Reconfinement, cantines scolaires et ” giletjaunisation ” médiatique

Amid Faljaoui

Et c’est reparti ! La course à se refaire peur a démarré. Les conversations se focalisent sur un possible retour à un confinement total ou partiel. Et chacun y va de sa théorie. Pourtant, comme l’écrivait encore récemment Gary Vaynerchuk, le plus célèbre des gourous de la Silicon Valley, ” si vous vous réveillez et que les personnes qui vous sont les plus chères sont en bonne santé, alors c’est déjà une magnifique journée “. Mais qui y pense encore ?

J’ai des amis,hommes d’affaires d’un certain âge, qui ne comprennent pas, par exemple, cette inquiétude quant à savoir si l’on pourra passer Noël en famille ou pas. Tout le monde y aspire, bien entendu. Mais nul ne peut déjà dire si ce sera en famille élargie ou en mode bulle de trois. Et même si nous avions la réponse, prenons du recul : que nous demandent les autorités politiques ? D’être prudents, de garder nos distances, d’effectuer les gestes barrières et de porter le masque. Par ailleurs, nous savons que tout cela n’aura qu’un temps car, n’en déplaise aux Cassandre, le Covid n’est pas là pour l’éternité. Nos grands-parents qui ont vécu la guerre ne comprendraient pas nos éventuelles réticences face à ces contraintes. Elles sont pénibles, certes, mais très gérables.

Les médias classiques ont désormais peur de laisser les seuls réseaux sociaux prendre en charge la fébrilité sociale.

Faisons un saut de puce, non plus dans le temps mais dans l’espace : ceux qui vivent actuellement en Syrie ou au Liban nous diraient que nous autres, au moins, nous savons que ce cauchemar aura une fin. Mais qu’en est-il de ces pays dévastés par la guerre et/ou la corruption ? Là-bas, les enfants n’ont aucune perspective, aucun avenir, à l’inverse des nôtres. Rien, juste le vide pour compagnon de jeu.

De leur côté, les réseaux sociaux ne font rien pour calmer les choses et certains médias traditionnels embrayent, hélas, aussi dans cette cacophonie. Par le passé, l’information était rare et son accès difficile. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse : l’information est ultra-abondante et gratuite. Le vrai problème consiste de nos jours à distinguer l’information sérieuse d’un océan de délires. Olivier Babeau, auteur d’un livre sur le numérique, explique que ” la conséquence de la cacophonie des discours est exactement comparable au niveau sonore d’une cantine scolaire : chacun élevant la voix pour se faire entendre, on finit par ne plus rien entendre, sauf les hurlements dont les enfants ne sont pas avares “. Et donc, dans le brouhaha ” de la concurrence des paroles, il faut devenir extrême pour espérer émerger “.

C’est clair, la pandémie actuelle démontre que sur les réseaux sociaux et aussi chez certains médias, la raison ne fait plus recette. On est passé en peu de temps des hard news vers le débat, puis du débat vers l’opinion. Les réseaux sociaux ont consacré le règne des opinions non fondées (car exprimées par des quidams sans expertise sur le sujet) et les médias classiques ont désormais peur de laisser les seuls réseaux sociaux prendre en charge la fébrilité sociale. En d’autres mots, la peur des médias, c’est de subir une giletjaunisation médiatique pour reprendre la jolie expression du Figaro. Résultat : les opinions fleurissent ici et là, car ce robinet d’opinions frelatées coûte moins cher à produire qu’un reportage sur le terrain. Juste besoin d’un plateau de télé et de quelques bavards de service.

Quelques rares médias classiques et responsables résistent à la Foxisation de notre information, en décrétant qu’ils sont là pour ” fabriquer de la démocratie quand d’autres fabriquent de la fragmentation “, mais ils sont marginaux aujourd’hui. Filtrez vos informations avec autant de précaution que vos aliments : les mauvaises nourritures comme les mauvaises informations sont toxiques.

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