Vers la guerre civile?

UNE RÉFUGIÉE du camp Um Rakuna, sur la frontière soudanaise, ayant fui avec son enfant les combats au Tigré. © REUTERS

En lançant une intervention armée dans la région du Tigré, le Premier ministre Abiy Ahmed a fait basculer le pays dans un conflit ethnique.

L’avenir semblait si prometteur. ” La période qui s’annonce en Ethiopie sera marquée par l’amour et le pardon “, avait déclaré Abiy Ahmed en 2018 à l’occasion de son discours d’investiture en tant que Premier ministre. Après plusieurs années de manifestations, le jeune réformateur laissait enfin entrevoir le début d’une nouvelle ère pour le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. Il a libéré des prisonniers politiques, démuselé les médias et fait revenir d’exil des membres des partis d’opposition. Il a fait la paix avec l’Erythrée, ce qui lui a valu de recevoir le prix Nobel de la paix en 2019. Et il s’est présenté comme un leader de la transition, chargé de libérer l’Ethiopie de la dictature et de conduire le pays vers ses premières élections libres.

En 2021, les Ethiopiens découvriront si Abiy Ahmed a engagé le pays sur la voie de la liberté ou s’il l’a fait plonger dans l’anarchie. En novembre, le Premier ministre a ordonné à ses forces de riposter à ce qu’il a décrit comme une ” attaque ” contre une base militaire fédérale située dans le Tigré, le plus puissant des dix Etats régionaux de la fédération éthiopienne, organisée sur des bases ethniques. Depuis le 28 novembre, les forces d’Abiy Ahmed occupent Mekele, la capitale du Tigré, et les leaders du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) sont en fuite. A l’heure où nous bouclons ce numéro, l’Union européenne, favorable à une solution politique, a suspendu une aide de 90 millions d’euros à l’Ethiopie. Il se peut que des diplomates parviennent à convaincre les deux camps de s’entendre, mais il n’est pas non plus exclu que le pays bascule dans une guerre civile généralisée. Cela risquerait d’anéantir les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies dans des domaines comme les services de santé en milieu rural et ferait craindre l’éclatement d’un pays qui compte 118 millions d’habitants.

Droit de sécession

Le conflit avec le FLPT, qui a détenu les leviers du pouvoir dans la capitale pendant près de trois décennies avant de se voir chassé par Abiy Ahmed, est loin d’être la seule crise que connaît le pays. Certains districts de la région d’Oromia, la plus vaste des dix et celle dont le Premier ministre est originaire, sont assiégés par des séparatistes armés. Ailleurs dans le pays, le Premier ministre peine à apaiser les manifestations populaires – parfois violentes – dirigées contre son régime. Celles qui ont suivi le meurtre d’un célèbre chanteur oromo, en juin, ont fait au moins 166 morts. De nombreuses victimes étaient issues de minorités ethniques et ont été massacrées par la foule. La situation est exacerbée par les tensions croissantes qui règnent entre le gouvernement fédéral et les Etats régionaux, qui ont tous le droit de faire sécession.

Les élections générales, reportées pour cause de Covid-19 et maintenant prévues pour juin, pourraient très bien ne pas avoir lieu. Abiy Ahmed se présente comme la seule personne apte à maintenir l’unité du pays. La question est de savoir si les Ethiopiens qui sont encore d’accord avec lui sont assez nombreux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content