Récession à mèche longue et économie vaudou

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

Il paraît que la vieillesse, c’est quand on commence à dire, ” jamais je ne me suis senti aussi jeune “. C’est l’écrivain Jules Renard qui est à l’origine de cette phrase alors que le pauvre nous a quittés avant d’atteindre la cinquantaine. Je démarre ce ” Point final ” par une note d’humour parce qu’en lisant la presse économique, j’ai l’impression que nous sommes dans la même phase de déni de la réalité. Un exemple récent ? Plusieurs de mes confrères ont relayé les propos de Robert Shiller, le prix Nobel d’économie 2013. Ce professeur d’université, icône de la science économique, se trouvait récemment en Europe pour promouvoir son dernier livre. Comme d’habitude, lorsqu’un Nobel d’économie est dans les parages, les journalistes économiques se précipitent pour lui demander son avis sur l’état de notre tuyauterie économique. Autrement dit, devons-nous craindre une récession ou pas ?

Quand les taux d’intérêt à court terme sont inférieurs aux taux à long terme, c’est un peu le signe de la fin du monde, comme si les chats se mettaient soudainement à aboyer.

Ah, la récession, la fameuse crainte en ” R “, c’est la grande question du moment. Normal, après tout: comme les Etats-Unis sont en train d’enregistrer la plus longue période de croissance, ils ont interrogé la pythie pour savoir quand s’arrêtera exactement cet orgasme économique. Bref, à quand la récession, Monsieur le prix Nobel ? Et, ô miracle, le grand, l’immense Robert Shiller leur a répondu que, selon ses calculs, les probabilités d’une récession aux Etats-Unis sont jugées à moins de 50% pour l’année 2020 ! Super, ça c’est de la prévision ! Tout le monde applaudit l’artiste, le grand économiste.

En réalité, pareille réponse me fait penser à la phrase de Philippe Bouvard : au fond, c’est quoi un journaliste ? C’est quelqu’un qui pose une grande question et se contente souvent d’une petite réponse. Hélas, c’est exactement ce qui s’est produit avec ce prix Nobel d’économie : nous dire qu’il y a une chance sur deux qu’une récession se produise en 2020, franchement, mon coiffeur en aurait dit autant. J’espère que les coiffeurs qui lisent cette chronique ne m’en voudront pas de cette comparaison.

Aujourd’hui, la grande crainte des investisseurs en Bourse, c’est l’inversion de la courbe des taux d’intérêt. Présenté de la sorte, ça semble alambiqué. En réalité, cela veut juste dire que les taux d’intérêt à court terme sont inférieurs aux taux d’intérêt à long terme. Et ça, c’est anormal. C’est un peu le signe de la fin du monde, un peu comme si les chats se mettaient soudainement à aboyer !

La preuve, depuis 1950, à 10 reprises, l’inversion de la courbe des taux a signalé une récession. L’inversion de la courbe des taux, c’est quand le taux d’intérêt sur un prêt de 30 ans est inférieur au taux d’intérêt d’un prêt à court terme. Pour l’excellent commentateur américain Bill Bonner, ” cela implique qu’il y a moins de choses pouvant mal tourner sur les 30 prochaines années que sur les 30 prochains jours “. Bien entendu, c’est une hérésie complète. Bill Bonner a beau jeu de nous rappeler que le temps est destructeur : les êtres humains vieillissent et meurent, les bâtiments s’effritent, les machines rouillent et le lait tourne. Oui, le temps est destructeur sauf dans la finance d’aujourd’hui. Sinon, comment expliquer cette inversion des taux ?

Pour compliquer l’impensable, les économistes à la mode nous expliquent qu’il ne faut pas avoir peur d’une inversion de la courbe des taux d’intérêt. Vous savez pourquoi ? Parce qu’ils ont inventé le concept de… récession avec une mèche longue. Autrement dit, ils ont calculé qu’entre le moment où la mèche est allumée par une inversion de la courbe des taux d’intérêt et le moment où le marché boursier explose, les investisseurs ont en moyenne 18 mois pour prendre leurs gains. Traduction : même quand les signaux sont là pour nous dire ” attention danger “, les sorciers économistes nous rassurent et disent que, statistiquement, nous avons encore 18 mois pour danser, boire et nous amuser. Si ça, ce n’est pas de l’économie vaudou, je vous pose la question : de quoi s’agit-il ?

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