Stéfan Descheemaeker, le renfort caisse de Delhaize

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Stéfan Descheemaeker fait partie des ex-dirigeants d’Interbrew qui ont ouvré à l’accession du brasseur belge à la place de n°1 mondial. Depuis 18 mois, il est le “chief financial officer” de Delhaize. Pas de doute, avec son profil opérationnel et international, ce jeune quinqua est appelé à jouer un rôle-clé dans la croissance du groupe de distribution.

50 ans.

Ingénieur commercial (Solvay).

1984 : entre au cabinet du ministre des Finances de l’époque, Willy De Clercq.

1985 : stage chez Velco Enterprises aux Etats-Unis.

1986-1989 : s’occupe des fusions & acquisitions et des participations de Cobepa.

1989-1996 : rejoint le holding Defi, qui soutient la création de Deminor.

1996-2008 : entre chez Interbrew pour s’occuper de la stratégie et de la croissance externe. Il négocie entre autres les fusions avec Ambev et Anheuser-Busch en vue de faire du groupe belge le n°1 mondial de la bière. Il a aussi été responsable de zones opérationnelles (Etats-Unis, Europe de l’Est et Europe de l’Ouest). Depuis mai 2008, il est administrateur d’AB InBev.

2009 : chief financial officer de Delhaize.

Des supermarchés, Stéfan Descheemaeker en visitait régulièrement lorsqu’il travaillait chez AB InBev. “A l’époque, lâche-t-il en souriant, je me concentrais sur le rayon boissons.” Depuis sa nomination au poste de chief financial officer (CFO) de Delhaize en janvier 2009, il arpente plus souvent encore les grands magasins mais il les visite de fond en comble. “Je demande aux personnes qui sont sur le terrain de me montrer ce que je ne vois pas. Même si je viens d’un secteur un peu cousin à celui de la grande distribution, ma priorité au cours de ma première année chez Delhaize a été d’apprendre le métier.”

L’homme, qui vient tout juste de souffler ses 50 bougies, a rapidement trouvé ses marques dans son nouveau costume d’épicier. Et est fier de l’être. “C’est une magnifique boîte qui a encore un gros potentiel”, résume-t-il. “Stéfan n’est pas chez Delhaize pour faire de la figuration, observe Nicolas Hollanders, le directeur des ressources humaines du groupe, membre comme lui du comité exécutif. Il est très impliqué dans le New Game Plan.” Ce plan doit permettre à la multinationale, fondée voici 143 ans, de passer à la vitesse supérieure en accélérant la croissance de ses revenus et en augmentant son efficacité.

Négociateur des grosses acquisitions d’AB InBev

Ce jeudi, jour de l’assemblée générale de Delhaize, Stéfan Descheemaeker sera assis, aux côtés de Pierre-Olivier Beckers, son CEO, pour rendre des comptes aux actionnaires. “J’avais déjà assistéà l’assemblée, l’an dernier. Mais je débarquais dans l’entreprise. J’ai séché sur quelques questions et fait appel à l’équipe”, se souvient-il. Cette année, pas de stress. Il maîtrise parfaitement son sujet. Et puis les actionnaires ne devraient pas être trop grognons : le cours de l’action a gagné quelque 25 % depuis un an et la société a bien résisté à la crise.

Ingénieur commercial diplômé de Solvay, ce Bruxellois est arrivé dans la maison à l’emblème du lion avec une solide expérience en fusions et acquisitions, acquise au cours de ses 12 années passées chez AB InBev. Il fait partie de l’équipe d’ex- dirigeants d’Interbrew qui a piloté l’expansion internationale du brasseur belge. Il y est entré en 1996 avec l’appui d’Alexandre Van Damme, l’un des principaux actionnaires familiaux, pour s’occuper de la stratégie et de la croissance externe de l’entreprise.

“C’était juste après le (Ndlr, coûteux) rachat de la brasserie canadienne Labatt. Ma première question a été de demander s’il y avait encore de l’argent dans les caisses pour d’autres acquisitions !” L’homme a vite été rassuré car le groupe a poursuivi sa déferlante en Europe (de la Russie à l’Angleterre), en Asie (Chine et Corée) et en Amérique latine. Il a ainsi joué un rôle-clé dans le mariage avec le brésilien Ambev qui a donné naissance à InBev, en 2004. De même que dans le récent rachat de l’américain Anheuser-Busch qui a propulsé AB InBev au rang de premier brasseur du monde.

A l’origine de la création de Deminor

Né d’une mère verviétoise et d’un père originaire de Flandre-Occidentale, actif dans le textile, Stéfan Descheemaeker a parfait son néerlandais pendant son service militaire. “Je me suis retrouvé MP devant le parlement belge. C’est là que j’ai croisé Willy De Clercq, alors ministre des Finances, qui m’a engagé dans son cabinet.” Un an plus tard, c’est l’anglais qu’il part perfectionner aux Etats-Unis grâce à un emploi dans une société de trading.

De retour au pays, le jeune Descheemaeker devenu trilingue est paré pour entrer dans le monde des affaires. “J’ai contacté Pierre Scohier, le patron du holding Cobepa, qui avait été mon maître de mémoire à Solvay pour lui proposer mes services. C’est là que j’ai commencé à m’occuper de fusions et d’acquisitions.” En 1989, il est débauché par Daniel Weekers qui venait de créer Definance (devenu Deficom) avec l’ambition d’en faire “un petit Cobepa”.

Dans ce cadre, il participe à la création de Deminor. “L’idée revient à Eric Coppieters, insiste-t-il. Notre mérite, à Dany et à moi, a été de croire dans son projet. Comme Eric ne souhaitait pas en devenir le patron, nous l’avons aidé à engager un dirigeant en la personne de Pierre Nothomb.”

“Quand j’ai voulu lancer Deminor, complète Eric Coppieters, tout le monde m’a dit que j’allais me planter. Stéfan a eu l’intelligence de croire dans mon concept qui consistait à créer une structure de conseil pluridisciplinaire destinée aux actionnaires minoritaires. C’est un visionnaire, quelqu’un de très professionnel et de solide.” Récemment encore, lorsqu’Eric Coppieters a relancé la brasserie Caulier et ses bières “naturellement sans sucre”, note-t-il, Stéfan lui a donné quelques précieux conseils.

Pressenti pour devenir CEO d’AB InBev

“J’ai toujours essayé de partir en bons termes de chez mes employeurs et de garder de bons contacts avec mes anciens collègues”, confie l’intéressé. “Il est très fidèle en amitié aussi bien dans le domaine professionnel que privé”, confirme Patrice Thys, un ancien membre du comité de direction d’AB InBev qui le connaît bien. “Il est très loyal”, abonde Eric Coppieters. Très intelligent aussi. “C’est un expert en analyse financière. Il a rarement tort !”, relève Patrice Thys. “C’est un stratège”, estime un autre de ses anciens collègues brassicoles. Il a aussi une corde opérationnelle à son arc. Chez AB InBev, il a dirigé plusieurs régions dont les Etats-Unis et l’Europe centrale et de l’Est. “J’ai pris goût à ces responsabilités opérationnelles, confie-t-il. J’aime diriger des équipes et discuter avec des gens qui ne sont pas uniquement des banquiers ou des avocats.”

Il faut dire qu’à l’époque, la Russie et l’Ukraine sont en plein essor alors que la Belgique et l’Europe de l’Ouest, où la consommation de la bière s’érode doucement, vivent à l’heure des restructurations. C’est également l’époque où nombre de Belges sont remplacés par des Brésiliens au sein du comité de direction. Stéfan Descheemaeker survit, lui, à cette valse des patrons. Son nom circule même pour prendre la tête du groupe en 2006 mais c’est Carlos Brito, l’actuel CEO brésilien qui est choisi. “J’ai lu cela dans les journaux mais je n’ai pas eu de discussion en ce sens-là”, assure-t-il.

Quoi qu’il en soit, c’est bien le modèle brésilien qui a pris le dessus dans le nouvel ensemble. “C’est un fait, reconnaît l’ex-directeur. Mais nous avons beaucoup appris de ce rapprochement. Interbrew avait une culture d’entrepreneur et était une machine à acquisitions mais la société n’était pas très loin en matière d’efficience. AmBev avait une culture d’entreprise très forte, avec des valeurs partagées par tout le monde et surtout une équipe de jeunes cadres talentueux soutenus par des programmes ambitieux d’éducation.”

A la nomination de Brito, Stéfan Descheemaeker hérite de l’Europe de l’Ouest. Un cadeau empoisonné qu’il choisit, dit-il, en connaissance de cause. “Un beau défi mais plus complexe. Il fallait réduire les coûts pour réinvestir dans les marques.” Le Belge doit aussi gérer la fermeture de la brasserie Hoegaarden, qui suscite une vive émotion dans la population. Pour finalement faire marche arrière. “On a reconnu notre erreur.”

Si ses proches collaborateurs louent unanimement sa fibre humaine, l’homme n’a pas spécialement marqué l’esprit des syndicats quand il présidait le conseil d’entreprise européen. “Nous ne l’avons rencontré qu’une seule fois, c’était pour nous annoncer la restructuration. Il avait des objectifs financiers à atteindre. Il ne semblait pas très préoccupé par le côté social”, rapporte Michel Grommen, délégué SETCa du conseil d’entreprise européen d’AB InBev.

Début 2008, il quitte la direction des opérations d’Europe de l’Ouest pour retourner à ses premières amours : la stratégie. D’aucuns estiment que c’est parce qu’il n’a pas totalement convaincu à ce poste. D’autres affirment qu’on avait besoin de lui pour préparer l’ultime fusion avec Anheuser-Busch. Mission qu’il ne mènera pas jusqu’au bout puisqu’il sera nommé en mai 2008 administrateur du groupe, représentant les intérêts des familles belges actionnaires. Un mandat qui n’a pas manqué d’étonner à l’époque. “Je ne m’y retrouvais plus dans une équipe très brésilienne”, se justifie-t-il.

Un CFO très “opérationnel”

L’homme songe alors à se lancer comme entrepreneur mais l’augmentation de capital réalisée par les actionnaires familiaux belges pour financer une partie du rachat d’Anheuser Busch lui prend plus de temps que prévu en tant qu’administrateur. La proposition de Pierre-Olivier Beckers et de Nicolas Hollanders – qu’il connaissait – de reprendre le poste vacant de CFO est dès lors tombée à pic. “J’ai d’emblée dit à Pierre-Olivier : si tu cherches un spécialiste des normes IFRS, ce n’est pas moi que tu dois engager. Par contre, si tu cherches un CFO avec un profil plus opérationnel…”

Outre la finance et l’Indonésie (66 supermarchés Super Indo), il a aussi la stratégie dans ses nouvelles attributions. Mais ce n’est pas pour son expertise dans ce domaine qu’il a d’abord été engagé chez Delhaize. “Le fait d’avoir vécu la transformation d’Interbrew en InBev et puis en AB InBev a été déterminant dans mon engagement”, estime-t-il. Le savoir-faire du groupe brassicole en matière de gestion de coûts, aussi. “Même si, rassure-t-il, il ne s’agit pas de reproduire les méthodes d’AB InBev chez Delhaize. Les cultures d’entreprise sont différentes. Ici, il faut d’abord convaincre. L’idée est plutôt de voir ce que l’on peut en garder.”

Que peut-il déjà mettre à son actif ? “J’essaye d’apporter un certain sens de l’urgence dans cette société en bonne santé.” Stéfan Descheemaeker a ainsi rapidement conclu qu’il fallait mettre en place un centre de services partagés pour toutes les filiales américaines. “Cette restructuration va générer de précieuses économies qui seront réinvesties dans nos prix.”

Il a tout pour plaire… chez Delhaize

Le jeune quinqua, marié et père de trois enfants, entend aussi mettre à profit ce qu’il apprend en tant qu’administrateur du n°1 de la bière chez son nouvel employeur. “J’emmène bientôt les équipes des filiales américaines visiter le centre de services partagés d’Anheuser-Busch à Saint-Louis.” L’homme, qui passe “entre 40 et 50 %” de son temps à voyager pour le groupe, consacre l’essentiel de ses loisirs à sa famille et à ses amis. Ancien hockeyeur comme son nouveau patron, c’est sur le bord du terrain du Léopold Club qu’il vit désormais sa passion en coachant l’équipe de son fils de 11 ans. “Il ne s’arrête jamais, il a du mal à lever le pied”, constate son ami Eric Coppieters. Et quand il le fait, c’est pour dévorer la presse ou lire des biographies.

Si chez son ancien employeur, Stéfan Descheemaeker passait plutôt pour un diplomate – ce qui explique pourquoi peut-être il est resté plus longtemps que d’autres de ses compatriotes-, chez Delhaize on apprécie tout particulièrement son franc-parler. En interne, il est perçu comme quelqu’un qui veut faire bouger les choses. Au point de devenir calife à la place du calife ? Pour l’heure, la question ne se pose pas. Pierre-Olivier Beckers n’est pas près de prendre sa retraite. Il serait, dit-on, rassuré d’être épaulé par un n°2 de la trempe de Stéfan Descheemaeker. Une évidence : il a un rôle important à jouer dans le développement futur du groupe. En plus, la nouvelle recrue est très accessible, ne se prend pas au sérieux et a le sens de l’humour. Des qualités qui ont tout pour plaire dans le plus international de nos distributeurs.

Sandrine Vandendooren

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