Relooking extrême

Le tournoi de Roland-Garros était le dernier Grand Chelem à ne pas posséder de court couvert. © belgaimage

Exceptionnellement décalé, le tournoi de tennis de Roland-Garros a débuté ce dimanche. Le stade parisien a fait peau neuve et voit pour la première fois un toit recouvrir le court Philippe-Chatrier. Une mue spectaculaire, symbole d’un chantier long de 10 ans, pour faire entrer le site dans une nouvelle ère. Visite guidée.

Dans le couloir qui mène des vestiaires au court Philippe-Chatrier, le bruit de la sono qui crache une musique pop plein tube arrive encore assourdie aux oreilles. Mais le coeur vibre au rythme de la pulsation des puissantes basses. Sur les murs, les noms illuminés des glorieux anciens vainqueurs montrent littéralement la voie à suivre : quelques marches, une porte qui s’ouvre, et la mythique terre battue du Central se déroule sous les pas. Frissons du visiteur autorisé…

Dès l’entrée sur le court, un toit rétractable, la nouvelle ” star ” du tournoi, impose sa présence tutélaire. Sans bruit, son ombre projetée s’étend imperceptiblement, quand se déploie son immense carcasse de 3.500 tonnes qui, en 15 minutes, grâce à ses 12 moteurs, a couvert le stade. La mue la plus spectaculaire des derniers travaux de rénovation du stade, dont l’ultime phase s’achèvera en 2021.

Pour la première fois cette année, les matchs peuvent donc se poursuivre même quand la pluie s’invite. ” En réalité, c’est davantage un parapluie qu’un toit car il n’est pas complètement fermé, afin de laisser passer l’air. On conserve ainsi les caractéristiques du jeu outdoor sans le transformer en jeu indoor “, précise Gilles Jourdan, le maître d’ouvrage qui a supervisé les travaux pour la Fédération française de tennis (FFT). Un moyen, aussi, de maintenir de bonnes conditions pour la terre battue. A Wimbledon par exemple, malgré un système de ventilation, l’atmosphère change et modifie les conditions de jeu une fois le toit fermé.

Soigner les sponsors et partenaires représente un véritable enjeu économique, puisqu’ils apportent la deuxième source de recettes de l’épreuve, devant la billetterie.

Sessions nocturnes

Pour ce qui est de l’acoustique, ce n’est pas cette année que le stade fermé se transformera en chaudron. La faute au Covid, qui a forcé les organisateurs à réduire la jauge des spectateurs autorisés, quelques jours avant le coup d’envoi. Soit un maximum de 1.000 personnes. Mais le toit offre déjà d’autres promesses : finies les journées interrompues par les intempéries, une donnée importante aux yeux des diffuseurs, qui n’ont plus à bousculer leurs programmes. Et, à partir de l’édition 2021, le tournoi proposera des sessions nocturnes, avec des matchs en prime time.

De quoi justifier la hausse de 25 % des droits télévisés, réclamée à partir de l’an prochain par la FFT (une somme toutefois inférieure à ses attentes). Une dimension importante, puisque le tournoi en tire un tiers de ses revenus. Si le toit du Central est la partie la plus visible du relooking de Roland- Garros, d’autres opérations complètent le lifting proposé cette année. Dans les entrailles du Philippe-Chatrier, la zone réservée aux médias a été agrandie. Les joueurs, eux aussi, gagnent en confort. A leur arrivée dans le stade, ils sont accueillis dans un lumineux club-house au pied du Central, avant de filer par un couloir jusqu’à des vestiaires rénovés.

De nouveaux équipements (bains froid et chaud, salle de sieste) y côtoient des vestiges historiques. Le mur de boîtes aux lettres à l’entrée est toujours là, même si le courrier se fait plus rare de nos jours, et les casiers en bois de 25 ans ont été conservés et restaurés “, décrit Gilles Jourdan. Un crime de lèse-majesté a d’ailleurs été frôlé dans le vestiaire dames : croyant bien faire, un ouvrier avait réinstallé le casier n°14, dont la porte fut autrefois retirée et offerte à la reine Steffi Graf…

Une mue achevée en 2021

A l’extérieur du court Philippe-Chatrier, la dernière phase des travaux débutera dès la fin du tournoi, avec en point d’orgue l’aménagement de la place des Mousquetaires, futur lieu de vie pour le public qui s’étendra sur les ruines de l’ancien court n°1. Il permettra une circulation plus fluide entre les terrains et mènera jusqu’au court Simonne-Mathieu, arène de verre inaugurée l’an dernier dans le jardin des serres d’Auteuil. L’espace restera en partie ouvert toute l’année, validant le choix initial de garder le stade dans Paris, plutôt que de délocaliser le site.

Presque 10 ans après le lancement d’un projet qui a compté son lot de polémiques et de retards (il devait s’achever initialement en 2016), Roland-Garros voit le bout du tunnel. ” C’était une évolution indispensable, les fonctionnalités devaient être améliorées, pour le confort des joueurs comme du public “, explique Jean-François Vilotte, le directeur général de la FFT, rappelant que ” Roland-Garros était le dernier tournoi du Grand Chelem sans toit “.

Il ne s’agit pas seulement de chirurgie esthétique. Si la FFT a investi 380 millions d’euros dans l’opération, c’est que le tournoi parisien se devait de rester au niveau de Wimbledon, de l’US Open et de l’Open d’Australie, qui ont tous engagé d’importantes transformations ces dernières années. Mais là où Melbourne et New York se sont agrandis, nous n’avons pas voulu nous lancer dans une course à l’échalote sur les capacités, lance Jean-François Vilotte. La priorité a été la qualité de l’accueil. Le stade se devait d’être à la hauteur de la marque Roland-Garros, qui rayonne à l’échelle mondiale “.

Enjeux économiques

Ainsi, si le court Philippe-Chatrier a été rehaussé de 13 mètres, il ne recevra pas davantage de monde qu’avant. Le gain de place permettra de mieux recevoir les spectateurs… et les sponsors. Partenaire du tournoi depuis 1973 (et principal banquier de la FFT), BNP Paribas disposera, comme Rolex, d’une vaste loge traversante, donnant à la fois sur le court et sur l’extérieur, et pour lequel l’aménagement s’est fait en concertation. Nous sommes passés d’une somme

de salons à un seul grand espace où tous nos invités pourront se côtoyer “, note Bertrand Cizeau, le directeur de la communication de la banque et directeur adjoint de l’engagement d’entreprise. ” Cette dimension est essentielle, car Roland-Garros est le seul tournoi du Grand Chelem en centre-ville, c’est à la fois un grand événement sportif et un lieu de rencontre. ”

Là aussi, soigner les sponsors et partenaires aux petits oignons représente un véritable enjeu économique à long terme, puisqu’ils apportent déjà la deuxième source de recettes de l’épreuve, devant la billetterie (20%). Or, Roland-Garros fait vivre l’ensemble de la filière du tennis français, en fournissant 80% du budget de la FFT. Mais le poumon financier risque de manquer de souffle cette année, avec seulement 75.000 spectateurs attendus sur la quinzaine, loin des quelque 520.000 accueillis l’an dernier. ” Malheureusement, nous n’avons pas installé de planche à billets dans les sous-sols du nouveau stade “, regrette Jean-François Vilotte.

3.500 tonnes

Le poids du nouveau toit rétractable surplombant le court Philippe-Chatrier.

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