier ministre Michel joue toutefois le sapeur-pompier de son gouvernement, et sauve quelques accords majeurs des flammes. Le relèvement de l’âge de la pension, le saut d’index, le léger assainissement du budget et le tax shift relèvent le niveau de sécurité incendie, mais la maison Belgique reste encore constituée de trop de bois et de trop peu de pierre que pour attendre le prochain incendie le coeur tranquille.

Moyen-Orient

A l’automne, le véritable incendie mondial au Moyen-Orient réclame à nouveau toute l’attention. Les Etats-Unis, la Russie et les grandes puissances régionales que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite poursuivent leur guerre de l’ombre en Syrie, mais il y a aussi concertation diplomatique sur l’avenir du pays déchiré.

Le groupe terroriste Etat islamique fait usage de la confusion et des intérêts divergents des grandes puissances pour maintenir sa position. Et il organise une nouvelle vague d’attentats abominables, notamment à Paris, en réaction à la lutte plus intense contre l’Etat islamique.

La violence au Moyen-Orient nourrit entre-temps un flux de réfugiés, qui révèle la division profonde au sein de l’Union européenne. Le monde continue à jouer avec le feu au Moyen-Orient, tout comme l’Europe, qui échoue lamentablement dans l’organisation de sa propre sécurité et l’intégration des réfugiés et des migrants. La Belgique ne fait pas exception.

Yellen

A la fin de l’année, avec Janet Yellen, présidente de la Fed, une banque centrale réclame à nouveau toute l’attention. Le 16 décembre, Yellen prend un risque en augmentant pour la première fois le taux directeur du fait que l’inflation américaine se relève doucement, et parce que les effets nuisibles d’une politique monétaire très souple deviennent de plus en plus importants.

Cependant, il reste à voir comment les marchés financiers, l’économie américaine et l’économie mondiale réagiront à des taux d’intérêt américains plus élevés. Car des taux d’intérêt plus élevés continuent à représenter un danger d’explosion de la dette mondiale élevée. Un durcissement de la politique monétaire américaine est en tous les cas un premier essai, dangereux, mais noble, pour combattre le feu par le feu. Pour tenter de passer à une normalisation de la politique des taux d’intérêt et de transmettre le bâton de direction aux hommes et femmes politiques. Mais cela ne peut pas faire de mal de garder un seau d’eau à portée de main en 2016.

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