Pourquoi le cours des actions est-il si haut?

Paul Jorion

La Bourse a cessé d’être le baromètre de l’économie. Du coup, on a du mal à savoir le temps qu’il fait. Quand la Bourse allait bien, c’était parce que les entreprises allaient bien: elles faisaient des bénéfices et ceux-ci se reflétaient dans les dividendes qu’elles distribuaient. Le cours de l’action grimpait quand la firme était en bonne santé et baissait quand elle était malade. Ce à quoi on ne prêtait pas attention, c’est que le calcul d’un cours ” juste ” a comme l’une de ses variables cachées, les taux d’intérêt. Cela n’avait pas d’importance tant que ceux-ci, qu’ils soient hauts ou bas, étaient positifs. Pourquoi cela joue-t-il? En raison d’un principe évident à tous, les enfants y compris: ” un tiens vaut mieux que deux tu l’auras “.

La question de l’espérance de vie des entreprises se pose aujourd’hui parce que la valeur actualisée de la somme des dividendes à venir n’arrête pas de grimper.

Comment un analyste financier calcule-t-il le juste cours d’une action? A partir des recettes de la firme ou à partir des dividendes dont on prévoit qu’ils seront versés à l’avenir. En temps ordinaire, les deux calculs aboutissent à peu près au même résultat, les chiffres étant corrélés. Mais seulement dans un environnement de taux positifs, ce qui est le cas habituellement, non quand les taux sont négatifs car la valorisation des actions à partir des dividendes se dérègle parce qu’un ” tu l’auras ” vaut alors davantage qu’un ” tiens “. Comment est-ce possible? Quand les taux sont négatifs, une somme mise à la banque se déprécie. Du coup, entre recevoir 100 euros aujourd’hui et 100 euros dans un an, il faut choisir le 100 euros dans un an, parce qu’arrivé là, le 100 euros d’aujourd’hui vaudra moins que 100 euros, il se sera érodé du fait des taux d’intérêt négatifs.

Pour valoriser une action, on en calcule la ” valeur actualisée ” en faisant la somme des valeurs ” escomptées ” de chacun des dividendes qui seront versés dans les années à venir. Or, escompter, c’est faire un calcul d’intérêts inversé. Au lieu de dire de combien aura grossi une somme de 100 euros dans un an (elle sera devenue par exemple 103 euros si le taux est de 3%), on se demande quelle est la somme à investir pour qu’elle vale 100 euros dans un an: 97,09 euros au même taux de 3%. Ce 97,09 euros est donc aussi le ” juste prix ” pour une reconnaissance de dette de 100 euros à valoir dans un an.

Dans un environnement habituel de taux d’intérêt positifs, quand on valorise une action en faisant la somme des valeurs escomptées des dividendes à venir, on a – je simplifie – 9 euros pour celui de 10 euros compté l’année prochaine, 8 euros pour celui de l’année suivante, 7 euros pour celui de dans trois ans, etc. Jusqu’à ne plus devoir ajouter que des montants négligeables. Mais quand les taux sont négatifs, avec le même calcul, on a 12 euros pour celui de l’année prochaine, 13 euros pour celui de l’année suivante, 14 euros pour celui de dans trois ans, et on n’aboutit pas à des centimes, mais à des sommes de plus en plus importantes. La question de l’espérance de vie des entreprises, c’est-à-dire de leur bonne santé sur le long terme, ne se posait pas dans le cas des taux positifs puisque la valeur escomptée des dividendes à venir devenait rapidement négligeable dans le cours théorique. Maintenant, elle se pose parce que la valeur actualisée de la somme des dividendes à venir n’arrête pas de grimper.

On l’a compris: la valorisation des actions comme valeur actualisée de somme de dividendes a cessé de fonctionner, le calcul est faussé par le taux d’intérêt négatif qui produit un chiffre fallacieux. La Bourse continue de s’aligner sur la valorisation fondée sur les dividendes, si bien que l’écart se creuse avec celle faite à partir des recettes, jusqu’à atteindre aujourd’hui les niveaux de 1929 ou de décembre 1999. Attention: casse-cou!

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