Romy, l’affranchie

Romy Schneider, 1964. "A la fois une femme rayonnante et meurtrie", disait le réalisateur Claude Sautet. © WILL MCBRIDE

La Cinémathèque de Paris consacre une émouvante exposition à la comédienne Romy Schneider disparue prématurément il y a 40 ans. Et rappelle combien la muse de Claude Sautet incarna à l’écran une figure libre, indépendante, en quête d’émancipation, en un mot, moderne.

A défaut de les interdire, elle espérait que la télévision finirait par les oublier. Son voeu n’a pas été exaucé, la télévision passe et repasse inlassablement la série des Sissi que Romy Schneider tourna à l’âge où l’on est encore sur les bancs de l’école. Elle exécrait la trilogie. Trop d’artifices, trop de violons, trop de tout. “Une blessure à ma fierté”, affirmait-elle. Ses collaborations suivantes avec Luchino Visconti, Andrzej Zulawski ou Claude Sautet, son réalisateur fétiche, ont révélé sans équivoque son talent. Pourtant, la plupart de ses rôles, y compris les plus mémorables, ne lui étaient pas destinés. Mais elle avait le don de se rendre indispensable.

On a voulu éviter la légende noire, le côté lacrymal.” Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque

De tout cela il est question dans la vaste exposition que consacre la Cinémathèque de Paris à l’actrice décédée il y a tout juste 40 ans. L’institution s’attarde sur ses films les plus marquants, met en lumière ses choix de carrière, souligne son exigence permanente qui se confondait avec une soif d’absolu. On y découvre des photos, des objets de travail (robes, scénarios annotés, projets d’affiches, esquisses préparatoires), des extraits de films, des fragments de correspondance et d’entretiens qui dessinent en coulisse une personnalité entière, orgueilleuse, perpétuellement en proie au doute. A propos de Coco Chanel qui l’habilla à l’écran durant les années 1960, elle dit: “Quand on la regarde travailler, détruire son travail, recommencer, souffrir pour une pince mal placée, on a forcément honte et on pense: ‘Si seulement je pouvais faire mon boulot comme elle fait le sien'”.

Les films de terroir

De sa vie privée, il n’est pas question dans cet hommage grand format. “On a voulu éviter la légende noire, le côté lacrymal”, précise d’emblée Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque. Il y avait pourtant matière à sortir les mouchoirs. Les dernières années de l’actrice furent particulièrement sombres. En l’espace de deux ans, à l’aube de la quarantaine, elle doit affronter de graves ennuis de santé, le suicide de son ex-mari et la mort accidentelle de son fils de 14 ans qui survient à l’été 1981. Elle décédera l’année suivante d’une crise cardiaque, dans son appartement parisien, seule au petit matin. Elle avait 43 ans. “Elle a vécu des moments de malheur incommensurable mais l’exposition est du côté de la vie, de son travail”, se défend Clémentine Deroudille, commissaire de l’exposition.

L'Expo parisienne  rassemble des photos, des objets de travail, des extraits de films, des fragments de correspondance et d'entretiens.
L’Expo parisienne rassemble des photos, des objets de travail, des extraits de films, des fragments de correspondance et d’entretiens.© RENAUD CALLEBAUT

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le biopic de l’impératrice d’Autriche n’est pas le premier film de Rosemarie Albach, dite Romy Schneider. Depuis l’âge de 15 ans, l’adolescente est abonnée aux Heimatfilm, ces films de terroir qui tentent de redorer l’image de l’Autriche et de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Elle n’est pas la seule Schneider au générique. Sa mère, Magda, qui est aussi du métier, partage invariablement l’affiche avec sa fille. Mentor, conseillère, chaperon, mais aussi rivale, elle occupe une place centrale dans la carrière de sa protégée. Du moins pour ce qui est des débuts…

D’étoile montante, Romy, la benjamine de la dynastie (son père et son grand-père sont également comédiens), devient après le triomphe du triptyque Sissi (1955-1958) une star qui déclenche l’hystérie à chacune de ses apparitions publiques. Sa liaison avec un jeune acteur nommé Alain Delon rencontré sur le tournage de la romance Christine (1958) peaufine le conte de fées que l’on dirait taillé sur mesure par le département marketing. Tout cela sonne agréablement aux oreilles de Hollywood qui n’est pas insensible au marché européen ni hostile à une remise en question. Car la capitale de l’industrie cinématographique est en profonde mutation. Sous l’influence de la télévision, la Mecque du septième art veut rajeunir son image. Le succès de Shirley MacLaine ou Natalie Wood, de la même génération que Romy Schneider, montre la voie aux studios. Romy Schneider coche les cases. Hollywood l’invite en 1958 pour faire plus ample connaissance. “Mutter Magda” est évidemment du voyage… Walt Disney qui distribue sur le sol nord-américain Jeunes filles en uniforme via sa filiale Buena Vista, va jusqu’à lui faire passer des bouts d’essais. C’est finalement la Columbia qui conclut l’affaire en 1962.

Orfèvre des sentiments amoureux

Le contrat avec les Américains prévoit un contrat de six ans pour six films. Mais la greffe ne prend pas. L’actrice est reléguée au second plan dans des comédies sans grand intérêt. Elle s’ennuie à Beverly Hills, se languit de l’Europe et de Luchino Visconti, le sauveur. C’est lui, le grand cinéaste italien qui, en 1960, a cru le premier en elle en la choisissant pour incarner sur les planches parisiennes, et en langue française, le rôle d’Annabella dans la pièce de théâtre Dommage qu’elle soit une p… aux côtés d’Alain Delon. C’est Visconti encore qui la transforme en femme fatale, lascive et provocante dans le film à sketches Bocacce 70. Peu importe si cette adaptation contemporaine des contes pour adultes de Boccace est accueillie tièdement au Festival de Cannes de 1962, c’est un jouissif pied de nez à Sissi. On imagine le plaisir transgressif que l’interprète a dû prendre dans la scène de la salle de bains où elle tourne entièrement nue, juste revêtue d’un collier de perles…

Si les années 1960 se révèlent parfois ambitieuses ( Le combat dans l’île d’Alain Cavalier, Le Procès d’Orson Welles, d’après Kafka), le public ne la suit plus. Les spectateurs qui se pressaient par millions pour ses compositions d’hôtesse de l’air, d’orpheline résiliente ou de tête couronnée ne sont plus au rendez-vous. En l’absence de résultats au box-office, les producteurs rechignent à lui confier un premier rôle. Et à 25 ans, elle n’a plus l’âge, ni l’envie, de jouer les ingénues. Elle croit tenir sa revanche avec L’Enfer de Henri-Georges Clouzot. Rarement un film n’aura aussi bien porté son nom. D’enfer, il est bien question sur le tournage de cette production minée par le comportement d’un réalisateur génial mais réputé tyrannique. Le calvaire s’arrête de lui-même lorsque Clouzot, victime d’un infarctus, renonce à poursuivre l’aventure. Des images d’archives de L’Enfer laissent entrevoir ce qu’aurait pu être cette entreprise folle, avant-gardiste en diable, avec des plans aux effets psychédéliques influencés par l’ optical art. Le coup d’arrêt de ce projet est une épreuve professionnelle de plus pour l’actrice.

Boccaccio 70  de Luchino Visconti, 1962. Un jouissif pied de nez à Sissi...
Boccaccio 70 de Luchino Visconti, 1962. Un jouissif pied de nez à Sissi…© CINÉDIS – FRANCINEX / EDITIONS RENÉ CHATEAU VIDÉO

La piscine, tourné en 1968, sera sa bouée. Romy Schneider a tout juste 30 ans. Alain Delon, qui ne partage plus sa vie mais a les moyens de dicter sa loi aux producteurs, l’impose au casting. Le thriller qui déroule lentement mais implacablement sous le soleil tropézien fait un tabac. La voilà relancée. Elle signe ensuite pour Les choses de la vie (1970) qui marque le début de sa longue collaboration (cinq films) avec Claude Sautet. La petite musique du metteur en scène, orfèvre des sentiments amoureux pris dans les doutes et les contradictions, lui va à ravir. Le duo se retrouve pour l’implacable Max et les ferrailleurs (1971) et l’année d’après pour César et Rosalie. Au coeur de ce savoureux triangle amoureux, Romy Schneider, lumineuse comme jamais, campe une jeune femme indépendante, du moins pour l’époque – nous sommes en 1972… -, partagée entre son macho de mari (Yves Montand) et un beau brun romantique (Sami Frey). “Dans ce film, elle incarne une femme libre en qui les femmes se retrouvent ou, en tout cas, aimeraient se retrouver”, explique le journaliste Jean-Pierre Lavoignat, auteur de Romy paru chez Flammarion et d’un livre en préparation autour du “couple” Sautet-Schneider. “Mais Rosalie ce n’est pas Romy Schneider pour autant, poursuit-il. De la même manière qu’elle incarne la femme française sans l’avoir cherché. Cela se passe un peu à son corps défendant même si, dans la vraie vie, elle a signé le manifeste pour la libération de l’avortement en Allemagne, ce qui a manqué de lui valoir des poursuites judiciaires. Au cinéma, cette aspiration à la liberté est transcendée. C’est la force de cette collaboration unique avec Sautet.”

L’ombre de la culpabilité

Auréolée d’un nouveau prestige, la star peut prétendre au tapis rouge. Désormais, elle est une valeur sûre qui rassure les producteurs de grosses machines ( Le train, 1973, Le vieux fusil, 1975), s’offre le luxe de reprendre perfidement le personnage de Sissi dans une fresque opératique de Visconti ( Ludwig ou le crépuscule des dieux 1973) et s’aventure dans les marges du septième art avec L’important c’est d’aimer (1975) où sa vulnérabilité dans un rôle en miroir de comédienne dépressive est exploitée sans état d’âme. Le voyeurisme est à son comble mais Romy y est sublime. “On a l’impression que c’était une actrice installée mais c’est faux, corrige Jean-Pierre Lavoignat. Elle prend en permanence des risques en acceptant des projets ambitieux de réalisateurs débutants comme avec Francis Girod pour Le Trio infernal“.

Le cinéma est aussi un exorcisme. Dans un chapitre intitulé L’ombre de l’Allemagne, la Cinémathèque éclaire le choix que fait Romy Schneider d’apparaître durant cette décennie prodigieuse dans des films qui ont pour cadre la Seconde Guerre mondiale. L’ombre dont il est question est celle de la honte d’avoir grandi dans une famille ouvertement pro-hitlérienne avec une mère proche du ministère de l’Education du Peuple et de la Propagande et un père membre du parti nazi et soutien des SS. La culpabilité la hantera jusqu’à son dernier film, La passante du Sans-Souci qui se déroule en partie sous l’Occupation sur fond de déportation. Les cinéphiles gardent une impression mitigée de cette adaptation anesthésiée d’un roman de Joseph Kessel qui sortira sur les écrans en avril 1982, une quinzaine de jours avant la mort de la comédienne. “Romy, c’est à la fois une femme rayonnante et meurtrie”, disait Claude Sautet. La Cinémathèque a eu la délicatesse de privilégier le soleil à l’obscurité.

“Romy Schneider”, jusqu’au 31 juillet, à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris. www.cinematheque.fr

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content