Cinq pistes pour voir autrement la sublime île de La Réunion

Les " gouzous " de Jace Ce pylône haut de 16 m a été dressé dans le lit de la rivière Saint-Etienne pour servir de test avant le début des travaux de construction du pont. Décoré par le graffeur Jace, il est devenu oeuvre d'art. © RENAUD CALLEBAUT

Le sublime département d’outre-mer au large de Madagascar ne se résume pas à ses parcours de rando et ses barrières de corail. Architecture créole, collection de graffs, patrimoine industriel, route volcanique et plaisirs de la table : cinq pistes pour voir autrement l’île Bourbon.

S’imprégner de street art

Quand on parle street art, on se réfère en général aux grands centres urbains. Erreur. La Réunion est devenue un terrain de jeu de réputation internationale pour les muralistes. Arnaud Chapleau (dit Jace), originaire du Havre mais installé ici depuis son enfance, est l’un des précurseurs du mouvement. Ce graffeur de 45 ans est l’auteur des ” gouzous ” que l’on croise partout sur l’île. Ces petits personnages safranés à la silhouette rondelette abondent sur les façades, les parkings, les bornes d’électricité, les silos et même sur un gigantesque pylône de 16 mètres de haut, le long du pont de la rivière Saint-Etienne.

Si le roi de l’aérosol a longtemps opéré de manière illégale, il fait aujourd’hui partie de l’establishment. On trouve des ” gouzous ” officiels jusqu’aux comptoirs de départ de l’aéroport international. Pour partir à la découverte de son travail mais aussi celui de ses confrères comme Sept, Mégot ou Omouck, la petite ville côtière de Saint-Pierre est la destination idéale.

Dans le centre-ville, tout autour de la rue des Bons Enfants et de la rue Victor Le Vigoureux, les exemples abondent. Il faut se promener, aller au-delà du port de plaisance vers le quartier de la Croix des Pêcheurs, prendre son temps et ouvrir les yeux. ” Les artistes ne souhaitent pas révéler les emplacements ; les découvrir s’apparente à un jeu de piste “, explique Florence qui dirige L’Usine à Gouzou, une petite galerie d’art entièrement dédiée à Jace. Son personnage fétiche s’y décline sur des oeuvres originales (comptez entre 3.000 et 6.000 euros pour une peinture à l’acrylique) mais aussi des multiples, des stickers, des monographies ou des t-shirts. Derrière le local, un autre espace dédié au street art, le Very Yes s’est ouvert l’an passé. L’occasion de découvrir dans cette galerie judicieusement aménagée dans des containers en acier, une belle sélection de dessins originaux et de lithos de créateurs sélectionnés par Jace.

L’Usine à Gouzou et la Galerie Very Yes, 170, rue Marius et Ary Leblond.

L'Usine à Gouzou.
L’Usine à Gouzou.© RENAUD CALLEBAUT

Sillonner la route du volcan

Le Piton de la Fournaise est le seul volcan actif de La Réunion. Large de 30 kilomètres, il occupe une bonne partie du sud-est de l’île. Ses éruptions, qui ont lieu en moyenne tous les neuf mois, en font l’un des massifs les plus remuants du globe. Le site n’en constitue pas moins un spot d’exception, même en période de repos. La route du volcan à proprement parler, ne débute qu’après le village de Bourg-Murat sur le plateau de la Plaine des Cafres. La première partie du trajet longe les superbes flancs ouest du massif. Au fur et à mesure de la montée, le panorama s’assèche, les tamarins des Hauts, ces arbres emblématiques de la région, sont remplacés par les branles, des bruyères endémiques dont la variété de verts semble infinie. Du kaki, à l’absinthe, du céladon au bronze, ce n’est pas une palette, c’est un nuancier Pantone !

La route du volcan s'achève devant le paysage lunaire du Pas de Bellecombe, à 2.600 m de haut.
La route du volcan s’achève devant le paysage lunaire du Pas de Bellecombe, à 2.600 m de haut.© RENAUD CALLEBAUT

A ce stade de la balade, on peine à imaginer le décor lunaire promis. Comme pour mieux ménager la surprise, c’est au détour d’un virage que se découvre en contrebas d’un effondrement tectonique vieux de 60.000 ans la Plaine des sables. Devant cette étendue de roches volcaniques dont la couleur oscille entre le noir et l’ocre en fonction du degré d’oxydation du fer contenu dans les pierres, on s’interroge. A quelle altitude sommes-nous perchés ? Impossible à dire. Qui peut estimer la distance qui nous sépare de l’horizon ? Merci d’avoir posé la question. Ici, on perd tous ses repères. C’est somptueux et un rien inquiétant.

La départementale qui se transforme ensuite en un chemin cahoteux vous mène lentement au Pas de Bellecombe, qui marque, à 2.600 mètres de hauteur, la fin de la route. Le point de vue depuis ce belvédère enserré par une caldeira est sidérant. A une centaine de mètres sous nos pieds, les coulées de lave successives ont formé une vallée pétrifiée aux reflets argentés. On peut rejoindre ce fond plat et pousser une (courte) trotte jusqu’au Formica Léo, un ” petit ” cône volcanique à 30 minutes à pied en empruntant un escalier de 600 marches. Après cette immersion sensorielle d’une demi-journée, il faut prendre rendez-vous à la Cité du Volcan, à Bourg-Murat (lire l’encadré ” Lave Story ” plus bas).

La route du volcan s'achève devant le paysage lunaire du Pas de Bellecombe, à 2.600 m de haut.
La route du volcan s’achève devant le paysage lunaire du Pas de Bellecombe, à 2.600 m de haut.© RENAUD CALLEBAUT

Dompter la canne à sucre

Avec 70 % des exportations réunionnaises et la création de 12.000 emplois directs ou indirects, le business du sucre est vital pour l’économie de La Réunion. Mais la canne n’est pas qu’une question de sous, c’est aussi un outil écologique (en fixant les sols et donc en freinant leur érosion), énergétique (brûlée dans les centrales thermiques, elle fournit 10 % de l’électricité locale) et, enfin, une source de ravissement puisque c’est à partir de la plante que l’on fabrique le rhum…

Remis à neuf en 2011, le vaste écomusée Stella Matutina (3.700 m2) aborde la graminée sous toutes les coutures et le résultat est passionnant. On apprend ainsi que la canne à sucre qui fut importée au 17e siècle dans l’île Bourbon – la future île de La Réunion -, devient un produit agro-industriel au tournant des années 1810, avec la construction des premières usines, et remplace peu à peu la culture du café et des épices.

Implanté dans une ancienne usine sucrière aux dimensions hors du commun, le Stella Matutina, avec sa salle de machines qui fait penser à la soute d’un paquebot, n’est pas qu’un lieu de savoir. La manufacture, bien que modernisée au fil des décennies jusqu’à sa fermeture en 1978, donne à imaginer le quotidien des ouvriers dont plus de 10 % étaient des enfants à la fin du 19e siècle au sein de l’usine. La discipline régnante avait peu de rapport avec la douceur du saccharose, comme en témoigne cette plaque émaillée de l’entre-deux-guerres placardée par le directeur : ” Si votre temps ne compte pas, le mien compte ” !

Stella Matutina, 6, allée des Flamboyants, Piton Saint-Leu.

Le Stella Matutina Un écomusée qui insiste sur le rôle capital joué par la canne à sucre dans l'économie de l'île.
Le Stella Matutina Un écomusée qui insiste sur le rôle capital joué par la canne à sucre dans l’économie de l’île.© RENAUD CALLEBAUT

Découvrir l’architecture créole

Si La Réunion doit sa belle morphologie à une érosion spectaculaire responsable de la formation de ravins abyssaux, elle se fait au détriment d’un réseau autoroutier, peu développé et souvent congestionné. Il faut donc s’armer de patience pour rejoindre Hell-Bourg, classé officiellement parmi ” Les plus beaux villages de France ” car, oui , nous sommes bel et bien en France, en dépit des 9.000 km qui séparent l’ancienne station thermale de la métropole.

L’attrait principal du lieu-dit réside dans ses nombreuses maisons cré-oles en bois aux couleurs pimpantes. Les constructions les plus élégantes avec leur véranda et leur auvent ouvragé, datent du 19e siècle durant la période coloniale et appartenaient aux gens les plus fortunés. Ouverte au public dans le cadre de visites guidées, la maison Folio, construite vers 1860, était la résidence secondaire d’un négociant de Saint-Denis venu chercher la fraîcheur de l’altitude. La demeure, qui a été restaurée, est un témoignage de l’habitat de la haute société avec ses chaises cannées, son lit à baldaquin et son mobilier en bois de tamarin. Dans le jardin attenant, saturé d’arbres fruitiers et de plantes aromatiques, les effluves titillent la curiosité des visiteurs. Les nez fins identifient le vétiver et le curcuma, les experts sont capables de mettre un nom sur le pimenta dioica (ou tout-épice), les autres se contentent de la citronnelle.

Partie intégrante de la vie sous les tropiques, la vie à l’extérieur méritait toutes les attentions. Dans le jardin, un kiosque que l’on nomme en créole le guétali, permettait d’observer les passants dans la rue sans être vu… Les amateurs d’architecture vernaculaire feront, au retour, une indispensable halte à la maison Martin-Valliamée, à Saint-André, près du littoral. Cette variation Art déco de la case créole achevée en 1925 avec ses trois étages et ses 24 pièces, n’est pas sans rappeler le faste de la villa Bel-Air au Tampon, qui abrite le consulat des Seychelles. Un lieu connu des cinéphiles pour être le décor phare du film La sirène du Mississipi (1969) de François Truffaut avec Jean-Paul Belmondo.

La maison Folio, 20, rue Amiral Lacaze, Hell Bourg

La maison Martin-Valliamée, 1590, chemin du Centre, Saint-André

Architecture créole à Hell-Bourg La maison Folio, construite vers 1860, était la résidence secondaire d'un négociant de Saint-Denis venu chercher la fraîcheur de l'altitude.
Architecture créole à Hell-Bourg La maison Folio, construite vers 1860, était la résidence secondaire d’un négociant de Saint-Denis venu chercher la fraîcheur de l’altitude.© RENAUD CALLEBAUT

Prendre goût aux marchés

A La Réunion, l’influence indienne n’est pas seulement culturelle, avec la présence de nombreux temples hindous, elle est aussi plus prosaïquement gastronomique. Le cari, le plat mijoté à base de poulet ou de poisson que l’on trouve à chaque menu – ou sa variante, le rougail saucisse – est emprunté à la tradition tamoule, le curry en moins. Malheureusement, ces deux piliers de l’alimentation ultramarine sont souvent concoctés sans finesse dans les restaurants. Il en va tout autrement des samoussas, ces délicieux beignets à la feuille de brick fourrés au boeuf, au fromage ou au poisson, également d’origine indienne. Les meilleurs sont vendus en toute simplicité dans les marchés, proposés à l’unité et glissés dans des sachets en papier kraft. Mais quel bonheur !

A l’Ermitage, lieu hautement prisé du tourisme balnéaire, le marché local qui se tient le dimanche ne fait pas exception à la règle et présente même un intérêt supplémentaire. A cinq minutes à pied des étals, on peut prolonger ses emplettes en pique-niquant sur la merveilleuse plage voisine. A l’ombre des filaos, les Réunionnais ont l’habitude de s’y retrouver en famille les jours de repos avec la nappe à carreaux, la glacière et la sono portative qu’on pousse à fond ! On est loin de l’ambiance aseptisée des resorts

Le marché de Saint-Paul Les amateurs d'exotisme vitaminé plongeront la main dans les cagettes de pitayas rouges - des fruits au goût neutre issus d'un cactus.
Le marché de Saint-Paul Les amateurs d’exotisme vitaminé plongeront la main dans les cagettes de pitayas rouges – des fruits au goût neutre issus d’un cactus.© RENAUD CALLEBAUT

Plus fourni, le marché de Saint-Paul, à 15 minutes de voiture vers le nord, est longé par une plage de sable noir à la beauté sauvage mais dépourvue d’ombre, ce qui la prive de toute intention de repas champêtre. On peut également se rendre pour une expérience plus complète au marché du Chaudron, au nord-est de l’île, et remplir son cabas en compagnie de Jacky Aroumougom. Ce chef réunionnais organise dans sa proche maison de Sainte-Suzanne des cours de cuisine traditionnelle au feu de bois baptisées Far Far Kréol qui connaissent un grand succès.

Quant aux amateurs d’exotisme vitaminé, ils plongeront la main dans les cagettes de pitayas rouges – des fruits au goût neutre issus d’un cactus – ou testeront le jus de bissap, une infusion à base d’hibiscus venue du Sénégal. Mais la rencontre gustative la plus extatique est sans conteste l’ananas Queen Victoria très présent dans les halles de plein air. Introduit en 1668 à La Réunion, cette variété d’une exceptionnelle suavité est classée comme la meilleure au monde. On aurait presqu’envie de devenir vegan…

Far Far Kréol, 48, chemin Camp Créole-Bagatelle, Sainte-Suzanne, Tél. +262 693 00 91 36.

Par Antoine Moreno.

Lave story

Cinq pistes pour voir autrement la sublime île de La Réunion
© RENAUD CALLEBAUT

Ne pas se fier aux premières impressions. Les abominables pyramides de fer alvéolées qui tiennent lieu d’architecture extérieure de La Cité du Volcan, à Bourg-Murat, cachent au dedans un musée d’excellente tenue.

Baigné d’une lumière bleue qui prend à rebrousse-poil l’idée chromatique que l’on se fait du magma en fusion, l’espace, entièrement repensé en 2014, explique avec moult détails l’envers du décor. Pourquoi et comment se forment les fontaines de lave ? Quelles sont les régions sismiques en activité ? Quelles différences y a-t-il entre un volcan explosif et éruptif ? Entre pédagogie et divertissement, le parcours qui ne se limite pas à La Réunion, est passionnant quoique parfois déroutant par sa masse d’informations. Une allée consacrée aux légendes rappelle la fascination mêlée de crainte que les soubresauts de la Terre exercent sur ses habitants. Quant à la formidable ” salle aux trésors ” consacrée aux pierres volcaniques, sublimes par leur forme, leur diversité et leur texture, on pense aux écrits de Roger Caillois, essayiste et grand collectionneur de ” cailloux “, qui loua comme personne la dimension poétique du monde minéral.

La Cité du Volcan, RN3 Bourg-Murat, 97418 Plaine des Cafres, wwww.museesreunion.re

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