Philippe Ledent

L’inflation est-elle une menace pour la compétitivité de l’économie belge?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La Belgique étant plus énergivore que d’autres pays, les poussées d’inflation liées aux prix de l’énergie ont tendance à y être plus fortes.

A moins d’avoir été hors réseau ces dernières semaines, vous savez assurément que l’inflation connaît un retour en force en ce moment. Et comme à chaque fois qu’un pic d’inflation apparaît, les mêmes questions refont surface. Intéressons-nous ici à un grand classique: est-ce dangereux pour la compétitivité de l’économie belge?

On ne parle en fait pas ici directement de l’inflation, mais de l’indexation automatique des salaires qu’elle génère. L’indice pivot vient d’ailleurs d’être dépassé, provoquant la hausse de 2% des salaires dans la fonction publique. Dans le secteur privé, les mécanismes sont souvent différents mais, au final, cela ne change rien: l’inflation plus élevée (même en excluant les carburants) provoque une augmentation des salaires nominaux afin de maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux. C’est a priori une bonne nouvelle. Mais dans les secteurs fortement exposés à la concurrence internationale, cette hausse peut poser problème. En effet, l’augmentation des coûts qui résulte de l’indexation représente, toutes choses restant égales par ailleurs, une moindre capacité à faire face à la concurrence sur les marchés étrangers.

La Belgique étant plus énergivore que d’autres pays, les poussées d’inflation liées aux prix de l’énergie ont tendance à y être plus fortes.

Ceci étant, c’est aller un peu vite en besogne car, justement, toutes les choses ne restent pas égales par ailleurs. En effet, si dans les pays concurrents, les augmentations de salaires nominaux négociées (et non automatiques comme chez nous) sont du même ordre que l’indexation automatique belge, il n’y a en fait pas de détérioration de la compétitivité. Or, puisque les pays voisins sont également touchés par une hausse de l’inflation, il est probable que les revendications salariales dans ces pays incluent une compensation pour celle-ci, ce qui est rassurant. Néanmoins, un premier accord négocié en Allemagne avant l’été a plutôt donné un signal de modération salariale chez notre plus grand partenaire (mais non moins concurrent) commercial. Certes, à ce moment-là, l’inflation n’était pas encore vraiment de retour et on peut supposer que les prochains accords tiendront davantage compte du pic actuel. Mais il faudra rester attentif à cet aspect.

Deux éléments risquent par ailleurs de désavantager l’économie belge dans le contexte actuel d’inflation. D’une part, la Belgique est plus énergivore que d’autres pays, si bien que les poussées d’inflation liées aux prix de l’énergie ont tendance à y être plus fortes. Dès lors, l’augmentation (automatique) des salaires qui en résulte risque d’être plus forte que l’augmentation (négociée) ailleurs. D’autre part, l’indexation automatique vaut pour l’ensemble des secteurs, en ce compris ceux protégés de la concurrence, qu’elle soit internationale ou non. Pour ces secteurs, la hausse des salaires qui résulte de l’indexation automatique peut facilement être transposée sur le prix de vente…, ce qui maintient la dynamique d’inflation et contribue aux futures indexations. Dans des pays où les hausses salariales sont négociées, de surcroît par secteur, il est plus facile aux partenaires sociaux d’internaliser cette dynamique, et donc de limiter si nécessaire la hausse initiale de salaire, ce qui peut une nouvelle fois créer une distorsion entre les salaires belges indexés automatiquement et les salaires négociés ailleurs. Et ce même si, au départ, le choc d’inflation est identique.

Bref, si la poussée d’inflation devait être plus longue que prévu, la question de la compétitivité risque bel et bien de causer quelques problèmes supplémentaires au secteur exportateur belge.

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