Une crise pas comme les autres

CARMEN REINHART, ÉCONOMISTE EN CHEF À LA BANQUE MONDIALE © PG/MARTHA STEWART

La crise du Covid-19 n’était pas financière quand elle a éclaté, mais elle est en train de le devenir aujourd’hui. Et cette crise sera mondiale. Traditionnellement, les crises bancaires éclatent à l’issue d’une longue période d’expansion économique. La croissance est souvent dopée par une flambée du crédit et une hausse de l’endettement ; favorisant un bulle des prix. Puis l’expansion économique se tasse, la récession commence, et les prêts contractés pendant les années fastes ne peuvent plus être honorés.

Mais en 2020, la situation est bel et bien différente. La crise n’est pas le résultat d’une expansion économique ou d’une bulle des prix. Elle s’explique par l’ampleur historique et la persistance probable du marasme économique. A noter également que nous sommes confrontés à une crise régressive, qui frappe de manière disproportionnée les ménages à faibles revenus et les PME qui ont moins d’actifs leur permettant d’échapper au défaut de paiement. Un fort endettement à la veille de la pandémie amplifiera les problèmes de bilan dans le secteur financier. Les entreprises des plus grandes économies mondiales – les Etats-Unis et la Chine – sont très endettées et comptent beaucoup d’emprunteurs à risque. Avant la pandémie, le FMI a plusieurs fois mis en garde contre la hausse de l’endettement des entreprises sur de nombreux marchés émergents, où une part non négligeable de la dette est libellée en dollars.

La crise n’est pas le résultat d’une expansion économique ou d’une bulle des prix. Elle s’explique par l’ampleur historique et la persistance probable du marasme économique.

Six mois après le début de la crise du Covid-19, l’agence de notation Standard & Poor’s a revu à la baisse les perspectives de près de 60% des entreprises latino-américaines qu’elle évalue. Pour le reste du monde, ce chiffre est compris entre 35% et 40%. Les risques d’insolvabilité dans l’immobilier commercial – les centres commerciaux restant à moitié vides – sont une source supplémentaire d’inquiétude dans plusieurs régions du monde.

En Australie et au Canada notamment, le taux d’endettement des ménages atteint des records. En Afrique, où le ratio de créances improductives était d’environ 11% en 2019, les portefeuilles des institutions de microcrédit seront sous pression, car l’essentiel de leurs prêts est accordé à des ménages dont les revenus sont précaires et qui n’ont pas d’actifs. L’Inde avait déjà un ratio de créances improductives d’environ 9% avant la pandémie, et le volume des nouveaux emprunts ces dernières années stagnait déjà afin d’assainir les bilans des banques d’Etat.

Depuis le printemps 2020, un ensemble de mesures ont été prises par les gouvernements afin de fournir des liquidités aux nombreuses entreprises forcées de fermer pendant les confinements, ainsi qu’aux familles qui ont subi la perte soudaine de leurs revenus et emplois. Des délais supplémentaires ont été accordés pour rembourser les prêts existants. De nombreux emprunts ont été renégociés pour rallonger leur durée ou abaisser leur taux d’intérêt. Tous espèrent que, la crise sanitaire étant temporaire, la détresse financière des entreprises et des particuliers le sera aussi.

Pourtant, même si la pandémie prend fin rapidement grâce à un vaccin distribué largement, l’économie mondiale a été durement touchée, ainsi que les bilans des institutions financières. Au vu de l’urgence, ces mesures se sont révélées un précieux outil de relance, plus ambitieux que les traditionnelles politiques budgétaires et monétaires. Mais en 2021, les sursis prendront fin et nous saurons si d’innombrables ménages et entreprises risquent la faillite plutôt que des problèmes de trésorerie. Il est déjà arrivé qu’un resserrement prolongé du crédit entrave fortement la reprise économique. Rien ne laisse entendre que la conjoncture sera différente après la pandémie.

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