Tous codeurs: idée géniale ou slogan stupide?

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A l’heure du tout numérique, le code est désormais présenté comme une solution magique pour décrocher un job. Les formations au codage pullulent, à l’attention de tous. Mais s’il est sympathique et bienveillant, le slogan “Tous codeurs” suscite toutefois de nombreuses interrogations. Car pour certains, la machine pourrait, un jour, remplacer les codeurs…

“Papa, tu sais que je suis capable de programmer un robot ? “. Florian, 8 ans, est tout excité : une semaine de stage estival lui a permis de comprendre les mécanismes derrière le fonctionnement du petit robot ludique Mbot. Connecté à une appli sur smartphone, le robot équipé de deux petites roues répond aux commandes formulées à l’avance par l’enfant : via son appli, il empile une série de blocs, lesquels correspondent, chacun, à des commandes (avancer, tourner à droite, etc.). A côté du tennis, du foot, des ateliers de danse ou de théâtre, le codage devient l’un des thèmes porteurs en matière de stages pour enfants. De même, les formations parascolaires (courtes et longues) au codage se multiplient un peu partout. Les adultes se voient aussi proposer toujours plus de programmes pour ” devenir codeurs “. On ne compte plus, en effet, les initiatives sur ce créneau, peu importe l’âge : BeCode, Le Wagon, Ecole 19, CodeNPlay, CoderDojo, etc. Le code est devenu la nouvelle hype, presque une solution magique à tous nos problèmes actuels et futurs. A en croire certains, le code doit offrir dès aujourd’hui de nouveaux débouchés sur le marché du travail et même résoudre (une partie de) la fracture sociale. Et, face aux développements attendus de l’intelligence artificielle, d’aucuns préconisent également une connaissance des langages informatiques pour trouver un job. On sait que la demande actuelle de développeurs se fait plus pressante. Toutes les entreprises nourrissent des projets numériques nécessitant des aptitudes plus ou moins grandes en programmation : applis, site web, etc. Selon une étude menée par Gartner et LinkedIn, rien que sur le marché belge, il pourrait manquer 30.000 personnes dans les métiers de l’Internet et du numérique d’ici 2020. Soit demain !

Initier chômeurs et bambins

Laurent Alexandre, gourou de l'intelligence artificielle
Laurent Alexandre, gourou de l’intelligence artificielle ” Le code, le vrai, ce sont des mathématiques compliquées pour lesquelles il faut disposer d’une intelligence exceptionnelle. “© BELGAIMAGE/CHRISTOPHE KETELS

Du coup, beaucoup misent sur l’apprentissage du code pour permettre à tous de trouver un job dans ce domaine en pleine croissance. Chez BeCode, une initiative très en vue logée au sein de l’espace BeCentral, au centre-ville de Bruxelles, on est d’ailleurs convaincu de la dimension sociale de l’apprentissage du code. C’est d’ailleurs la mission même de BeCode : remettre sur le marché du travail, grâce à sept mois de formation intensive, des personnes en décrochage ou sans boulot, provenant souvent de milieux moins favorisés. ” Notre public est très varié, détaille Cédric Swaelens, COO de BeCode. De notre école sortent aussi bien des gens disposant de multiples diplômes que des gardes forestiers ou même un SDF. Notre but est de remettre, grâce à l’apprentissage du code, des gens sur le marché de l’emploi. D’ailleurs, notre sélection à l’entrée se fait essentiellement sur la motivation pour y arriver et pas sur les compétences ou connaissances techniques. Avec une priorité accordée à ceux pour qui cette formation est un besoin réel. ” Et l’école, qui a calqué son modèle et son cursus sur les méthodes du pionnier français Simplon, se vante aujourd’hui d’afficher un taux de 80 % de remise à l’emploi sur les quelque 200 personnes formées depuis son lancement en mars 2017. BeCode n’est pas la seule initiative qui a pour but la remise sur le marché de l’emploi via l’apprentissage de la programmation ( lire par ailleurs ” Des formations au code pour tous les goûts “). Molengeek, incubateur de start-up à Molenbeek, propose aussi, via sa coding school, de ” former les jeunes aux nouveaux métiers du numérique et en particulier au développement web et mobile “. Cible : les jeunes Molenbeekois de 18 à 25 ans.

Mais les adultes ne sont pas les seuls concernés et de plus en plus de voix s’élèvent, tant en Belgique qu’en France, pour que le code fasse son entrée dans le cursus scolaire. Ou à tout le moins que la jeune génération soit initiée à l’apprentissage des langages informatiques. D’ailleurs, chez nos voisins français, l’apprentissage du code figure au programme des collégiens depuis 2016 tandis que les plus jeunes (équivalent de nos élèves du primaire) doivent bénéficier de ” sensibilisation ” à l’informatique et au numérique.

“Bienveillant mais stupide”

Reste que l’idée d’inciter tout le monde à ” devenir codeur ” ne met pas tout le monde d’accord. Connu pour ses analyses sans concession en matière de nouvelles technologies, Laurent Alexandre s’oppose fermement au discours ambiant. ” Tous codeurs ? C’est stupide et cela représente une véritable perte de temps pour les gamins qu’on va envoyer passer des heures à apprendre du code, s’emporte le spécialiste. Préconiser que tout le monde devienne codeur, c’est un gentil slogan mais qui peut se révéler dangereux parce qu’il dispense de réfléchir à l’incroyable complexité de l’interfaçage entre l’homme et la machine. Aujourd’hui, les politiques sont paumés et ne savent pas ce qu’il faut faire à l’ère de l’intelligence artificielle, alors ils soutiennent ce slogan ‘Tous codeurs’ qui est bienveillant, simple à comprendre et ressemble à une solution magique pour mettre un terme au problème du chômage. Mais en réalité, il permet surtout d’inaugurer des écoles d’apprentissage du code et d’arrêter de réfléchir pour mettre en place les bonnes mesures à prendre. ” Un pavé dans la mare, alors que demeure également une série de questions qui fâchent…

Il ne faut pas croire que toute personne qui a quitté l’école peut se rattraper en apprenant le code.

D’abord : tout le monde est-il vraiment capable d’apprendre à coder ? Le degré de mathématiques et de conceptualisation qu’implique le code est-il, comme le discours ambiant le laisse penser, accessible à tout le monde ? ” C’est un gros cliché de penser qu’il faut être particulièrement fort en maths, répond directement Ana Sere, Brussels driver du Wagon, un programme de formation intensif en matière de codage. C’est faux. Et nous avons d’ailleurs des profils très variés qui suivent la formation. Il ne faut pas être surdoué en maths mais avoir un esprit logique. ” Cette réaction, on la rencontre (forcément) auprès de la plupart des dirigeants de cycles de formation pour adultes. Mais Laurent Alexandre, auteur de l’ouvrage La Guerre des intelligences, livre qui place face à face intelligences artificielle et humaine, s’oppose totalement à cette vision. Pour lui, ” le code, le vrai, ce sont des mathématiques compliquées pour lesquelles il faut disposer d’une intelligence exceptionnelle. Or, le niveau en mathématiques est actuellement catastrophique. Pour coder, il faut une intelligence mathématique significative, capable de conceptualiser et d’arriver à un grand niveau d’abstraction. Sans un QI autour de 120, il me paraît difficile de maîtriser la programmation informatique et il est terrible de faire croire aux gens illettrés qu’ils seront codeurs… Personne n’entre à l’école 42 ( ou Ecole 19 à Bruxelles, Ndlr) avec moins de 100 de QI ! On ne promet pas à ces gens-là de devenir physiciens nucléaires, alors pourquoi laisser penser qu’ils deviendront codeurs ? ”

Dangereuses promesses

Laure Lemaire, directrice d'Interface 3
Laure Lemaire, directrice d’Interface 3 ” On demande que les candidates à nos formations aient au moins terminé leurs années d’enseignement secondaire. “© PG

Si elle est moins catégorique, Laure Lemaire, directrice d’Interface 3, centre de formation continue destiné aux femmes, soutient elle aussi que ne devient pas codeur qui veut. ” On demande que les candidates à nos formations aient au moins terminé leurs années d’enseignement secondaire, car il ne faut pas croire que toute personne qui a quitté l’école peut se rattraper en apprenant le code. La programmation est un langage ardu qui demande beaucoup de rigueur. Il faut vraiment faire attention aux promesses que l’on fait aux gens. ” La directrice d’Interface 3 craint, en effet, qu’in fine, on ne développe pas des codeurs mais seulement de ” bons exécutants ” voire des ” ouvriers du code payés des cacahuètes pour éviter aux entreprises d’aller en chercher en Inde “.

Pour Cédric Swaelens, toutefois, cette évolution n’aurait rien de si négatif . ” Nous formons de nouveaux types d’informaticiens, des ouvriers du Web en quelque sorte, sans que cela ne soit péjoratif, argumente-t-il. Par le passé, il fallait énormément de compétences pour faire de la programmation, des cerveaux qui imaginent les programmes. Les développeurs étaient des architectes. Mais aujourd’hui, l’informatique est basée sur des blocs solides existants, les frameworks. Aucune entreprise ne crée des projets numériques en partant de zéro. Je ne dis pas que le code convient à tous, mais en tout cas, il peut désormais convenir à des gens à qui il ne convenait pas avant. ” Reste donc à s’entendre sur le terme de ” codeur “. Mais une autre question s’impose : ces ” ouvriers du code ” pourront-ils survivre à l’évolution attendue de l’intelligence artificielle (IA) ? De plus en plus d’experts estiment, en effet, qu’un jour viendra où la machine pourra, elle-même, créer du code. Microsoft, par exemple, a dévoilé DeepCoder en début d’année 2017 : il s’agit, selon la firme fondée par Bill Gates, d’un programme alimenté par des masses colossales de données et capable d’écrire lui-même son propre code en assemblant des fragments de différents codes. Et il se dit par ailleurs que l’algorithme de recherche de Google contiendrait déjà, lui aussi, des parties de codes générées par la machine. Il faut dire qu’aujourd’hui, les codes d’applications ou de plateformes comme Google ou Facebook contiennent des millions de lignes de programmation. Des masses d’informations colossales qui, à un moment, ne peuvent être gérées uniquement par l’humain. Comme c’est le cas pour le séquençage de l’ADN, seules des machines ultra-puissantes parviendront à gérer de telles masses d’informations. Alors, les codeurs vont-ils rejoindre la liste des métiers en voie de disparition sous la menace de l’intelligence artificielle, comme les comptables, les chauffeurs de taxis et de poids lourds, etc. ? Pas de doute pour Laurent Alexandre : ” Le codeur moyen de gamme sera remplacé par l’IA. La spécialisation est toujours dangereuse face à l’IA qui effectuera des tâches spécifiques mieux que l’humain… y compris en matière de codage “.

Métier actuellement en pénurie

Mais ” on n’en est pas encore là “, relativise Stephan Salberter de l’Ecole 19. ” Au contraire, pour l’instant, les études montrent que le métier de programmeur est plutôt en pénurie et que l’on en aura encore besoin pendant des années, avant qu’une intelligence artificielle ne puisse le remplacer. Par ailleurs, chez nous, on ne forme pas simplement les gens au code : grâce au code, on forme des personnes qui ont la capacité d’apprendre à apprendre. Ils sont capables de résoudre des problèmes et de créer. Ce dont on aura toujours besoin. ”

Reste que, de toute manière, apprendre le code ne signifie pas forcément ” devenir développeur “. Les partisans de l’intégration de l’apprentissage du code à l’école plaident plutôt pour l’ouverture d’esprit, la résolution de problèmes et la compréhension de la programmatique, la collaboration, etc. ” Pour de jeunes enfants, la familiarisation avec le code permet de structurer leur pensée, de leur apprendre à créer des choses et trouver des solutions à un problème, insiste le patron de l’Ecole 19. En outre, acquérir les bases du codage permet de travailler les soft skills. ” Des tas d’aptitudes qui pourront donc leur servir à autre chose qu’à écrire le code du prochain Facebook…

Des formations au code pour tous les goûts

BeCode

Présente à Bruxelles, Charleroi et Liège, BeCode propose une formation gratuite de sept mois qui permet de devenir web développeur. L’école, construite sur le modèle de Simplon en France, va chercher des personnes en décrochage pour les remettre, grâce au code, sur le marché du travail. D’ailleurs, pour atteindre ces personnes, BeCode développe un marketing innovant en leur lançant des messages d’appel au travers des séries télé, des jeux vidéos et même des sites pornos. Des groupes de 25 personnes, sélectionnées essentiellement sur leur motivation et leur besoin de formation, ont accès aux infrastructures jour et nuit mais les cours sont dispensés en journée ” pour privilégier les personnes qui ne travaillent pas “. BeCode, qui espère atteindre une dizaine de centres belges dans les trois ans revendique, 200 personnes formées.

Switchfully

A mi-chemin entre un programme de formation et un service de recrutement, Switchfully propose un service innovant. ” Nous proposons aux entreprises qui cherchent des développeurs d’attirer des profils adéquats, de les former selon leurs besoins et de les intégrer dans leurs équipes “, détaillent Niels Delestinne et Reinout Van Bets, les fondateurs de Switchfully. Concrètement, les entreprises (plutôt des grandes structures comme des banques, par exemple) financent la formation de quatre mois et paient un salaire aux étudiants, une manière de leur permettre de se concentrer à 100 % sur l’apprentissage. Les étudiants ne doivent avoir aucun prérequis mais sont sélectionnés sur leur capacité à apprendre et à comprendre. Pour l’instant, Switchfully compte 46 ” gradués “.

BeMaker

Pas uniquement consacré à l’apprentissage de la programmation informatique, BeMaker se présente plutôt comme un ” Fablab mobile “. L’idée : emmener dans les écoles belges un camion équipé d’une série d’outils numériques (impression 3D, découpes et gravures laser, modules électroniques, programmation, robots, etc.) susceptible d’encourager les kids à appréhender autrement les outils numérique. ” Le code et le numérique entrent tellement dans le quotidien qu’il est nécessaire d’aider les enfants à comprendre cette évolution et éveiller chez eux une curiosité au numérique “, argumente Margot Brulard, cofondatrice de BeMaker.

Le Wagon

Pionnier en matière de formation au codage, Le Wagon Brussels est une franchise d’une initiative française. Ce programme payant (5.900 euros) de neuf semaines, en groupes de 20 personnes, s’articule autour de l’écriture du code en vue de développer une idée précise. Plutôt destiné aux entrepreneurs qui veulent développer un projet, Le Wagon compte déjà 3.200 alumnis dans les 28 villes où il est actif. Quand les étudiants en sortent, ils sont normalement capables de ” créer un site ou un prototype et d’intégrer une équipe en tant que développeurs junior “, précise Ana Sere, qui dirige l’antenne belge. Selon elle, ils seraient, en sortant, 40 % à lancer leur boîte et 60 % à rejoindre une équipe.

Ecole 19

Petite soeur belge de l’Ecole 42 fondée par Xavier Niel, le magnat français derrière Free, l’Ecole 19 se distingue totalement des autres. D’abord, sa formation (gratuite) destinée aux 18-30 ans dure… entre trois et cinq ans, au rythme souhaité par les étudiants. Elle ne propose, en effet, pas de cours et ne fait pas appel à des profs. Elle est basée sur le peer-to-peer learning et laisse donc les étudiants se débrouiller, ce qui libère leur créativité grâce l’apprentissage en mode projets. L’évolution du cursus ” s’organise, comme un jeu vidéo en 21 niveaux différents “, détaille Stephan Salberter, le boss de l’Ecole 19. Pas de condition d’entrée mais les candidats doivent préalablement passer un mois dans la ” piscine “, c’est-à-dire qu’ils sont confrontés à un problème à résoudre et la manière dont ils s’en sortent détermine leur accession à l’Ecole 19.

Molengeek

Au sein de Molengeek, incubateur bien connu installé à Molenbeek pour y insuffler l’esprit start-up auprès des jeunes, il existe également une école de codage. Baptisée Coding School, elle prévoit des formations gratuites de six mois pour les demandeurs d’emploi de 18 à 25 ans. Ils font un tour des différents langages et technologies (HTML, CSS, Javascrip, Internet des objets, etc.). Le tout au travers de méthodes d’apprentissage agiles et du peer to peer programming.

CodeNPlay

C’est par l’intermédiaire d’Ozobot, un petit robot doté de capteurs, que les enfants (6-12 ans) entrent en contact avec le monde de la programmation : ils peuvent lui donner des instructions qu’il reproduit ensuite. Des activités ludiques proposées par CodeNPlay leur permettent d’appréhender, même sans écran, le langage informatique. Les têtes blondes sont aussi invitées à construire un PC modulable (Kano) avant de l’utiliser. A la base CodeNPlay comptait proposer principalement des activités extrascolaires. Mais à présent, la petite équipe de sept personnes derrière cette ASBL veut former les enseignants qui, ensuite, transmettraient le ” virus numérique ” aux petits.

Interface 3

Ce centre de formation continue, fondé en 1987 à Bruxelles, a une particularité : il s’adresse quasi-exclusivement aux femmes et cible depuis une trentaine d’années les métiers de l’IT. Depuis quelques années, Interface 3 propose des formations (d’une année) de web application developer ou de front-end developer à destination des femmes uniquement. ” Il s’agit souvent de femmes qui souhaitent se réorienter professionnellement, précise la directrice Laure Lemaire. On leur propose alors une année super intensive de 1.400 heures quasi exclusivement consacrées au code. ” Interface 3 entend clairement répondre au manque de femmes dans l’univers informatique. Selon Laure Lemaire, on ne dépasserait pas 10 % de filles inscrites dans les filières informatiques…

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