Une rétrospective hors norme

" La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne ", lors de la visite de presse qui a précédé l'ouverture de l'expo. N'espérez plus jamais si peu de monde... © Getty Images

L’exposition de tous les superlatifs a ouvert ses portes au grand public ce 24 octobre, pour quatre mois. Particulièrement complexe à monter, elle promet une affluence record : pas moins de 220.000 billets avaient été vendus dès avant l’ouverture.

Jusqu’au bout, un parfum de mystère aura entouré l’exposition hors norme du maître de la Renaissance italienne, célébré à l’occasion des 500 ans de sa mort. Non que ce soit la plus grande jamais organisée par le Louvre. Mais cela a été la plus compliquée à monter : il aura fallu 10 ans de travail aux équipes du musée pour réaliser cette rétrospective consacrée à Léonard de Vinci ouverte le 24 octobre dernier.

Quant au président du Louvre, Jean-Luc Martinez, bien qu’à la tête du musée le plus fréquenté au monde avec ses 10,2 millions d’entrées l’an dernier, il lui aura fallu déployer des trésors de diplomatie pour obtenir des prêts prestigieux. L’événement rassemble 160 oeuvres dont une dizaine de peintures signées du génie florentin sur les 15 à 20 connues, 80 de ses dessins dont 24 prêtés par la reine d’Angleterre, et 12 de ses manuscrits confiés par l’Institut de France.

Il y a aussi des tableaux issus d’élèves ou de contemporains du Toscan, même si le fameux Salvator Mundi adjugé 450 millions de dollars chez Christie’s en 2017 n’a finalement pas été prêté par son propriétaire saoudien. Faut-il y voir un désaccord sur la manière d’exposer l’oeuvre, les conservateurs du Louvre souhaitant prendre les précautions d’usage et présenter le tableau comme ” attribué à ” Léonard de Vinci (ce qui suppose qu’il y a débat) et non ” de Léonard de Vinci “, au risque de déplaire à ceux qui ont dépensé une fortune pour l’acquérir ?

Coût élevé des assurances

Toujours est-il que ce Salvator Mundi a compliqué la vie des organisateurs jusqu’au bout. D’une part parce qu’il a fait exploser la valeur des assurances, celles-ci étant fixées à partir des derniers records des oeuvres – même si l’Etat est son propre assureur pour l’exposition, reste le transport, la manutention, l’emballage, etc. ” Les prix ont triplé entre le moment où on a commencé à demander les prêts et maintenant “, explique-t-on au Louvre.

Par ailleurs, le musée a retardé jusqu’au dernier moment la publication du catalogue de l’exposition, ne sachant pas si la toile figurerait ou non sur les murs. L’accrochage lui-même a viré au casse-tête. Car outre le Salvator Mundi, d’autres oeuvres ont créé le suspense comme le célèbre Homme de Vitruve – qui a finalement bien été prêté par la Galleria dell’Academia malgré le recours ultime d’une association de défense du patrimoine Italia Nostra. Cette absence de visibilité a été aussi une difficulté pour convaincre les mécènes, alors même que le budget de l’événement était de ” deux à trois fois plus élevé que pour les autres grandes expositions ” , poursuit le musée. Sachant qu’en moyenne, le budget annuel des expositions est de l’ordre de 3,5 à 3,7 millions d’euros.

Etude pour le tableau
Etude pour le tableau ” La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne “.© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Retentissement médiatique

Si le coût total, non dévoilé, semble le plus important jamais investi dans une rétrospective, le Louvre assure avoir néanmoins réussi à obtenir ” un mécénat financier record “, avec un ticket exigé des mécènes supérieur à l’habitude, justifié à la fois par ” le fort besoin de financement ” mais aussi par le retentissement médiatique de l’événement. La prospection de ces mécènes a commencé deux ans en amont. Le Louvre a ainsi séduit de grands mécènes internationaux (Bank of America, Kinoshita Group), de grands mécènes français (Bouygues Bâtiment Ile-de-France, Deloitte, Lusis, Axa) et des partenaires technologiques (HTC).

Rarement un événement aura engendré autant de recettes diverses d’autant que la fréquentation de l’événement Léonard de Vinci devrait dépasser le record de Delacroix (540.000 personnes), avec déjà 220.000 billets vendus avant l’ouverture – sachant que l’on ne peut visiter sans réservation.

170 produits dérivés

Pendant les quatre mois d’exposition, tous les espaces à privatiser affichent complet (une soirée sous la Pyramide est facturée 68.000 euros par le musée). Les produits dérivés, avec plus de 170 références autour de La Joconde, devraient connaître aussi un franc succès. L’an dernier, Mona Lisa figurait sur la moitié des 100 meilleures ventes de la boutique du musée… Cette année, même Ladurée, pour son salon de thé installé au Louvre depuis septembre, a créé une boîte de huit macarons à l’étui paré d’études botaniques de Vinci, avec en son centre La Belle Ferronnière ! Pourtant, malgré cette débauche d’organisation, il reste pourtant peu probable, en raison de ses coûts exceptionnels, que l’exposition soit rentable…

Des peintures,  certes mais aussi nombre de manuscrits rares, confiés par l'Institut de France.
Des peintures, certes mais aussi nombre de manuscrits rares, confiés par l’Institut de France.© reuters

“Lénoard de Vinci”, jusqu’au 24 février, Musée du Louvre, Paris, www.louvre.fr

” Lénoard de Vinci envoûte bien au-delà des spécialistes “

Monter la rétrospective consacrée à Léonard de Vinci a nécessité 10 ans de travail. Mais pour le patron du Louvre, le jeu en vaut néanmoins la chandelle.

Comment l’exposition Léonard de Vinci s’inscrit-elle dans la stratégie du Louvre ?

JEAN-LUC MARTINEZ. Elle vient rappeler ce qui fait l’identité du Louvre : la sculpture romaine et la peinture italienne, issues des collections royales de cet ancien palais. Le Louvre est le seul grand musée à mettre en avant l’art d’un autre pays : cela en dit long sur la fascination de la France pour l’Italie. Et comme nos expositions temporaires visent à élargir le public, nous avons là un sujet en or car Léonard de Vinci envoûte bien au-delà des spécialistes. A l’échelle internationale, cela participe de notre renommée : nous avons obtenu des prêts de l’Hermitage, du Vatican, de la Reine d’Angleterre… Nous sommes au centre d’un réseau de partenaires très réputés.

Combien de musées au monde étaient capables d’organiser une telle exposition ?

Nous sommes les seuls car nous possédons la plus grande collection d’oeuvres de Léonard de Vinci, et en particulier cinq tableaux sur les 15 à 20 attribués au maître selon les experts. Aucune exposition importante ne peut se faire sans La Joconde qui ne sort plus, ou sans Sainte Anne et la Vierge aux rochers qui sont très fragiles et difficiles à déplacer. Cette exposition positionne le Louvre comme le lieu de recherche et d’expertise mondial sur Léonard, comme le Rijksmuseum l’est pour Rembrandt ou la Villa Borghese pour Le Caravage.

Cette démonstration de puissance peut-elle rapporter au Louvre d’autres contrats ?

C’est plutôt une démonstration de savoir-faire, tant en termes de muséographie, scénographie, éclairage, médiation, catalogue scientifique… Ce n’est pas par hasard qu’Abou Dhabi a fait appel à nous, que nous aidons le musée de Mossoul à se reconstruire, que l’on nous sollicite en Egypte, en Tunisie… Cultiver notre prestige à l’étranger est primordial car, pour les musées d’art ancien, être populaire ne relève pas de l’évidence. Beaucoup sont vides, leurs collections permanentes désertées. Le Louvre a su renouveler un intérêt international en se réinventant en permanence : création de la pyramide, ouverture de l’aile Richelieu, réaménagement des antiquités égyptiennes, du département des arts de l’islam…

L’exposition Léonard de Vinci peut-elle être rentable ?

On vit sur le mythe des grandes expositions bénéficiaires montrées au Grand Palais dans les années 1980, mais une rupture est intervenue depuis. Les expositions sont beaucoup plus coûteuses à organiser qu’avant, les coûts de transport ont explosé de même que ceux de la manutention, avec des emballages plus sophistiqués, des caisses isothermes, des précautions prises infinies, etc. La rétrospective sur Léonard de Vinci n’est pas faite pour rapporter de l’argent. Mais j’espère qu’elle restera dans les annales comme une exposition marquante, à l’instar de Polyptyques : le tableau multiple du Moyen-Age au vingtième siècle en 1990 ou du Printemps de la Renaissance, la sculpture et les arts à Florence en 2013, mes deux événements préférés.

” Le Christ et saint Thomas “, de Verrochio. C’est sur les drapés de ce bronze que de Vinci apprit à faire ses gammes…© Louis Frank
” Portrait d’une dame de la cour de Milan ” dit, à tort, ” La Belle Ferronnière “.© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

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