Un grand bond en arrière

DISTRIBUTION ALIMENTAIRE La fin progressive des mesures de soutien aux revenus et les coupes claires dans les services publics seront proportionnellement plus violentes pour les ménages les plus pauvres. © BELGAIMAGE

Comme toutes les grandes pandémies, celle du Covid-19 a brutalement aggravé les inégalités.

Avec un peu de chance, le Covid-19 devrait moins chambouler l’année 2021 qu’il ne l’a fait en 2020. Mais même si un vaccin vient permettre à nos sociétés de retrouver un semblant de normalité, les effets à long terme de la pandémie sur l’économie vont être de plus en plus patents. Les statistiques publiées viendront inévitablement révéler une aggravation spectaculaire des inégalités, qui ne sera sans doute pas inversée avant plusieurs décennies.

Les inégalités étaient encore loin d’être résorbées, mais semblaient ces dernières années avoir été ramenées à un niveau plus tolérable. La consolidation des marchés du travail depuis la crise financière de 2008 avait été lente mais constante, et se traduisait enfin par une hausse des salaires des travailleurs dans toutes les catégories de revenus. Ainsi, à la fin des années 2010, dans bien des pays, les indicateurs des inégalités s’étaient stabilisés, quand ils n’enregistraient pas une légère baisse.

Dans un premier temps, l’épidémie n’a pas semblé inverser cette tendance, grâce aux généreux plans d’aide mis en oeuvre par de nombreux Etats partout dans le monde. Aux Etats-Unis, par exemple, les mesures de soutien à l’économie, d’un montant équivalent à 13% du PIB, ont même permis à certains travailleurs à bas salaire, dans les premiers mois de la pandémie, de voir leurs revenus augmenter.

Coefficient de Gini

Fin 2020 cependant, le tableau était déjà nettement moins engageant – et il faudra attendre 2021 pour mesurer l’ampleur des dégâts. L’histoire de l’économie depuis un siècle l’a montré: les grandes épidémies se traduisent toujours par une aggravation brutale des inégalités ( voir infographie intitulée “Un écart qui se creuse”). Cinq ans après le début d’une pandémie, le coefficient de Gini, qui mesure la disparité des revenus, reste en moyenne 1,25% au-dessus de son niveau d’avant la crise – une variation colossale pour un indice connu pour la lenteur de son évolution. Si l’emploi des personnes disposant d’un niveau d’éducation moyen à élevé est relativement épargné par les pandémies, le taux d’emploi des travailleurs peu qualifiés dégringole généralement de 5%. Le Covid-19 ne fera pas exception.

Les Etats ont toujours du mal à maintenir à long terme une politique de soutien généreuse, et 2021 marquera le retour à une certaine normalité budgétaire, même si l’épidémie continue de contraindre la vie économique. Aux Etats-Unis, les tensions politiques qui subsisteront après une présidentielle âprement disputée et l’inquiétude suscitée par une dette publique historiquement haute limiteront les ambitions de tout plan d’aide fédérale. Partout, les budgets locaux et nationaux seront extrêmement contraints par des recettes fiscales au plus bas depuis un an. En 2020, les Etats européens avaient assoupli certaines règles de discipline budgétaire afin de mieux répondre à la pandémie. En 2021, ramener l’endettement à des niveaux plus tolérables reviendra au rang des priorités.

Un grand bond en arrière

Ménages défavorisés davantage impactés

Or, la fin progressive des mesures de soutien aux revenus et les coupes claires dans les services publics seront proportionnellement plus violentes pour les ménages les plus défavorisés. D’autant que le Covid-19 a une façon particulière de frapper l’économie qui rend la diminution de ces aides très dévastatrice. En effet, le télétravail permet généralement aux métiers de bureau, mieux rémunérés, de se poursuivre. Les travailleurs et ouvriers de l’industrie et des services n’ont souvent pas cette possibilité. Pis, si le télétravail s’impose durablement comme une pratique courante dans les économies post-Covid, nombre des emplois à bas salaire détruits par l’épidémie ne seront jamais recréés.

Les actifs à bas salaires qui trouveront encore du travail seront confrontés à d’autres injustices. Dans les métiers qui imposent le plus souvent une présence physique, les travailleurs sont plus exposés au coronavirus. Et si la pandémie exige la fermeture des écoles, les plus pauvres sont placés devant un atroce dilemme, aller travailler ou pourvoir à l’éducation de leurs enfants. D’autant qu’à cela s’ajoute la fracture numérique, avec des élèves défavorisés privés de bonne connexion à Internet et d’accès aux ressources en ligne. La plus grande crainte, et la plus grande menace, pour les familles pauvres sera cependant le retour à un chômage élevé. Pour les travailleurs pauvres, 2021 sera encore une année difficile.

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