Trop diplômés pour le marché du travail: le doctorat est-il un sésame pour décrocher un job ?

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En 15 ans, le nombre de doctorants a explosé. Mais les postes académiques n’ont pas augmenté et les entreprises ont parfois des préjugés bien ancrés envers ces docteurs. La société Adoc fait le lien entre eux et les employeurs.

“Je suis maintenant une spécialiste des fourmis d’Argentine. Je fais quoi avec ça ? ” Laurence Theunis n’a pas dû se poser la question trop longtemps après avoir défendu sa thèse de doctorat en biologie à l’ULB. Elle a en effet été engagée par Infor-Sciences, un organisme qui a pour vocation de populariser la science auprès des jeunes, et a ensuite rejoint Objectif Recherche, une ASBL qui accompagne le développement professionnel des jeunes chercheurs. Son interrogation de fin de thèse était devenue son métier. Elle le devient encore plus maintenant car Laurence Theunis vient de créer l’antenne belge d’Adoc, un cabinet de consultant RH spécialisé dans le recrutement et l’accompagnement de docteurs (ou PhD, du latin philosophiæ doctor). Ce cabinet, fondé en 2008, est déjà présent à Paris et Montréal. ” Je voulais compléter mon approche en travaillant aussi directement avec les entreprises, explique-t-elle. Je connaissais déjà Adoc et il m’a semblé plus pertinent de me tourner vers eux plutôt que de vouloir tout réinventer. ” Laurence Theunis était passée par les services de la coopérative d’activités Azimut.

L’autre crainte des employeurs, c’est que la perle rare coûte un peu trop cher par rapport au titulaire d’un master.

L’entrée sur le marché du travail est-elle vraiment si compliquée, au point que ces personnes hautement qualifiées ont besoin de bureaux spécialisés pour décrocher du boulot ? Pas de caricature : les docteurs ne figurent pas parmi les groupes cibles les plus difficiles à insérer. Ils trouvent un emploi généralement en moins de quatre mois et seuls 3,8% d’entre eux sont au chômage, nous apprennent les statistiques de l’Observatoire de la recherche et des carrières scientifiques (ORCS). Ce sont des chiffres nettement en dessous des moyennes pour l’ensemble de la population. Mais il n’empêche, ces personnes hautement qualifiées n’occupent peut-être pas toujours des jobs très épanouissants ou à travers lesquels leurs connaissances seraient les plus utiles à la société.

En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), quelque 900 docteurs sont diplômés chaque année. La moitié d’entre eux optent ensuite pour une carrière universitaire, toujours selon les statistiques de l’ORCS. Ils font ce choix avant tout par passion pour la recherche (49%), pour le caractère créatif et innovant du travail (44%) et pour l’autonomie (34%). La part des docteurs actifs dans la sphère universitaire diminue toutefois au fil des années après la défense de thèse. Très peu de postes académiques s’ouvrent (environ 80 par an) et beaucoup de docteurs finissent par se lasser de la succession de CDD et de l’incessante course aux financements. C’est ici qu’intervient Laurence Theunis. ” Ces jeunes titulaires d’un PhD ( doctorat, Ndlr) ne sont pas toujours très au fait du marché du travail et de ce qu’ils pourraient apporter à des entreprises, explique-t-elle. Ils savent faire un C.V. académique mais pas un C.V. destiné à un employeur privé. Nous les aidons alors à bien identifier leur projet professionnel et à mettre en place une stratégie de recherche d’emploi. ”

Persévérance, gestion de projets… les atouts du docteur

Quels sont leurs atouts sur le marché du travail ? Toutes et tous affichent bien entendu une expertise technique et scientifique. ” Mais ils ont aussi démontré de la persévérance, de la capacité à gérer un projet, de la rigueur, dit Laurence Theunis. Ce sont des compétences, des soft skills très attendues par le marché. ” ” Les chercheurs ont aussi appris à travailler en équipe, à résoudre des problèmes et, de plus en plus, à communiquer “, ajoute Véronique Halloin, secrétaire générale du Fonds de la recherche scientifique (FNRS). Ces atouts, les docteurs ne s’en rendent pas toujours bien compte. Adoc leur propose alors des formations pour apprendre à mieux vendre leurs compétences tranversales et à bien intégrer ” quelles pierres ils peuvent apporter à l’édifice “. D’après l’ORCS, 14% des docteurs travaillent ensuite dans l’industrie (21% pour les doctorats en sciences exactes). Avantage de cette piste : elle offre un CDI dans 93% des cas quand le secteur universitaire, de loin le plus prisé par ces diplômés, n’offre que 40%…

Laurence Theunis (Adoc)
Laurence Theunis (Adoc) “Les jeunes diplômés savent faire un C.V. académique mais pas un C.V. destiné à un employeur privé.”© PG

L’image du savant fou dans son labo

Le consultant se tourne aussi vers les employeurs potentiels, parfois un peu réticents à l’idée d’engager une personne ” trop ” diplômée. ” Certains ont l’image du savant fou dans son laboratoire, sourit Laurence Theunis. Or, je suis convaincue que les docteurs peuvent apporter beaucoup à toutes les entreprises qui travaillent, par exemple, dans l’innovation. ” Le rôle de la consultante est alors de mettre en relation la bonne personne avec la bonne entreprise. ” Ça non plus, ce n’est pas toujours aussi simple qu’il y paraît parce que, sans être des savants fous, tous les chercheurs ne sont pas visibles sur LinkedIn, assure-t-elle. Nous savons comment aller les chercher et comment rédiger une offre d’emploi pour la rendre attractive auprès des titulaires d’un PhD. ” L’autre crainte des employeurs, c’est que la perle rare coûte un peu trop cher par rapport au titulaire d’un master. ” Il n’y a aucun barême, assure la responsable de l’antenne belge d’Adoc. C’est une négociation et, bien entendu, nous préparons la personne à savoir valoriser ses compétences et son expérience. A chacun de bien appréhender les possibilités de marché. ”

Le FNRS réfléchit aussi à des initiatives qui pourraient rapprocher les PhD du monde de l’entreprise. ” Nous finançons quelque 2.000 chercheurs, dont la plupart ont des contrats de trois ou quatre ans. Nous devons nous intéresser à leur devenir “, avance Véronique Halloin. Elle songe notamment à développer un réseau d’alumni et des formules de mentorat, si possible dès la deuxième ou troisième année de doctorat. ” Cela permettrait d’accompagner le chercheur dans sa réflexion de carrière et de l’éclairer sur les perspectives concrètes “, précise-t-elle. Cet état d’esprit plus tourné vers le monde de l’entreprise gagne en poids parmi les doctorants, grâce au développement de bourses destinées à la recherche fondamentale stratégique, dans des domaines jugés prioritaires pour les besoins de la société. Les financements sont alors accordés non seulement sur la base de la qualité du candidat et de son projet mais aussi pour l’intérêt industriel potentiel de la recherche (bourses Fria) ou les réponses apportées aux défis sociaux et culturels de la société (bourses Fresh). Ces bourses représentent aujourd’hui la moitié des financements du FNRS et soutiennent le développement d’activités économiques, notamment dans les sciences du vivant et le développement durable. L’actualité économique de ces dernières années a bien montré que des recherches de ce type pouvaient souvent conduire à la création d’un start-up ou d’une biotech, souvent d’ailleurs avec un cofinancement de l’université. Les passerelles entre les mondes académiques et industriels ne sont plus des exceptions de nos jours.

Toujours plus de doctorants

La FWB finance chaque année environ 900 doctorants. C’est beaucoup plus qu’il y a une quinzaine d’années (568 en 2001). Pourquoi une telle progression, de l’ordre de 60% ? Sans doute un effet de masse lié à la hausse des inscriptions dans l’enseignement supérieur. Les meilleurs étudiants sont alors attirés par la perspective d’approfondir leurs connaissances dans un domaine bien précis (le syndrome du bon élève, comme le dit Yannick Paquay, voir l’encadré). Et c’est sans doute encore plus vrai avec le processus de Bologne qui rapproche les cursus entre les universités européennes. ” La création d’un espace européen de la recherche et l’importance stratégique accordée à la recherche et à l’innovation dans les politiques européennes ont donné une plus grande visibilité aux métiers de la recherche, conclut Véronique Halloin. Comme l’Europe veut plus de chercheurs, les financements ont augmenté un peu partout. C’est l’une des explications à la croissance de nombre de doctorants. “

“Un PhD, c’est un vrai plus dans une multinationale”

Trop diplômés pour le marché du travail: le doctorat est-il un sésame pour décrocher un job ?
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” Ne restez pas dans votre bulle, continuez à vous ouvrir l’esprit le plus possible “, voilà le conseil que donne Yannick Paquay, 30 ans, docteur en sciences appliquées à tous ces jeunes doctorants qui se plongent avec passion dans des recherches au long cours. Lui-même a respecté ce principe puisqu’il a mené de front sa thèse de doctorat avec un master à HEC. Ce diplôme, plus celui d’ingénieur civil (ULiège) et le doctorat, cela vous déblaie certainement la voie vers l’emploi. ” Je suis très proactif, ce qui n’est peut-être pas la caractéristique la plus partagée parmi les chercheurs universitaires, confie-t-il. Avant d’avoir terminé ma thèse, j’avais passé des entretiens dans les grands cabinets de consultance et j’ai décroché un job chez Bain. ”

Sa thèse à peine entamée, Yannick Paquay savait déjà qu’il ne ferait pas carrière dans la recherche. ” Pour moi, c’était un peu le syndrome du bon élève, sourit-il. J’avais de bons résultats, j’appréciais l’image, le prestige que renvoie un doctorat. Et puis, j’ai su avant d’être diplômé que j’avais un financement du FNRS. ” Etudiant, il avait développé une application mobile pour les horaires de bus, il se voyait clairement dans le monde de l’entreprise. Il ne regrette cependant pas du tout d’être passé par la case ” doctorat “, sans doute savait-il un peu mieux que d’autres la valeur ajoutée que cela pourrait apporter aux étapes suivantes de sa carrière. ” Cela reste une expérience très forte, conclut Yannick Paquay. Si vous voulez travailler dans une multinationale, c’est vraiment un plus, notamment en Allemagne où les PhD sont très prisés. C’est aussi très prisé pour ceux qui souhaitent rejoindre les grands labos de R&D de type GSK. ” Yannick Paquay a rejoint l’an dernier le groupe Hilti, en tant qu’ account manager.

“J’ai adoré partager mes recherches avec le grand public”

Trop diplômés pour le marché du travail: le doctorat est-il un sésame pour décrocher un job ?
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Ce qui a tout déclenché pour Catherine Vancsok, c’est le concours Ma thèse en 180 secondes . ” J’ai vraiment adoré partager le contenu de mes recherches avec le grand public, confie-t-elle. Pendant son doctorat, on utilise un vocabulaire d’experts pour répondre à des questions pointues posées par des spécialistes lors de congrès scientifiques. Et là, il fallait tout repositionner pour le grand public. Je me suis sentie très utile à la société en faisant cela et j’ai voulu poursuivre. ” Cette vétérinaire travaillera alors pendant 18 mois sur la vulgarisation des publications scientifiques à l’université de Liège. ” Sur des formats parfois très originaux comme la BD, les sets de table ou des expos “, précise-t-elle. Catherine Vancsok a depuis rejoint la Fondation Pairi Daiza, dont elle est la directrice scientifique.

” Quand on se lance dans une thèse, on pense qu’il faut se consacrer à 100%, 24h/24 à ses recherches scientifiques, poursuit-elle. C’est évidemment primordial. Mais tous les autres apprentissages autour – savoir organiser et gérer un projet, savoir communiquer, savoir collaborer avec d’autres équipes ou labos à l’étranger – sont des outils très précieux pour son C.V. Pendant son doctorat, il faut saisir toutes les opportunités de développer ces compétences transversales. ” Par exemple, en préparant le concours Ma thèse en 180 secondes.

Catherine Vancsok n’avait jamais spécialement songé à une thèse durant ses études. ” Je voulais soigner des chiens et des chats, j’ignorais qu’il y avait des chercheurs en médecine vétérinaire “, se souvient-elle. Un professeur lui a suggéré une recherche, elle s’est renseignée, a visité des labos et a finalement été séduite. ” La recherche, c’est vraiment un environnement très stimulant, ce sont de nouvelles questions, de nouveaux défis “, dit-elle. Elle a donc planché pendant quatre ans sur l’herpesvirus de la carpe koï (poisson très prisé en Asie). Les compétences acquises alors lui permettent de dialoguer avec les scientifiques dans les recherches auxquelles participe la Fondation Pairi Daiza (notamment une sur l’herpèsvirus des éléphants) mais aussi de très bien en communiquer les résultats.

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