Vibrations positives

© Philippe Cornet

La Jamaïque est un farouche pays d’une rare élégance tropicale. Entre les “guest houses” de la côte nord, se cache une perle rare et chic : l’hôtel Geejam, également un studio pour stars.

A l’entrée, quand on lui dit venir voir le pays de Bob Marley, la douanière nous tend le poing, celui de l’amitié victorieuse, en guise de bienvenue : assurément un autre style d’accueil qu’aux Etats-Unis, à 90 minutes d’avion. Et l’assurance que Bob Marley (1945-1981), aux 200 millions de disques vendus, reste l’indémodable référence d’un territoire équivalent à un tiers de la Belgique. L’aéroport de Kingston porte le nom de Michael Manley, ex-Premier ministre jamaïcain, issu de la petite minorité blanche. Aujourd’hui, 92 % des habitants du pays sont de couleur noire, les métisses constituent 7,3 % de la population. Une réalité que l’on observe lorsque l’on voyage dans l’île. En dehors des concentrations touristiques de Montego Bay ou Ocho Rios, les white people sont invisibles. Destination Port Antonio au nord, via une route côtière qui contourne l’île par l’est, soit trois heures de conduite à gauche avec volant à droite. Dans un style ” rallye ” vu l’étroitesse des voies et la générosité des nids de poule, amenant les Jamaïcains à rouler volontiers à contre-sens : ce parcours a l’avantage de dévoiler le pays. Au-delà de la dureté économique apparente, la beauté impressionne. Celle d’une mer turquoise, de plages semi-désertes et d’une nature ébouriffante: palétuviers, hibiscus, palmiers entourent plus de 3.000 espèces de plantes dont 200 d’orchidées et de tiges carnivores. La route n’est parfois qu’un étroit passage entre eau et montagnes sous une lumière grise dorée, la chaleur des Caraïbes vous enrobant totalement. Mais au fil des paysages, plus séduisants au-delà de Port Morant, on croise aussi, en dépit de la chaleur, des centaines de marcheurs de tous âges. Silhouettes musclées, sensuelles, élégantes : la beauté semble ici aussi répandue que le sprint d’Usain Bolt ou les sound-systems, ces sonos artisanales qui diffusent en plein air les vibrations jamaïcaines.

Joyeuses tropiques

Une fois atteinte Port Antonio – la ville où Errol Flynn installa sa marina -, impossible de trouver la guest house réservée. On passe donc la nuit au DeMontevins Lodge Hotel, belle maison néocoloniale un rien fanée, dont la déco inclut une collection de photos anciennes de la famille royale britannique. Indépendants depuis août 1962, les Jamaïcains ne semblent pas rancuniers. Ce petit port est le genre de ville jamaïcaine où le tourisme semble épongé par la culture locale, intacte et électrique. Même si, plutôt que de consommer les grillades de rues préparées dans un bidon métallique, on se laisse séduire par le minuscule Pizza Corner (2A Harbour Street) dont la cuisinière vient de Turin. Il doit y avoir une connexion italienne dans le coin puisque notre location, la All Nations Guesthouse – enfin trouvée le lendemain – est dirigée par un Napolitain bourlingueur, Alessandro. Sur une colline à l’est de Port Antonio, l’endroit est d’un calme olympien et offre une vue à l’infini sur des vagues émeraude. La guest house est une villa avec de grandes chambres et une piscine au charme décati. Plaisante sensation que d’être un citoyen du bout du monde cuit par l’humidité jamaïcaine. Il manque alors la douceur supplémentaire du luxe et de l’approvisionnement, le All Nations ne sert que le petit déjeuner. Ce luxe se trouve juste en face… On s’est installé sans le savoir à 30 mètres de l’entrée de Geejam, un studio d’enregistrement pour stars et un restaurant-hôtel privilégié. Le copropriétaire anglais Steve Beaver, rencontré sur le chemin de la plage, définit le lieu. ” Geejam est né de la musique. Si nous avions créé un simple hôtel, nous aurions misérablement échoué. Il y a dans ce lieu une énergie difficilement définissable mais incontestable “. L’enthousiaste Steve nous invite à le rejoindre plus tard au bar du complexe, un espace drink-food également ouvert aux non-résidents et bénéficiant d’une sublime plongée vers la côte. C’est le coeur de Geejam, créé par le comparse de Beaver, Jon Baker, un Anglais né en 1960 et fils d’une modiste qui travailla pour la famille royale. Jon Baker va d’ailleurs commencer par vendre de la fripe punk puis néo-romantique, fréquentant Boy George et Spandau Ballet. Après un passage par New York – où il produit du hip-hop – il travaille le catalogue d’Island Records pour Chris Blackwell, le producteur jamaïcain qui fera connaître Marley à l’international, comme son autre signature, U2. L’entrée de Geejam porte toujours le sigle ” Island Outpost “, ligne de résidences de luxe voulues par Blackwell. Mais Baker et Beaver possèdent désormais un domaine proposant une poignée de cabines haut de gamme rebaptisées aux noms des musiques locales – Ska, Rocksteady, Mento, Drum & Bass – ainsi que trois villas, dont la suprême Cocosan à six chambres. L’endroit semble être l’ultime refuge de la volupté jamaïcaine, installé dans une végétation luxuriante où jacuzzis, bois précieux, mobilier Philippe Starck et nouvelle cuisine font équipe : pas besoin d’emprunter la route cabossée, Geejam affrète avion privé ou hélicoptère directement de Kingston. Les prix y flambent volontiers. Mais au ” nid d’aigle ” où est logé le bar, il est parfois possible de croiser les visiteurs du studio planqué à cent mètres de là : Grace Jones, Rihanna, Gorillaz, Kendrick Lamar, Alicia Keys y ont travaillé et juré d’y revenir. Comme Banksy, qui a dispersé dans la propriété quelques graffitis de son cru. Le genre d’endroit où l’on rêve volontiers éveillé.

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content