Embarquez sur le “Stella Australis” pour une croisière d’exploration autour du Cap Horn

Avant d'entrer dans l'Avenue des glaciers, l'expédition traverse le "seno" (fjord) Pia. © MOVI PRESS

Doubler le Cap Horn, qui partage avec l’Everest les vents les plus violents du monde, est un rêve pour beaucoup. Si, 400 ans après les expéditions néerlandaises, les conditions d’exploration sont autrement plus confortables, l’aventure demeure exceptionnelle. A l’extrémité de la Terre de Feu, la Patagonie est toujours le bout du monde et le Cap Horn toujours redouté.

La statue de l'albatros, au sommet du Cap Horn, poignant hommage aux marins-aventuriers.
La statue de l’albatros, au sommet du Cap Horn, poignant hommage aux marins-aventuriers.© MOVI PRESS

“Je me demande s’il y a cinq livres dans toute la Patagonie “, assène un des protagonistes dans l’ouvrage de Bruce Chatwin – InPatagonia – qui a contribué à transformer cette terre redoutée en destination envoûtante. Même sur une carte, la région est un territoire sans véritable limite. Neuf cent mille kilomètres carrés de steppes et de montagnes, de buissons bas et de glaciers élancés à cheval sur le Chili et l’Argentine, du Rio Negro à la Terre de Feu. La Cordillère des Andes fait office de frontière constamment remise en question entre l’Est et l’Ouest, entre les plaines et les fjords. Avec sur ses flancs argentins, une pampa sèche et, sur ses pentes chiliennes, des forêts subpolaires et des glaciers. Mais, sur sa pointe sud, le redouté Cap Horn, unique terre en vue avant le royaume de glace du pôle, se moque des guerres de territoire. S’il faut bien traverser les eaux argentines pour y accéder, cette petite commune du Chili règne sur tout ce qui bouge entre les océans Atlantique et Pacifique (commerce, navigation, exploration, écologie, climatologie).

Comme dans les récits des marins

Au sommet du Cap, qui culmine à 450 m, une sculpture d’acier de 7 m de haut représente un albatros, immortalisé par la poétesse chilienne Sara Vial : ” Je suis l’albatros qui t’attend au bout du monde. Je suis l’âme oubliée des marins morts qui traversèrent le Cap Horn venant de toutes les mers de la Terre. Mais ils ne sont pas morts sur les vagues furieuses, ils volent aujourd’hui sur mes ailes, vers l’éternité, dans la dernière crevasse des vents antarctiques “.

Forêts primaires, steppes, lacs, glaciers, tourbières. La nature affiche une diversité incroyable.
Forêts primaires, steppes, lacs, glaciers, tourbières. La nature affiche une diversité incroyable.© MOVI PRESS

On estime que 800 bateaux (et plus de 10.000 marins) ont sombré au large du rocher mythique. Les marins du 17e siècle qui réussissaient à franchir le Cap et le passage Drake, découvert 200 ans plus tard, pouvaient porter un anneau d’or à l’oreille gauche et poser un pied sur la table du carré. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas le cran de s’inscrire au Vendée Globe ou même qui n’ont pas le pied marin, peuvent tout de même partager, toutes proportions gardées, ce sentiment ressenti par les navigateurs d’autrefois lorsqu’ils doublaient le rocher : aller au bout du monde. Il suffit pour cela d’embarquer sur un bateau d’exploration.

Le MVStella Australis attend les passagers à Punta Arenas, le point le plus méridional de la Patagonie chilienne. Terre promise des explorateurs, des randonneurs du parc national Torres del Paine et des marins, moins touristique que Punta Natales, petite ville qui aligne les magasins de sport et les bars. Les arbres sont tous penchés vers l’océan, victimes des coups de boutoir d’un vent parmi les plus violents du monde. Les moutons et le pétrole ont pris le pouvoir de cette cité autrefois surnommée Puerto del Hambre (le port de la famine), mais le secteur de la pêche résiste. Le cimetière célèbre en même temps les pionniers glorieux qui ont réussi et le sort des Indiens exterminés. Les locaux chiliens expliquent qu’Ushuaia, el fin del mundo côté argentin, n’est qu’un mirage, que c’est ici que trône la statue de bronze de Magellan et que chaque Chilien doit y venir au moins une fois dans sa vie. Ce qui se fait sans peine, la ville étant la seule du pays à ne pas connaître le chômage.

Les manchots de Magellan de la Terre de Feu sont particulièrement nombreux sur les îlots Tucker.
Les manchots de Magellan de la Terre de Feu sont particulièrement nombreux sur les îlots Tucker.© MOVI PRESS

Au départ de Punta Arenas, la croisière offre de naviguer à travers les canaux et les fjords du détroit de Magellan, de longer la cordillère Darwin et de traverser le canal de Beagle, le long duquel Ushuaia surfe effectivement sur sa notoriété médiatique. Une route historique, étroite, permet de longer des terres et des falaises que seuls quelques animaux – éléphants de mer, condors ou albatros – n’ont pas encore fui. Autant de sites qui portent le nom des personnalités ayant marqué l’histoire de la région et de la navigation et pour lesquels l’équipage de l’Australis se passionne. En collaboration avec l’Université du Chili et l’Institut d’étude de Patagonie, ils sont formés à toutes les disciplines requises : histoire, géologie, culture, anthropologie, botanique, ethnographie, climatologie, phénoménologie.

Face aux glaciers qui s’effritent

Avant chaque escale, ce sont les récits de l’équipage qui animent les soirées. L’histoire des Indiens qui régnaient depuis 6.500 ans sur les mers et les terres du Sud et furent exterminés. Ces ” géants ” que Darwin comparait à ” des animaux très sauvages “, ceux qu’il ramena à Londres où ils furent exposés avant d’être rendus à leur terre. Celle de la Pachamama (la mère nature) qui continue d’être un repère pour les natifs de la Terre de Feu, où la majeure partie de l’équipage a vu le jour. L’histoire des rares habitants de Patagonie, colons, explorateurs, aventuriers, soldats et déserteurs, missionnaires hallucinés, solitaires égarés et bandits de grand chemin retraités – Butch Cassidy et le Kid y coulèrent une douce retraite. C’est aussi le récit géologique de la région traversée par des forêts primaires et des glaciers, habitée par des condors et des manchots.

A chaque escale, le zodiac emmène les passagers à terre, parfois en traversant une mer de glaçons.
A chaque escale, le zodiac emmène les passagers à terre, parfois en traversant une mer de glaçons.© MOVI PRESS

Sur terre, la nature s’exprime avec fougue. Pour rejoindre les îles, les zodiacs traversent une mer de cailloux de glace. Il faut enjamber les manchots sur les îlots Tucker. Traverser les tourbières et franchir les barrages de castors dans le Parc National Tierra del Fuego. Ne pas confondre les éléphants de mer de la baie d’Answorth avec la roche de la même couleur. Et ne pas rester au bord de l’eau lorsque le glacier Marinelli s’effrite en balançant des blocs de glace qui font monter les eaux. Quant aux plantes, surtout s’en remettre aux consignes des guides car si toutes les baies sauvages ont une utilité, elles ne sont pas toutes comestibles.

Une croisière sans spa ni casino

Le retour sur le bateau, après chaque escale, est joyeux. Les bars résonnent des conversations passionnées. Il y a celui qui a vu le cormoran de roche, l’autre qui a aperçu les bébés manchots, l’historien de service, le naturaliste pointu, le néophyte qui veut tout savoir. Il n’y a ni spa ni casino sur le bateau et personne ne s’en plaint. Le MV Stella Australis sacrifie bien aux standards des bâtiments de luxe mais ici on parle d’exploration, pas de croisière. Seize nationalités différentes et le même rêve : le Cap Horn.

Fin de l'aventure à Ushuaia, dont l'ambiance de bout du monde n'occulte pas les considérations politiques...
Fin de l’aventure à Ushuaia, dont l’ambiance de bout du monde n’occulte pas les considérations politiques…© MOVI PRESS

Demain, c’est la consécration. Tout le monde a déjà effectué la procédure de débarquement, c’est la même depuis le premier jour. Premier pied sur l’échelle de coupée, saisir le bras du marin et deuxième pied sur le plancher du zodiac, et ensuite se laisser glisser jusqu’à l’avant. Mais cette fois, il paraît que ce sera un vrai rodéo. Les vents nés de la rencontre entre la glace de l’Antarctique et les eaux de l’océan n’ont rencontré aucun obstacle avant le Cap Horn sur lequel ils viennent se fracasser. Et les vagues peuvent atteindre 30 m de haut. Le commandant a prévenu, il y a 50 % de chance d’y poser le pied, sinon on fait le tour et on repart.

Le
Le ” Monumento al Ovejero “, ode à la vie rurale, à Punta Arenas, la véritable dernière ville habitée à l’extrémité sud du continent.© MOVI PRESS

La nuit noire ne laisse transparaître que l’écume des vagues qui montent très haut. Nous sommes entre les 40es rugissants, les 50es hurlants et les 60es stridents. On pense aux vaisseaux perdus de Sir Francis Blake et aux fous qui croisent ici en voilier. A 6 h du matin, affublés de toutes nos couches, nous montons sur le pont. Ça balance dans les coursives. Ça arrose aussi, avec la pluie sur nos têtes et les vagues qui lèchent le bastingage. Le commandant n’a pas encore pris de décision. Mais le vent souffle fort – autour de 130 km/h avec des pointes à 200 km/h la nuit passée. Le canot de reconnaissance n’est pas descendu. José, le gardien du phare, l’homme qui vit le plus au sud de la Terre et qui descend normalement sur la plage pour accueillir les visiteurs exceptionnels, n’est pas visible avec les jumelles. C’est à peine si l’on distingue le phare et la chapelle qui, sur les hauteurs des falaises rocheuses, rappellent combien cet appendice de la Terre de Feu fit payer un lourd tribut à ceux qui empruntèrent sa route, avant que le Canal de Panama ne réserve plus le passage qu’aux audacieux marins de l’extrême et aux touristes aventuriers.

Au bout du monde

Le glacier Pia gronde depuis le sommet des montagnes jusqu'à la ligne de marée.
Le glacier Pia gronde depuis le sommet des montagnes jusqu’à la ligne de marée.© MOVI PRESS

On commence à ajouter du whisky dans le chocolat chaud. Pour faire passer la nouvelle : nous ne poserons pas le pied sur le cap de tous les dangers. Le bateau fait le tour par le passage Drake et repart vers Ushuaia, la capitale de la Terre de Feu côté argentin. Les passagers ôtent leurs couches les unes après les autres. Certains plongent dans leur guide et se donnent un dernier rendez-vous festif à Ushuaia, l’autre ville ” la plus australe “, avant de remonter vers le nord.

Certains se sentent comme les navigateurs déchus du Vendée Globe. Un ancien officier de la marine marchande américaine devenu pilote noie son chagrin au bar. A ses pieds, des cadeaux pour les enfants du gardien de phare du Cap. Il les laissera à notre guide, Patricia, vraie Fueguina élevée dans la culture française qui lui a appris à se taire face à un glacier. Nous, nous ne sommes pas déçus. On sait que les vrais marins redoutaient de mettre le pied à terre, sur le rocher. Cela signifiait qu’ils avaient échoué et seraient, au mieux, les héros d’un épouvantable récit de survie, au pire, des morts oubliés. Les vrais hommes de mer ” franchissent ” le Cap Horn, ils ne s’arrêtent pas sur cette terre hantée, signe de déshonneur. Les Cap-Horniers ” doublent ” le Cap Horn. Puis posent un pied sur la table du carré.

Partir

Embarquez sur le
© TT

Les croisières d’exploration Australis traversent les canaux de Patagonie au départ de Punta Arenas ou d’Ushuaia et multiplient les escales en fonction du nombre de jours à bord, trois ou sept nuits. On peut donc voyager via Santiago (Chili) ou Buenos Aires (Argentine), avec une escale bienvenue avant et après l’aventure sur les mers du Sud.

Nous avons voyagé avec Latam, compagnie de référence pour l’Amérique du Sud (international et vols intérieurs). Sur le bateau, l’encadrement est complet, jusqu’aux boissons toute la journée et aux bottes pour ceux qui n’ont pas prévu des chaussures imperméables. Les cabines spacieuses offrent une large baie vitrée pour ne rien perdre des paysages croisés jour et nuit. Le décalage est de 5 h en été et 4 h en hiver, mais le slogan “4 saisons en une journée” n’est pas usurpé. On conseille d’ailleurs de s’habiller avec plusieurs couches pour pouvoir les enlever au fil des expéditions à terre. Aucun vaccin ou traitement particulier n’est nécessaire. Ce sont les passagers qui doivent désinfecter leurs bottes à chaque escale pour ne pas abîmer l’extraordinaire écosystème local !

Par Béatrice Demol/Photos Movi Press.

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