Les p’tites embrouilles de Vande Lanotte

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On ne peut parler d’activités illégales. Du moins, impossible de le prouver. Mais que Johan Vande Lanotte outrepasse les limites de ses compétences semble sûr. Certainement à Ostende en tout cas, où tous les chemins mènent au bureau du vice-Premier ministre.

Johan Vande Lanotte ne compte pas rester ministre “jusqu’à 63 ans”

Johan Vande Lanotte ne compte pas prolonger indéfiniment son activité politique au niveau national. “J’ai maintenant 57 ans. Je ne resterai pas ministre jusqu’à mes 63 ans”, a-t-il déclaré au journal local Krant van West-Vlaanderen. Le vice-Premier ministre SP.a, récemment égratigné par une enquête journalistique sur ses réseaux d’influence à Ostende, compte revenir à plein temps dans sa ville, même s’il ne nourrit aucune ambition maïorale actuellement. “Il y a un accord clair. Nous avons ici un bourgmestre (Jean Vandecasteele). Je me dirigerai donc sans doute vers le collège échevinal ou vers le port.” Johan Vande Lanotte voit en John Crombez, actuel secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude, son successeur au niveau fédéral. (Belga)

Le gratin des socialistes ostendais se réunit une fois par semaine, le samedi ou le dimanche matin. Cette réunion est dirigée non pas par le bourgmestre ou le président de parti local mais par un simple membre du conseil communal. “Simple” n’est peut-être pas le qualificatif approprié. Celui qui dirige ces assemblées matinales n’est autre que le ministre d’Etat Johan Vande Lanotte, le socialiste le plus emblématique de la région. L’homme donne le ton non seulement au SP.a d’Ostende mais à toute la coalition. A tel point que les échevins du CD&V et de l’Open VLD attachent plus d’importance aux réunions bimestrielles de la majorité avec Johan Vande Lanotte qu’aux séances officielles du collège des échevins.

Comment se fait-il qu’un homme sans véritable mandat local règne en maître sur toute la ville ? Telle est la question que se sont posée les journalistes Luc Pauwels et Wim Van den Eynde, partis enquêter dans la station balnéaire. Ils ont couché noir sur blanc le résultat de leurs investigations : leur livre De Keizer van Oostende (L’Empereur d’Ostende), sorti récemment en librairie, cause pas mal d’émoi, tant à la côte que rue de la Loi. Ne fût-ce que parce que tous les intervenants du livre sont suspectés d’avoir manipulé les auteurs. Les deux journalistes y font preuve d’un sens de la justice assez personnel et, d’après des informations recueillies par le magazine Knack, la VRT aurait décidé de les mettre temporairement à l’écart. A vrai dire, leur ouvrage ressemble davantage à une radiographie de la vie politique ostendaise qu’à un portrait détaillé de Johan Vande Lanotte. Ils abondent en insinuations, répètent à l’envi les mêmes faits mais ont incontestablement raison sur un point : Ostende a une conception peu orthodoxe de la démocratie.

L’actuel vice-Premier ministre et ministre de l’Economie, des Consommateurs et de la Mer du Nord dans le gouvernement Di Rupo jouit d’une tout autre réputation à Ostende que dans le reste du pays. Considéré comme un homme politique compétent et intègre en Flandre, Johan Vande Lanotte passe pour l’araignée la plus vorace de la toile locale. Amis ou ennemis, tous s’accordent à dire que l’ex-professeur de droit constitutionnel est aussi arrogant qu’intelligent.

Une passion pour le vent

Depuis qu’il a déménagé de Gand à Ostende au début des années 1990 à la demande de son parti, la perle du littoral belge a repris des couleurs et le SP.a a vu sa cote de popularité monter en flèche. Depuis lors, les socialistes détiennent pour la douzième année consécutive la majorité absolue, encore renforcée par le CD&V et l’Open VLD.

Au début, les tâches étaient clairement définies au sein du SP.a local : Johan Vande Lanotte était chargé de la politique nationale tandis que le bourgmestre Jean Vandecasteele et ses échevins faisaient la pluie et le beau temps à Ostende. Que Vande Lanotte partage aussi quelques responsabilités au niveau de la ville, cela n’avait rien d’extraordinaire. En contrepartie, il a drainé des sommes faramineuses de Bruxelles à Ostende pendant des années. “Sous les législatures de 1994 à 2000, j’ai fait en sorte qu’Ostende bénéficie annuellement d’environ 25 millions d’euros, a déclaré Johan Vande Lanotte à Knack lorsqu’il était encore président de parti. En 1997, j’ai autorisé, en tant que vice-Premier ministre, la liquidation de la Régie des Transports Maritimes (RTM). Il était donc de mon devoir d’£uvrer à la reconversion de la ville.” Le robinet financier ne s’est pas fermé pour autant au lendemain des élections communales de 2000. Que du contraire. “Comme Ostende avait reçu de nombreuses aides les six années précédentes et su les investir à bon escient, elle a attiré les capitaux privés dès 2000 et financé pas mal de projets de ses propres deniers, précisait Vande Lanotte dans la même interview. Mon rôle a changé : aujourd’hui, l’important n’est plus de drainer les capitaux à Ostende mais de maintenir le cap et d’attirer les investisseurs potentiels.”

Mais ses contacts avec le monde des entreprises sont tels qu’il devient difficile de faire la distinction entre intérêts publics et privés. Officiellement, il cumule aujourd’hui 12 mandats. D’après les auteurs de L’Empereur d’Ostende, il en totaliserait plus de 30. Avec autant de casquettes différentes, l’effacement de la frontière mandats publics-mandats privés est quasi inévitable. C’est ce que démontre le constat par lequel débute l’ouvrage. Tout tourne autour d’une signature. Non pas celle de Johan Vande Lanotte mais celle du secrétaire d’Etat à l’Environnement et à l’Energie Melchior Wathelet (cdH). C’est lui qui, le 18 janvier 2012, a signé le permis de construction et d’exploitation d’un parc éolien offshore accordé au consortium Norther SA. Le ministre de la Mer du Nord Vande Lanotte, dont la démission en tant qu’administrateur de l’entreprise Otary n’avait pas encore été entérinée, pouvait difficilement le faire. Et devinez quelle entreprise possède des actions Norther et Otary ? Electrawinds, dont Vande Lanotte a assuré la présidence de 2007 à 2010.

Que sa passion pour les énergies renouvelables n’ait cessé de croître au fil des années, personne n’en doute. Le hic, c’est qu’il défend cette cause non seulement en tant que ministre mais aussi comme président du port et administrateur de sociétés privées. D’où des situations parfois abracadabrantes. Comme lorsque le gouvernement Verhofstadt II a délimité le domaine et défini les conditions annexes des parcs éoliens. C’est Johan Vande Lanotte, alors ministre de la Mer du Nord, qui a veillé non seulement à la subsidiation plus que généreuse des parcs offshore mais aussi à leur construction… deux fois plus loin qu’initialement prévu. Résultats : un projet réunissant le groupe Jan De Nul et Electrabel, des parcs offshore belges parmi les plus chers du monde et davantage de recettes pour les entreprises concernées mais aussi des frais plus élevés pour les consommateurs. Pas vraiment conséquent pour un homme politique se présentant comme le Don Quichotte dans la lutte contre le géant Electrabel. Autre bémol : peu après la définition des règles inhérentes aux parcs éoliens, Vande Lanotte a été nommé président d’Electrawinds… l’entreprise qui a décroché par la suite – en collaboration avec différents partenaires – trois concessions supplémentaires de parcs éoliens.

Fous de basket ?

A l’approche des élections fédérales de 2010, Vande Lanotte a abandonné la présidence d’Electrawinds. Selon ses propres dires, parce qu’il avait annoncé son intention de tirer à boulets rouges sur Electrabel pendant la campagne. Mais alors que les négociations pour la formation du gouvernement fédéral pataugeaient et que Vande Lanotte attendait un poste ministériel, il devint administrateur du consortium Eldepasco, aujourd’hui rebaptisé Northwind. Peu après sa désignation, Eldepasco a conclu avec la direction portuaire un accord portant sur l’installation d’un parc éolien au large d’Ostende. En d’autres termes, le Numero Uno du port, Vande Lanotte, a conclu un deal avec lui-même. Tout comme lorsque, en tant que président des infrastructures portuaires, il a obtenu du ministre de la Mer du Nord une concession pour la culture des moules de corde. Vande Lanotte qui ne semble pas être un fervent adepte de déontologie a malgré tout commencé à se dire que la situation risquait de devenir inconfortable. Dans l’intervalle, il a cédé la présidence du port au bourgmestre Jean Vandecasteele. Provisoirement.

Tous les soupçons de conflits d’intérêts ne sont pas écartés pour autant, loin s’en faut. Johan Vande Lanotte a une autre grande passion : le basket. Fin des années 1990, il arrache la direction du BC Ostende au pionnier du tourisme Rudolf Vanmoerkerke et depuis lors, le club attire l’attention. Et les fonds évidemment. L’an dernier, il a bénéficié de quelque 3,8 millions d’euros de subsides. Apparemment, les chefs d’entreprise ostendais sont tellement férus de basket qu’ils sponsorisent le club avec le sourire. On raconte que Vande Lanotte intervient personnellement pour les encourager à remplir les caisses du BC Ostende en échange de l’un ou l’autre service. “Le basket est un passage obligé pour arriver à ses fins à Ostende”, affirme Dirk Gunst de l’asbl Oostendse Oosteroever dans L’Empereur d’Ostende. Et il n’est pas le seul à suggérer des pratiques peu catholiques dans ce domaine. “Des accords sont-ils conclus ? Les sponsors du BC Ostende bénéficient-ils de certains avantages ?”, se demandent les auteurs. “Impossible à prouver.” Plusieurs entrepreneurs affirment avoir reçu de Vande Lanotte un courrier avec en-tête du cabinet du vice-Premier ministre les invitant à parrainer le club de basket.

La voie royale vers le come-back

Les socialistes ne sont plus aussi enthousiastes à propos de la contribution de Vande Lanotte à la politique ostendaise. “Il considère le SP.a d’Ostende comme une sorte de tribu dont il serait le chef”, déplore Yves Miroir. L’échevin SP.a a rejoint le mouvement de protestation interne initié par Erik De Bruyn – ce dont bon nombre de ses acolytes lui tiennent aujourd’hui rigueur – et Vande Lanotte n’est pas le seul à vouloir l’écarter. Plus surprenant : la critique de Bart Bronders, l’ancien poulain de Vande Lanotte et à l’époque pressenti comme éventuel secrétaire d’Etat. “Johan est un homme surpuissant, affirme- t-il. Il a toujours une longueur d’avance sur les autres. Ce n’est que bien après qu’on prend conscience de ses intentions et du rôle qu’on vous a fait jouer.” Et, plus loin dans le livre, il l’affirme : “Cette façon de parler, comme si la ville lui appartenait, est plus qu’inquiétante.”

Le fait que ses camarades de parti, encore politiquement actifs, osent exprimer ouvertement de telles critiques tend à prouver qu’ils songent peu à peu à préparer l’après-Vande Lanotte. Certains étaient même convaincus, il y a quelques années, que son règne touchait à sa fin. Au lendemain des élections désastreuses de 2007 Vande Lanotte a rendu son tablier de président de parti et s’est entièrement replié sur sa ville d’adoption. On murmure même qu’il briguait le poste de bourgmestre occupé par Vandecasteele. Mais, privé de mandat clé à Bruxelles, il n’était plus en mesure d’attirer autant de capitaux et était de ce fait moins utile aux chefs d’entreprise locaux. Certains membres du parti pensaient même qu’il était de l’histoire ancienne et songeaient déjà à leur propre avenir.

C’était sans compter sur le Roi qui, à l’automne 2010, nomma Vande Lanotte médiateur pour sortir les négociations de l’impasse. Malgré les grincements de dents du côté de la N-VA, il s’est lancé corps et âme dans la bataille. Et bon an mal an, la confiance envers le socialiste flamand s’est peu à peu rétablie, tant et si bien que sa popularité atteignit des sommets. D’autant plus qu’il a dû, en pleine négociation, accompagner les derniers instants de sa mère. Malgré l’abandon de sa note de compromis, Vande Lanotte a entamé quelques mois plus tard une marche triomphale dans les médias flamands. On l’a vu écraser une larme dans des shows télévisés, donner des interviews aux journaux, discourir sur l’avenir de la Belgique et même éclater de rire… Johan Vande Lanotte s’est offert un come-back en grande pompe.

Lors de la formation du gouvernement Di Rupo, il a prêté serment comme vice-Premier ministre et personne n’a rien trouvé à redire. Tout au plus, son nouveau portefeuille, Economie et des Consommateurs, a-t-il suscité çà et là quelques haussements de sourcils. Ce nouveau mandat pourrait bien aider son parti à remonter la pente.

L’apparente capitulation d’Electrabel qui, face aux nombreuses désertions de ses clients, ne pouvait faire autrement que de baisser ses tarifs, a été pour les socialistes flamands une victoire comme ils n’en avaient plus connue depuis longtemps. Ce qui devrait se concrétiser par un avantage électoral au prochain scrutin.

Johan Vande Lanotte n’a donc rien perdu de sa suprématie. Tant qu’il apporte des voix à son parti et qu’il jouit de son aura d’homme d’Etat, rien ne peut lui arriver. Même Wim Van den Eynde et Luc Pauwels n’ont pas réussi à trouver quoi que ce soit de vraiment illégal après plusieurs mois d’investigation. Ou comme le dit Vande Lanotte lui-même : “Pensez-vous vraiment que, étant donné ma notoriété nationale, ma position et la jalousie que je suscite, ils n’auraient pas diffusé de preuves si elles existaient ?”. Tout semble indiquer que le baron du SP.a survivra à la tourmente médiatique provoquée par L’Empereur d’Ostende.

Qu’il outrepasse les limites de ses compétences, à Ostende du moins, ne fait plus de doute. Non pas tant pour son propre compte mais plutôt à cause de son amour pour le pouvoir et de sa volonté de voir rapidement aboutir dossiers et projets. Ce faisant, il entretient des relations très proches avec des entreprises de construction, des lobbyistes comme l’éditeur du toutes-boîtes Tips, Norbert Haeck et des journalistes tel que Gunther Vanpraet, l’ancien rédacteur en chef adjoint de Het Nieuwsblad, nommé administrateur délégué de Het Economisch Huis à Ostende peu après les élections communales de 2006. Tel un équilibriste évoluant sur le fil d’éventuels conflits d’intérêts, Vande Lanotte exerce plus que probablement trop de pouvoir pour un seul homme. Mais tant que les électeurs veulent encore de lui, il tirera son épingle du jeu. Jusqu’à ce qu’il doive faire définitivement une croix sur sa carrière de ministre et que le grand public commence à l’oublier. Il est fort probable qu’il se voie alors présenter l’addition et qu’elle sera salée. Voyez Steve Stevaert…

Ann Peuteman

Luc Pauwels et Wim Van den Eynde, De Keizer van Oostende, édition Van Halewyck, publié avec l’aide du Fonds Pascal Decroos.

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