Philippe Ledent

Quand les circonstances changent, je change d’avis

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

On se rappellera qu’il y a un an à peine, la BCE jurait à qui voulait l’entendre qu’il n’y aurait pas de hausse de taux en 2022.

Après une année marquée par des hausses inédites de taux d’intérêt, beaucoup sont ceux et celles qui scrutent le moindre signe de changement de cap des banques centrales comme un enfant attend sa Saint-Nicolas. Pour les investisseurs sur les marchés financiers, la hausse des taux s’est en effet traduite en 2022 par une correction brutale des actions et des obligations. Aussi longtemps que les banques centrales martèlent qu’elles vont continuer à augmenter les taux et qu’elles pourraient le faire plus que ce qui est déjà incorporé dans les prix des actifs, cela se ressent comme de nouveaux chocs négatifs dans les marchés.

Mais pour l’économie dans son ensemble, c’est aussi un enjeu important car en relevant leurs taux, les banques centrales cherchent à ralentir l’économie, et donc calmer les pressions inflationnistes. Un but louable car une inflation persistante finirait par provoquer plus de dégâts que le ralentissement économique qu’elles cherchent à imposer. Il n’empêche, gérer le ralentissement d’une économie n’est pas simple car il faut absolument éviter d’en faire trop. Sachant qu’une décision de politique monétaire met plusieurs mois avant de produire tous ses effets, on sera soulagé lorsque les banques centrales annonceront moins d’agressivité en matière de taux. Cela laissera le temps de voir les effets des décisions passées et cela diminuera le risque d’en faire trop, même si cela augmente le risque d’en faire trop peu…

On comprend dès lors la réaction presque euphorique des marchés financiers à l’annonce d’une inflation en baisse et plus basse que prévu en octobre aux Etats-Unis. En effet, les tout premiers commentaires allant dans le sens d’un ralentissement des hausses de taux de la Réserve fédérale (Fed) ont un peu plus de chance de devenir réalité lors de la prochaine réunion de politique monétaire en décembre. Attention quand même de ne pas prendre ses rêves pour la réalité. Les marchés ont réagi à un chiffre d’inflation et non à une annonce particulière de la banque centrale américaine. On attendra donc une esquisse de confirmation lors de l’un ou l’autre prochain discours d’un membre influent de la Fed.

Dans la zone euro, la situation est différente. D’une part, l’inflation a poursuivi son ascension en octobre. Il n’y a donc pas de quoi interpréter quoi que ce soit en matière d’inflexion de la politique monétaire. D’autre part, la rhétorique des membres influents de la Banque centrale européenne (BCE) reste toujours la même, celle-ci semblant toujours bien déterminée à mettre tout en oeuvre pour faire baisser cette inflation. Bref, de ce point de vue, les choses paraissent limpides. Et pourtant, la situation est complexe car le ralentissement économique est plus prononcé en zone euro qu’aux Etats-Unis, et surtout induit par un immense choc extérieur (la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les prix de l’énergie en Europe) dont on ne connaît pas totalement l’impact. Ceci devrait, plus qu’aux Etats-Unis, inciter la banque centrale à la prudence.

On se rappellera qu’il y a un an à peine, la BCE jurait à qui voulait l’entendre qu’il n’y aurait pas de hausse de taux en 2022. Mais voilà, les circonstances ont changé en cours d’année et comme le disait J.M.Keynes: “Quand les circonstances changent, je change d’avis”. On peut dire que ce principe a été ici largement appliqué. Mais cela veut aussi dire que si, soudainement, la Réserve fédérale apparaissait effectivement moins agressive et que la situation économique se détériorait davantage en zone euro, il n’est pas exclu qu’elle applique une nouvelle fois ce principe. Patience… Patience…

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