Un oeuf dans un cube de glace

© EUROPEAN UNION

Geste architectural

Au soleil couchant, l’Europa s’illumine. Immanquablement, tous les regards se tournent vers le nouvel édifice du quartier Schuman, destiné à accueillir les réunions des représentants européens. Le bâtiment pour le moins singulier allie modernité et patrimoine historique : une nouvelle construction composée en son centre d’une structure inédite en forme de lanterne (d’autres y voient un oeuf) est couplée au bloc A du Résidence Palace – magnifique complexe Art Déco – fraîchement restauré. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la lanterne – qui abrite meeting rooms et dining rooms – répond davantage à des contraintes fonctionnelles et structurelles qu’à une seule aspiration esthétique. Il était tout simplement impossible de s’appuyer structurellement sur tout le terrain en raison de la proximité du tunnel ferroviaire, d’où la nécessité d’une base étroite. Pour conférer une ambiance chaleureuse et conviviale à l’ensemble, l’intérieur du bâtiment est égayé de multiples mosaïques de couleurs, réalisées par l’artiste belge Georges Meurant. On les retrouve tant sur les plafonds et les moquettes des salles de réunion, que sur les portes ou au niveau des ascenseurs.

Une mosaïque de 3.750 châssis

La rue de la Loi ne permet pas de fantaisie architecturale. Sans cette idée géniale de patchwork, le bâtiment Europa, vu de l’extérieur, n’aurait pu être qu’un cube parmi d’autres. Et pourtant… La façade évoque une délicate dentelle de bois scintillante grâce au minutieux assemblage de près de 3.750 châssis en chêne glanés dans les 28 pays de l’Union européenne par un brocanteur yprois. ” Ces châssis proviennent de chantiers de rénovation ou de démolition, explique l’architecte Philippe Samyn. Ils ont été poncés, nettoyés, reconditionnés, vernis et placés dans de grands cadres en acier inoxydable pour former cette façade. ” L’objectif poursuivi est double. D’une part, il s’agit de promouvoir le recyclage des matériaux et, d’autre part, de témoigner du savoir-faire artisanal et de la diversité culturelle de l’UE. Elle est également un clin d’oeil à la devise européenne ” Unie dans la diversité ” : toutes les fenêtres sont différentes mais unies de par leur matériau (le chêne)… et leur assemblage.

Sacré retard

C’est en septembre 2005, à l’issue d’un concours, que le consortium Philippe Samyn and Partners (Belgique), Studio Valle Progettazioni (Italie) et Buro Happold (Royaume-Uni), sous l’égide de l’architecte et ingénieur Philippe Samyn, se voit confier la réalisation de l’Europa. Un projet préliminaire est approuvé en mars 2007. L’inauguration du bâtiment est prévue pour 2014. Prévision trop optimiste. Deux années supplémentaires sont nécessaires à la finalisation de l’édifice. Les contraintes et embûches sont nombreuses : présence d’une gare et d’une station de métro en sous-sol, nécessité de conserver et de restaurer un bâtiment historique, recours introduit par un participant à l’appel d’offre et, en prime, pollution due à la présence d’hydrocarbures. De plus, alors que le projet est déjà lancé, le Conseil européen doit y apporter des modifications afin de tenir compte de l’évolution institutionnelle de l’UE (création du poste permanent de président du Conseil européen), des nouvelles dispositions pratiques (organisation de sommets multilatéraux à Bruxelles) et des derniers développements technologiques (transmission HD, etc.).

Pour qui, pour quoi ?

Trop juste, peu adapté. Les Européens s’y sentaient trop à l’étroit. Conçu à une époque où l’UE ne comptait que 12 membres, le Justus Lipsius (Loi 175) n’avait pas été pensé pour accueillir les chefs d’Etat et de gouvernement. Une nouvelle infrastructure s’impose dès 2004 alors que l’Union s’élargit et qu’il est décidé que tous les sommets formels se tiendront à Bruxelles. Patience fut le maître-mot. Depuis le début de l’année, le bâtiment accueille les sessions du Conseil des ministres. La première réunion du Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement) s’y tiendra au mois de mars. L’Europa (250 bureaux) offre un environnement moderne et sûr, doté des dernières technologies. Pas question de déserter pour autant le Justus Lipsius, bien plus spacieux. Les deux bâtiments – reliés par deux passerelles – fonctionnent comme un seul ensemble. La majorité de l’administration restera d’ailleurs établie au Loi 175.

Pour en savoir plus : La version française de l’ouvrage “Elements Europe. Conseil européen et Conseil de l’Union européenne” est sorti récemment aux éditions Racine. Rédigé par Jean Attali et Philippe Samyn, il livre tous les secrets de ce défi architectural.

ANNE-SOPHIE CHEVALIER

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