Sur les traces d’Ernest Solvay

© Christophe Ketels - BELGAIMAGE

L’agriculture plus écologique, c’est possible grâce à Mohamed Takhim. Il a inventé un procédé propre et moins cher pour produire des phosphates, indispensables pour les cultures. Basé à Louvain-la-Neuve, il multiplie les usines à travers le monde, notamment en Chine.

C’est une belle histoire, digne d’Ernest Solvay, l’inventeur d’un procédé de fabrication de la soude, qui a rendu le patronyme célèbre en Belgique et développé un empire industriel. Mohamed Takhim, 42 ans, lui, a inventé un procédé pour fabriquer du phosphate, indispensable pour l’agriculture, au départ de minerai pauvre. Une invention très écologique, développée par sa société Ecophos, basée à Louvain-la-Neuve. La production classique, avec du minerai riche, peu abondant, est polluante. ” Elle génère six tonnes de déchets par tonne de soude produite, difficiles à traiter, explique-t-il. Notre procédé n’en produit que 30 kg, bien plus aisés à traiter. ” Il est également moins cher que la production traditionnelle de phosphate, qui utilise un minerai très concentré, rare, dont le cours est très élevé (plus de 150 dollars la tonne).

Son procédé est moins cher que la production traditionnelle de phosphate.

Comme Solvay, Mohamed Takhim multiplie les usines à l’étranger. Il possède une usine à Rotterdam, une autre en Bulgarie. En 2017, il a ouvert Dunkerque. L’an prochain, ce sera le tour de l’Inde, puis de huit usines en Chine à travers une joint-venture signée cette année.

Ce développement est l’aboutissement d’un long parcours qui a débuté au Maroc. C’est là que Mohamed Takhim, encore lycéen, a imaginé un procédé de purification du phosphate, dont son pays natal est grand producteur. Une petite révolution pour l’exploitation de cette matière précieuse et méconnue. ” Comme l’oxygène ou l’eau, elle est indispensable à la vie, dit-il. Il en faut pour faire pousser les plantes : 80 % des phosphates sont utilisés pour fertiliser les champs. ” Mohamed Takhim est venu présenter son invention au salon Eurêka, à Bruxelles, en 1995. Il avait à peine 19 ans. Il y a impressionné des investisseurs qui l’ont aidé à lancer Ecophos, alors qu’il poursuivait encore ses études (en ingénieur procédé chimique et MBA Skema Business School à Paris). Débute alors un long périple pour valider le processus et mettre au point la production industrielle.

Aujourd’hui, le temps de la récolte est arrivé. Avec ses premières usines, Ecophos peut montrer son savoir-faire et convaincre banquiers, investisseurs et partenaires pour s’exporter. ” L’an passé, j’ai passé 228 jours en voyage”, précise-t-il. Le groupe réalise un chiffre d’affaires consolidé de 151 millions d’euros en 2017 et occupe 350 personnes, dont une moitié en Belgique.

Les usines sont soit détenues en propre (Dunkerque), soit en joint-venture (Chine). Mais Ecophos vend également son procédé, en échange de royalties. Un groupe russe va ainsi ouvrir une immense usine au Kazakhstan pour exploiter du minerai de phosphate pauvre, abondant dans ce pays. Côté belge, il n’y a pas (encore) d’usine. ” Je cherche 5 à 10 ha à Anvers, mais le terrain manque “, précise Mohamed Takhim. L’étape suivante consistera à exploiter les boues des centrales d’épuration, incinérées, très riches en phosphate.

La succession semble assurée. L’inventeur est l’heureux père d’une petite fille, Sofia, sept ans en janvier. ” Elle a voulu avoir un petit labo de chimie, comme moi à son âge, dit-il, ému. Elle adore les cristaux. Je lui ai dit que ceux du phosphate sont très petits. Elle m’a répondu que ça ne faisait rien et m’a demandé de lui en donner un grand sac. ”

Trends Manager de l’année 2018

Pourquoi le jury l’a choisi

Pour le parcours sans faute et exemplaire de Mohamed Takhim et d’Ecophos. ” C’est un nouveau processus totalement innovant “, indique un membre du jury. La progression financière est aussi remarquable, ” un chiffre d’affaires passé de 12 millions d’euros en 2012 à 151 millions en 2018 “. L’Ebitda est à l’avenant, et le dévelop-pement international réussi.

Le fait marquant de 2018

La signature d’une joint-venture en Chine avec le groupe Guizhou Chanhen Chemical Corporation pour la construction d’usines de traitement produisant jusqu’à 2,2 millions de tonnes tous les ans. ” Et la montée en puissance de l’usine de Dunkerque. ”

La réalisation dont il est le plus fier

” L’usine de Dunkerque, ouverte en 2017, et le projet chinois sont les étapes les plus importantes pour Ecophos. L’usine française a une capacité de 220.000 tonnes par an. Elle constitue un véritable show-room pour montrer la capacité d’Ecophos à de nouveaux clients ou partenaires. ”

Le défi qui l’attend en 2019

” L’ouverture de l’usine en Inde, dont Ecophos possède 85 %. ” Le lancement d’un projet de production de phosphate au départ de boues incinérées provenant de systèmes d’épuration des eaux, ” sans doute à Dunkerque “. Une véritable démonstration d’économie circulaire. ” Nous avons réalisé la production pilote. La technique est au point. ”

Un bon Manager de l’Année, selon lui

” C’est quelqu’un qui a réussi la stratégie fixée pour son entreprise, a construit un business plan et est parvenu à l’implémenter et à fédérer ses équipes. C’est une reconnaissance de cette réussite, sachant qu’en général, elle n’est pas l’affaire d’une année. “

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