Michaël Gillon: “Je veux contribuer à intéresser les jeunes aux sciences”
Le découvreur d’exoplanètes n’a pas toujours été un élève modèle. Mais il a toujours été passionné. Désormais mondialement connu, Michaël Gillon multiplie les interventions pour partager sa passion. Une bonne chose pour un pays qui manque de scientifiques. Mardi soir, il a en prime été le lauréat principal des Lobby Awards 2017 qui récompensent les leaders de l’année.
Toute cette histoire serait partie du film E.T. Cette première sortie familiale a marqué le petit Michaël Gillon. Depuis lors, il a toujours eu dans un coin de la tête l’ambition de vérifier si la vie, ou à tout le moins des formes de vie, ne se développaient pas sur une autre planète que la Terre. Il vient peut-être d’y parvenir, plus de 30 ans plus tard, en détectant un système de sept planètes, dont trois pourraient disposer d’eau liquide, autour de l’étoile naine ultrafroide Trappist-1. La nouvelle, publiée dans la célèbre revue scientifique Nature, a été annoncée en février dernier depuis le quartier général de la Nasa, avec laquelle collabore l’équipe de Michaël Gillon. Depuis, l’astrophysicien liégeois reçoit chaque semaine plusieurs demandes d’interviews ou de conférence, venant du monde entier. Du Monde au New York Times, les titres les plus prestigieux lui ont consacré des articles élogieux. ” J’avais commencé une revue de presse, j’ai dû arrêter car cela devenait impossible de suivre “, sourit Didier Moreau, responsable des relations presse de l’Université de Liège.
Mon parcours montre qu’il y a moyen de réussir à faire ce que l’on veut malgré un cheminement, disons, un peu tortueux. ” Michaël Gillon
Ce conte de fées aurait bien pu s’arrêter net à l’adolescence. Michaël Gillon a en effet quitté l’école à 17 ans pour s’engager dans l’armée. Il recherche l’aventure, le sport, le terrain. Il restera sept ans sous les drapeaux et servira notamment comme casque bleu en ex-Yougoslavie. Des tracas physiques l’ont contraint à abandonner le terrain et à utiliser son cerveau plus que ses muscles. Et c’est ainsi que Michaël Gillon a entamé, à 24 ans, des études de biochimie et de physique. La suite est désormais connue.
” J’aime partager les aspects fun des sciences ”
” Mon parcours montre qu’il y a moyen de réussir à faire ce que l’on veut malgré un cheminement, disons, un peu tortueux, sourit Michaël Gillon, 43 ans. Je partage volontiers cela avec les jeunes, parfois un peu perdus avec la pression sociale et familiale qui peut entourer des choix de carrière. Je transmets aussi le message à ceux qui gèrent le système éducatif : il faut pouvoir accorder un peu de flexibilité aux jeunes pour trouver leur voie professionnelle. ” Le désormais célèbre astrophysicien ne cache pas que, durant ses études secondaires, il trouvait l’enseignement des mathématiques très formel et ” peut-être un peu rébarbatif “. ” Ma notoriété me donne aujourd’hui la responsabilité d’essayer d’intéresser les jeunes aux sciences, de leur ouvrir l’esprit, poursuit-il. Je partage avec eux des aspects plus fun et positifs des sciences. Découvrir des étoiles et des planètes inconnues, c’est quand même fascinant, non ? ”
Tellement fascinant que les écoles se bousculent pour accueillir Michaël Gillon et ses collègues et que les conférences publiques font le plein en quelques heures. L’intéressé s’exécute de bonne grâce, conscient de l’impact que peut avoir sa reconnaissance internationale sur l’apprentissage des sciences dans notre pays. ” Je m’attendais à ce que l’annonce de notre découverte, le 22 février, suscite l’intérêt de la communauté scientifique, concède-t-il. Mais nous avons été surpris, et la Nasa aussi, par la vague d’intérêt médiatique. Depuis lors, je suis pris dans cette vague. Partager mon enthousiasme et expliquer mon travail de chercheur, ça me plaît. Mais au bout d’un moment, j’ai aussi envie de retrouver mes travaux. ”
Trappist et Speculoos
Venons-y, à ces travaux. L’équipe de Michaël Gillon est devenue experte dans la méthode dite ” des transits “. Quand une planète passe ou transite devant ” son étoile “, cela modifie la luminosité de celle-ci. En observant ces changements de luminosité, on peut détecter des planètes et leur éloignement par rapport à leur étoile. L’astrophysicien liégeois va systématiser cette méthode : des télescopes installés dans des zones d’observation propices (Chili, Maroc, etc.) vont fournir des données quasiment en continu et sans qu’une présence humaine ne soit nécessaire, grâce à la robotisation et aux commandes à distance, conçues à l’université de Liège. Aux chercheurs ensuite de bien lire ces données pour déceler les variations de luminosité des étoiles ciblées.
” Ce travail peut être mené avec des télescopes qui ne sont pas des monstres technologiques et budgétaires “, précise Didier Moreau. Une ingéniosité pour compenser le manque de moyens finalement très belge. Comme pour parfaire la belgitude, ces petits télescopes seront baptisés Trappist (TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope) et le réseau d’observation autour du globe Speculoos (Search for Habitable Planets EClipsing ULtra-cOOl Stars). Même Hergé n’aurait pas osé… ” J’aime ces clins d’oeil au savoir-faire belge, ils donnent une image sympathique à la recherche, sourit Michaël Gillon. Et je peux vous assurer que, même à la Nasa, on comprend tout de suite l’allusion aux bières trappistes. ”
Cette méthode a permis de découvrir ces sept exoplanètes (dont trois a priori habitables) tournant autour d’une même naine et désormais connue sous le nom de Trappist-1. La prochaine étape consiste à vérifier l’habitabilité, en utilisant cette fois des télescopes ultra-puissants. D’où l’intérêt de collaborer avec l’agence spatiale américaine qui lancera en 2019 le James Webb Space Telescope, le successeur du célèbre Hubble. L’un des défis de Michaël Gillon pour l’année qui vient est d’obtenir des créneaux d’utilisation de cet engin, tout en intensifiant la mise en place du réseau Speculoos dans l’espoir de détecter d’autres exoplanètes.
Cette réussite est bien entendu le résultat d’un homme et de son équipe, mais aussi de tout un écosystème très actif dans le domaine spatial avec l’université, le centre spatial de Liège, des entreprises comme Amos ou plus largement le pôle de compétitivité Skywin. ” Nous sommes parmi les leaders européens en matière spatiale, conclut Didier Moreau. L’institut d’astrophysique occupe plus d’une centaine de chercheurs, qui travaillent dans plusieurs dizaines d’équipes. Nous formons des ingénieurs en aérospatial et notre centre spatial est agréé par l’agence européenne pour une série de tests. Les installations d’optique de nombreux satellites sont testées ici. A travers Michaël Gillon et son équipe, c’est tout cet ensemble de très hautes compétences scientifiques et technologiques qui est récompensé. ”
De Marc Raisière à Caroline Pauwels
Les Lobby Awards confirment un bel éclectisme. Après la culture (Peter de Caluwe), l’économie (Marc Coucke) et la politique (Paul Magnette), ils récompensent cette fois un scientifique comme ” leader ” de l’année. ” Je suis fier de mettre en avant cet aspect du savoir-faire belge, commente Paul Grosjean, rédacteur en chef de la revue Lobby et président du jury (auquel participe Trends-Tendances). Nous avons un parcours inimaginable et une magnifique réussite, que l’on ne connaît peut-être pas suffisamment en Belgique. ” Michèle Sioen (qui a achevé son mandat de présidente de la FEB) et le tennisman David Goffin complètent le podium.
Plusieurs prix spécifiques compensent le palmarès des Lobby Awards. Le leader économique de l’année est Marc Raisière, le patron de Belfius, dont la communication offensive et parfois décalée, a séduit le jury. ” Son défi est bien entendu de réussir l’entrée en Bourse l’an prochain, commente Paul Grosjean. Mais nous pouvons dire qu’il part sur de bonnes bases. ” Marc Raisière avait déjà été récompensé, en janvier dernier, du titre de Manager de l’Année, décerné par notre magazine.
La leader culturelle de l’année est Catherine de Braekeleer, directrice du Centre de la gravure et de l’image imprimée à La Louvière. Ce prix récompense plus de 20 ans de travail dans ce lieu unique, qui recèle une collection exceptionnelle d’oeuvres d’Alechinsky. ” Avec ce prix, nous saluons aussi toute la tradition culturelle de La Louvière, insiste Paul Grosjean. Notre prix tient aussi à saluer la tradition culturelle de La Louvière et à montrer qu’une petite ville, située dans une zone économiquement sinistrée, peut aussi avoir de fortes ambitions culturelles. ” A côté du centre de la gravure, il y a encore le musée Ianchelevici ou Kéramis, le centre de la céramique.
Le prix du leader bruxellois de l’année revient aux recteurs de l’ULB et de la VUB, Yvon Englert et Caroline Pauwels, pour leurs engagements communs en faveur de Bruxelles et de son excellence universitaire.
Les autres Lobby Awards reviennent à la ministre française de la Culture Françoise Nyssen (leader franco-belge), à la coprésidente d’Ecolo Zakia Khattabi (web leader), à la ministre bruxelloise Céline Fremault (leader la plus élégante) et au groupe B19 (cercle de l’année) qui a, selon Paul Grosjean, ” dépoussiéré le concept des cercles d’affaires “.
Primé en Suisse
Etre choisi comme leader belge de l’année, c’est bien. Mais une récompense internationale, c’est encore mieux. Michaël Gillon a reçu cet automne à Berne (Suisse) l’un des quatre prix Balzan pour ” sa recherche novatrice et féconde de planètes autour d’étoiles voisines, étape importante sur le chemin de la découverte de signes de vie en dehors de notre système solaire “. Le système exoplanétaire Trappist-1 est en effet le système qui possède à la fois le plus grand nombre de planètes telluriques et le plus grand nombre de mondes potentiellement habitables jamais découverts à ce jour.
Le prix Balzan récompense chaque année quatre travaux de recherche dans ” les lettres, les sciences morales et les arts ” ainsi que ” les sciences physiques, mathématiques, naturelles et médicales “. Il s’agit d’un prix d’une valeur de 750.000 francs suisses (660.000 euros), avec cette particularité que les lauréats doivent affecter au moins la moitié de cette somme à des projets de recherche.
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