On m’appelait la vice-présidente !

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Retraitée depuis quelques semaines, Yvonne Croon fut pendant près de 30 ans la secrétaire de direction d’ING Belgique, l’ex-BBL. L’occasion de recueillir les confidences de celle qui fut l’une des femmes les plus écoutées, voire les plus influentes, de la banque.

Retraitée depuis quelques semaines, Yvonne Croon fut pendant près de 30 ans la secrétaire de direction d’ING Belgique, l’ex-BBL. L’occasion de recueillir les confidences de celle qui fut l’une des femmes les plus écoutées, voire les plus influentes, de la banque.

La scène se déroule au 7e étage de l’immeuble abritant le siège d’ING Belgique, avenue Marnix, à Bruxelles. La vue sur le parc royal est imprenable. Ici et là, des £uvres d’art confèrent à l’endroit un certain prestige. L’atmosphère y est feutrée. C’est l’étage de la direction de la banque. L’allure soignée, le pas décidé, un accent qui trahit ses origines malinoises, Yvonne Croon se sent pourtant ici comme chez elle. “C’était mon territoire”, avance-t-elle fièrement avant de nous montrer son ancien bureau. Au passage, elle passe la tête dans celui situé juste à côté du sien, celui de Luc Vandewalle, l’actuel président du conseil d’administration de la banque, qu’elle salue rapidement. (voir photo) “Je l’ai connu comme stagiaire universitaire à la banque”, lance-t-elle avant de s’installer dans un des fauteuils du bureau laissé vide par Michel Tilmant, ancien patron de l’ex-BBL et de sa maison mère néerlandaise. Yvonne Croon tombe la veste. Dépose quelques documents sur une table basse. L’interview peut commencer.

Pas moins de cinq présidents

Si elle connaît si bien les lieux et s’y sent tellement à l’aise, c’est parce qu’à 66 ans, tout juste retraitée depuis quelques semaines, “Yvonne” y a officié en tant que secrétaire de direction pendant 30 ans. Trente années de bons et loyaux services au cours desquelles elle a travaillé pour le comité de direction de la banque et cinq patrons différents. “Mes présidents”, comme elle dit, faisant référence aux cinq présidents du comité de direction qu’a connus, entre la fin des années 1980 et la fin des années 2000, l’ancienne BBL, devenue ensuite ING après son rachat par le groupe financier néerlandais ING en 1998.

Les plus anciens savent de qui Yvonne Croon veut parler. Il s’agit bien sûr d’abord de Theo Peeters, président de l’institution entre 1988 et 1992, de Daniel Cardon de Lichtbuer (de 1992 à 1996) et de Michel Tilmant (de 1996 à 2000). De Luc Vandewalle ensuite (de 2000 à 2007) et enfin d’Erik Dralans. “C’était une personne de confiance à qui vous pouviez demander conseil”, souligne-t-on dans la maison. “Même si le dernier mot leur revenait, indique-t-elle, ils tenaient généralement compte des quelques conseils que je pouvais leur donner.” Si bien qu’ “on me surnommait la vice-présidente !”, s’empresse-t-elle d’ajouter, le sourire en coin. Voire le “gendarme”, diront certains qui la connaissent bien. “Il se fait simplement que je faisais office de filtre. Tout le monde voulait voir le président. En fonction du degré d’urgence et de l’opportunité d’un contact, je devais en quelque sorte faire le tri et protéger mes patrons. Cela faisait partie de mon job. Sinon leur vie devenait impossible.”

Pas une simple dactylo

Plus concrètement, quelles étaient ses tâches ? Présente de bonne heure jusque tard le soir, son rôle relevait plus de celui d’une assistante de direction que de celui d’une simple “dactylo”. “Je ne rédigeais pratiquement jamais de lettres, précise-t-elle. Quant aux e-mails, j’essayais de les écrire les plus courts possibles. En fait, je m’occupais surtout de la préparation de certains dossiers, de la fixation de rendez-vous, de l’organisation des voyages, de la gestion des agendas professionnel mais aussi privé de mes présidents. Je savais en permanence où ils se trouvaient, en réunion ou pas, dans l’avion, en Belgique ou à l’étranger. J’arrivais toujours à les joindre. Où qu’ils soient.” Au point d’avoir une influence sur la vie privée de “ses présidents” ? “Ces messieurs oublient parfois de prévenir leur épouse de certaines obligations professionnelles auxquelles elles se doivent aussi d’être présentes”, se borne-t-elle à indiquer avant d’ajouter que “cette proximité ne s’était pas étiolée avec le rachat de la banque par les Néerlandais à la fin des années 1990. Il y avait une secrétaire néerlandaise et “la belge”. Laquelle pouvait se targuer de rapidement avoir accès aux agendas des décideurs économiques et politiques les plus en vue du pays. “Neuf fois sur 10, j’avais un rendez-vous après la conversation.”

C’est qu’Yvonne Croon connaissait la plupart des secrétaires de direction des autres grandes banques belges (Dexia, Fortis et KBC) et des autorités de contrôle, Banque nationale de Belgique (BNB) et Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). Mais aussi celles de certaines grandes entreprises du pays telles que Bekaert, Besix, la CNP, Sea-Invest ou Total. Et bien évidemment de certains ministres. Figurent ainsi en bonne place dans son carnet d’adresses les noms de Paula Verboven à la BNB (ex-secrétaire du gouverneur Guy Quaden), de Danielle Deliens à la CBFA (secrétariat de Jean-Paul Servais), de Marina Macken chez Dexia Banque (secrétaire du président Stefaan Decraene), de Francine D’heur à la Banque Degroof (secrétariat de Regnier Haegelsteen) ou encore d’Anne-Marie Dandois du temps de Maurice Lippens. Autant de collègues qui avaient d’ailleurs répondu présentes le 4 mars dernier à l’occasion d’un déjeuner d’adieu à la banque. Tout comme quatre de “ses” présidents – seul Theo Peeters manquait à l’appel, mais il s’est excusé – venus l’honorer lors d’une réception organisée le même jour. Sans oublier le bouquet de fleurs signé de la main même de l’actuel chief executive officer d’ING, Jan Hommen.

La mémoire de la banque

Ces bons contacts à l’extérieur et sa proximité avec la direction l’ont-elles amenée àêtre souvent dans le secret des dieux ? “Il va de soi que lorsque vous travaillez main dans la main avec votre patron qui est président d’une banque comme ING, vous voyez passer des dossiers confidentiels. C’est inévitable. J’ai vécu de très près la première tentative d’ING pour reprendre la BBL, la période où on parlait de la grande banque belge et j’étais là lors de la reprise par ING. Il m’est même arrivé d’être au courant de certaines choses avant les membres du comité de direction.” Mais Yvonne Croon a toujours su rester discrète. “Le métier exige une confiance et une discrétion absolues”, dit-elle. Ce qui n’a du reste pas empêché cette forte personnalité de faire preuve de franchise à l’égard de ses patrons. “Je leur ai toujours dit ce que je pensais tout en essayant de m’inviter dans leur mode de pensée et d’action. Trembler devant eux ne les aurait certainement pas aidés. D’un autre côté, je parvenais à les calmer lorsque c’était nécessaire.” Pendant la crise, notamment ? “Les deux dernières années ont été nettement moins gaies et beaucoup plus stressantes, concède-t-elle. Il y a eu à certains moments une très grande tension.”

Forte de ces qualités de confidente de l’ombre, Yvonne Croon est devenue au fil des années une des femmes les plus écoutées au sein de la banque. Pour ne pas dire influente. “Petit à petit, vu mon ancienneté, je suis devenue une des employées qui connaissait le mieux la maison, son histoire et ses rouages. Je savais où se trouvaient les peaux de bananes. Je savais aussi via quelles personnes il valait mieux faire passer des messages en interne.” Un background très précieux pour chaque nouveau président. “Grâce à cela, j’assurais en quelque sorte la continuité entre les différents présidents.” Il est vrai qu’avec le départ d’Yvonne Croon, c’est un peu la mémoire de l’entreprise qui s’en va. “J’ai fait mes débuts à la Banque de Bruxelles en 1965, raconte-t-elle. Il y a donc 45 ans. A l’époque, j’étais la secrétaire de Bernard Peelman qui était responsable de la région anversoise. C’est lui qui m’a amenée à Bruxelles lorsqu’il est devenu membre du comité de direction de la BBL. A ce moment-là, au début des années 1980, le port du pantalon était interdit à l’étage de la direction. Seules les jupes et les robes étaient autorisées. Et on se vouvoyait entre collègues.”

Un faible pour Michel Tilmant

Si elle dit avoir eu beaucoup de plaisir à travailler avec l’ensemble de “ses” cinq présidents, Yvonne Croon ne peut toutefois s’empêcher d’avoir un petit faible pour Daniel Cardon, son Danieleke comme elle l’appelle, et Michel Tilmant. “Bizarrement, c’est avec deux francophones que le courant est le mieux passé”, note-t-elle. Chez Daniel Cardon, elle a surtout apprécié ses talents de diplomate et de grand communicateur ainsi que sa capacitéà manier plusieurs langues à la perfection. Quant à Michel Tilmant, c’est son style très direct de manager à l’américaine, sachant prendre rapidement des décisions, et très no-nonsense, qui la séduit. Mais “il a eu beaucoup de malchance avec la crise”. Malgré le départ du CEO en janvier 2009, en pleine tornade financière, Yvonne Croon est restée en relation avec lui. Elle est même aujourd’hui devenue sa secrétaire particulière. Soyons clairs : “Ce fut mon président préféré !”, conclut-elle. n

Sébastien Buron

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