Reprendre corps

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Cette histoire s’ouvre sur une veillée funèbre, habituel lieu de retrouvailles de personnes autrefois liées. Parfait début d’un roman choral, le récit s’éclate par la suite en multiples voix. Divorcé, Philippe se morfond dans sa vie de célibataire tardif et manifeste une masculinité en plein doute. Il n’accepte pas qu’Isabelle l’ait laissé tomber pour une sexualité plus affirmée. Marion se débat avec l’évolution de son corps de mère et de compagne d’Elise. A Berlin, Maya cherche un équilibre entre la prostitution, les boîtes de nuit et son futur avec Jo, qui est flic et qui n’en peut plus. Camille veut sauver le monde et souhaite ramener de Calais les images pour un documentaire qui, elle l’espère, fera changer les choses. Au fil des pages, les relations se révèlent et les corps se dévoilent.

Elle sait le prix que paient les corps qui ont enfanté et se demande pourquoi les gens parlent encore à leur place.

De corps, il est question pour chacun de ses personnages. Ce corps qu’on déteste, dans lequel on se sent vieillir, celui que l’on caresse pour exprimer son amour, celui que l’on bloque aux frontières, celui qui nous donne du plaisir ou encore celui qui a donné la vie. ” On se découvre souvent dans le regard des autres. Et ce n’est pas forcément ce qu’on aimerait être ou qui l’on est, explique Wendy Delorme. Ce livre parle de cette dissonance. Chacun de mes personnages la vit d’une certaine façon. ” Devenue illusion, cette ” bulle de savon, une enveloppe de chair, ” s’avère chimère. ” Quand la chair est meurtrie, la blessure peut guérir, mais une âme douloureuse peut le rester toujours “, déclare l’un de ses personnages. Le corps nous inscrit dans le réel et devient le premier lieu d’expression des libertés.

Place à la bienveillance

La romancière inscrit son histoire dans la France qui s’est (dé)battue avec le mariage pour tous, s’interroge sur la procréation médicalement assistée ouverte à tous et s’émeut toutefois du machisme ambiant. A la tête d’une famille heureuse avec sa compagne, elle a pris les slogans de la Manif pour tous comme des coups de poing. Dans ces précédents ouvrages où il était déjà question du genre et de l’émancipation féminine ( La Mère, la Sainte et la Putain, 2012), l’écriture de Wendy Delorme a souvent été jugée comme provocatrice, même si elle s’en défend. Avec Le corps est une chimère, place à la discussion sereine et à la bienveillance en réponse aux vitupérations conservatrices et à la méconnaissance de l’autre. ” Je me suis dit alors qu’il fallait jouer la carte de l’empathie, s’immerger dans une vie. Ce livre doit être lu par des gens qui ne sont pas d’accord avec moi. Je suis convaincue que la littérature a ce pouvoir. Je ne vais pas les convaincre de voter pour la PMA ou le mariage gay. Je veux que ces gens captent que nos quotidiens se ressemblent. Ce qui fait changer les gens d’avis, c’est rarement l’argumentation, mais plutôt l’ouverture à l’autre, l’émotion. ”

Universitaire, spécialiste des questions de genre, Wendy Delorme définit son ouvrage de ” sociologique “, ses personnages étant des cas types. Mais elle a choisi le roman plutôt que l’essai scientifique, ” formidable outil de médiation des savoirs “. Son écriture titillera les amateurs de séries télé. Comme des épisodes, les chapitres courts, écrits comme des nouvelles, leur fin en suspense et suspension, nous entraînent naturellement dans les pas de ces individus auxquels on ne peut s’empêcher de s’attacher. Ce roman ancré dans son époque, n’a qu’un mot d’ordre : de notre corps, faisons ce que nous voulons. Notre liberté, c’est de se l’approprier.

Wendy Delorme, ” Le corps est une chimère “, éditions Au diable vauvert, 280 pages, 18 euros.

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