Roucouler là-haut sur la colline

Jérôme Demeyer a choisi d'élever le pigeon Myrthis, une espèce française réputée pour son poids et sa productivité. © Hatim Kaghat

Le pigeon est un invité assidu des tables gastronomiques. La plupart du temps, il vient de France. Depuis 2017, Jérôme Demeyer conduit un élevage de haut vol à Saint-Sauveur au beau milieu de son Pays des Collines natal. Les chefs belges lui en savent gré.

Déjà tout petit, Jérôme Demeyer côtoyait des pigeons. Ceux qu’Albert, le frère de son grand-père, élevait pour les concours de colombophilie. Né dans une famille d’agriculteurs au beau milieu du magnifique Pays des Collines, ce parc naturel situé dans la partie nord-ouest du Hainaut sur les communes d’Ellezelles, Flobecq, Mont-de-l’Enclus, Frasnes-lez-Anvaing et, partiellement, Ath (villages d’Ostiches, Mainvault et Houtaing), Jérôme Demeyer a, professionnellement, toujours évolué dans le secteur agricole: comme brasseur de la Moinette à la Brasserie Dupont à Tourpes ou comme représentant en nutrition animale pour le compte de Lebrun (groupe Aveve). Son élevage de pigeons, il l’a d’abord mûri pendant de nombreuses années avant de se lancer. D’abord en indépendant complémentaire puis full time à partir de la Toussaint 2017.

Avec la pandémie, je suis passé de 1.700 à 1.400 couples. Parce que, voyez-vous, je ne peux pas dire aux pigeons d’arrêter de s’accoupler sous prétexte que l’horeca est fermé.

“J’ai un peu tâté de la caille avant, explique-t-il. Mais j’avais envie de faire de l’élevage artisanal et traditionnel. Le pigeon s’est imposé dans la mesure où c’est la seule volaille d’élevage qui soit nidicole. Les jeunes sont élevés jusqu’au sevrage par les parents. C’est impossible à reproduire de façon industrielle. Cela cadre bien avec le Pays des Collines où tout est encore à taille humaine et où les fermiers font encore de l’élevage à petite échelle.”

Les pigeons se choisissent

Jérôme Demeyer a choisi d’élever le pigeon Myrthis, une espèce française réputée pour son poids et sa productivité. S’il a débuté en utilisant l’ancienne grange de sa ferme à Saint-Sauveur, il a rapidement compris l’impraticabilité de la chose. Surtout au début quand les pigeonneaux invendus ont commencé à tout envahir. Le Saint-Salvatorien a alors construit lui-même deux bâtiments en bois qui abritent les volières appelées parquets. Chaque parquet contient 30 couples qui s’y ébattent gentiment ainsi que des casiers qui servent à nidifier. Chaque parquet a accès à de l’air extérieur via un grillage et le sol est constitué de lattes de bois qui laissent passer les déjections récupérées dans une fosse et recyclées en engrais organique. A partir de là, c’est Dame Nature qui fait le reste.

L'éleveur a construit lui-même deux bâtiments en bois qui abritent les volières appelées parquets. Chaque parquet contient 30 couples qui s'y ébattent gentiment ainsi que des casiers qui servent à nidifier.
L’éleveur a construit lui-même deux bâtiments en bois qui abritent les volières appelées parquets. Chaque parquet contient 30 couples qui s’y ébattent gentiment ainsi que des casiers qui servent à nidifier.© Hatim Kaghat

“Le mâle choisit sa femelle, sourit Jérôme Demeyer. Fatalement, le dernier du groupe n’a plus trop le choix ( rires). Souvent, ce couple-là est le moins productif. Sans doute parce qu’ils sont moins motivés. Ou parce que le mâle n’est pas encore tout à fait mature sexuellement. Le mâle choisit aussi le casier qui abritera le nid et reviendra toujours dans le même. Environ 10 jours après l’accouplement, la femelle pond deux oeufs. Le couple va alors se relayer pour la couvaison qui dure 18 jours et, plus tard, pour nourrir les deux pigeonneaux. Ils sont sevrés aux alentours du 28e jour et c’est le moment que je choisis pour les prélever et les abattre. Il faut donc, au mieux, quasi deux mois pour un cycle entier. Il n’est pas possible d’accélérer le processus évidemment, ni de le faire à leur place ( rires). Les couples les plus actifs peuvent avoir déjà pondu deux nouveaux oeufs avant le sevrage mais ce n’est pas la norme.”

Ils se nourrissent eux-mêmes

Il n’est pas possible d’accélérer le processus mais il est possible de motiver les couples. Notamment en jouant sur la luminosité afin de leur faire croire que l’automne et l’hiver, deux périodes plus calmes dans la nature pour la sexualité des pigeons, ne sont pas arrivés. L’un dans l’autre, l’élevage est un cycle continu avec environ 12 pigeonneaux par an et par couple. Les pigeons se nourrissent eux-mêmes et à leur rythme. Ils ont à disposition dans chaque parquet deux grands bacs remplis de maïs en grain non trié et non transformé et produit par le fermier voisin. Ainsi qu’un bac contenant des compléments en protéines, minéraux et vitamines sous forme de granulés. Les pigeons consomment environ 80% de maïs. Ah, autre particularité, le pigeon est fidèle en amour…

“Parfois, je change les couples peu motivés ou s’il y a des problèmes de stérilité, explique Jérôme Demeyer. Je prends le pigeonneau quand il a suffisamment de plumes pour être bien déplumé. Pour que sa forme soit parfaite. En été, il faut être attentif pour qu’il ne se déshydrate pas ou perde en croissance puisqu’il est sevré. Typiquement, un couple va travailler pendant quatre ans avant d’être réformé. Avec la pandémie, j’ai réformé beaucoup plus vite et suis passé de 1.700 à 1.400 couples aujourd’hui. Parce que, voyez-vous, je ne peux pas dire aux pigeons d’arrêter de s’accoupler sous prétexte que l’horeca est fermé…”

L’horeca, client principal

Dans sa ferme, faute d’avoir trouvé un abattoir ad hoc dans la région, Jérôme Demeyer a installé un abattoir agréé B to B par l’Afsca. Il en sort deux produits: le pigeonneau de chair et des rillettes (à conserver au frais) réalisées au départ de pigeonneaux déclassés ou abîmés par l’abattage. Un agrément essentiel puisque les restaurants constituent le débouché principal de son élevage. Soit 75% de son chiffre d’affaires. La qualité de son pigeonneau a rapidement conquis les chefs. On retrouve ainsi le pigeonneau des Collines chez Christophe Hardiquest (Bon Bon), Sang Hoon Degeimbre (L’Air du Temps) et Jean-Baptiste Thomaes (Château du Mylord), tous trois bi-étoilés Michelin.

Roucouler là-haut sur la colline
© Hatim Kaghat

“J’ai eu la chance de participer à Collinaria, se souvient Jérôme Demeyer. C’est l’événement culinaire du Pays des Collines qui attire beaucoup de monde. Dans la foulée, Jean-Baptiste Thomaes a mis mon pigeonneau au menu du gala de la Chaîne des Rôtisseurs, une association gastronomique mondiale. C’est comme ça que j’ai rencontré David Grosdent qui vient juste d’avoir sa première Etoile à l’Envie. Son plat signature, c’est d’ailleurs du pigeonneau…”

Les jeunes chefs qui montent comme Kevin Lejeune (une étoile à La Canne en Ville à Bruxelles), Tanguy De Turck (Le Vieux Château à Flobecq), Charles-Maxime Legrand et Maxence Bouralha (Quai n°4 à Ath) sont aussi des clients très réguliers.

Aucune aide

Fatalement, la pandémie a forcé le quadragénaire à revoir ses plans. D’autant qu’il n’a reçu aucune aide. D’une part, parce qu’il n’a évidemment jamais fermé. D’autre part, parce que son excellent 1er trimestre 2020 le prive d’une aide liée au chiffre d’affaires. Et dire qu’il était en route pour faire une année 2020 exceptionnelle avec un carnet de commandes plein. Si la vente aux particuliers à la ferme a été une volonté de départ, Jérôme Demeyer s’est tourné ou a amplifié d’autres filières: les circuits courts organisés par les fermes comme le Drive-In de Foucaumont à Ligne ou la ferme du Cense du Mayeur à Baudour, la présence dans des coopératives comme Coprosain ainsi que dans des supermarchés de proximité. Depuis peu, suite à l’introduction de Christophe Hardiquest, le pigeonneau des Collines a fait son entrée chez Rob à Bruxelles. Le succès est tel que les quantités livrées ont déjà doublé…

“Rob me prend des pigeonneaux entiers et les propose à la découpe à son comptoir suivant les désidératas des clients. Toute cette filière, je ne vais évidemment pas la laisser tomber quand l’horeca va rouvrir. Elle m’a permis de survivre même si des chefs ont mis, cycliquement, mon pigeonneau à la carte de leur take-away. C’est pour ça que je prépare un troisième bâtiment qui portera ma capacité à 2.100-2.200 couples. C’est la limite pour un homme seul. Même si mon épouse vétérinaire me donne un coup de main pour le suivi sanitaire et que mes enfants et ma maman m’aident pour le nourrissage ou la vente. J’ai commencé à garder des pigeonneaux pour créer mes propres couples et ne plus dépendre de l’achat de pigeons que pour environ la moitié.”

L’avenir passe aussi par la diversification des produits. Comme autoclaver les rillettes pour permettre une vente hors rayon frais et augmenter la date limite de consommation. Ou comme imaginer un débouché pour les pigeons réformés. Sous forme de pâté sans doute.

Roucouler là-haut sur la colline
© Hatim Kaghat

“Un produit exceptionnel”

La législation européenne stipule qu’un pigeon doit être abattu par électronarcose, saigné et éviscéré avant d’être vendu. L’Afsca fait respecter cette législation chez nous. La France, au nom de la tradition gastronomique, octroie des dérogations et autorise les éleveurs à tuer les pigeons par étouffement et à les vendre pleins. Ces pigeons-là ont le droit d’être vendus en Belgique en vertu de la libre circulation des biens et donc peuvent être utilisés par les chefs. Les plus recherchés proviennent d’Anjou ou du Pays de Racan en Indre-et-Loire.

“Ce n’est pas le même produit que celui de Jérôme Demeyer, explique Christophe Hardiquest, le chef bi-étoilé de Bon Bon à Bruxelles. Ce pigeon-là est saignant et présente un côté gibier. Il s’assimile à une viande rouge. Celui de Jérôme se range dans la catégorie des volailles.”

Pour autant, le chef est un fan absolu des pigeonneaux des Collines qu’il sert régulièrement à ses clients et qu’il décline de plusieurs façons: cuisson sur le coffre, cuisson à l’argile, fumé, rillettes des cuisses, etc.

“C’est un produit fantastique, local et gastronomique. Son goût est extra malgré le fait qu’il n’ait pas été abattu à l’étouffée. Cela provient de la façon dont il est nourri et soigné. Il est tendre, bien calibré et bien dodu. C’est le genre de produits artisanaux qui font la richesse de notre pays. J’ai retrouvé de vieilles recettes de 1920 qui demandaient de tuer le pigeon à l’étouffée. Il y a donc bien chez nous la même tradition qu’en France. Je suis sûr qu’avec d’autres chefs, nous pourrions appuyer un dossier pour obtenir une dérogation.” Une dérogation qui permettrait à Jérôme Demeyer de répondre à l’ensemble des besoins des chefs.

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