Pierre Lemaître offre une suite à ” Au revoir là-haut “

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Récompensé en 2013 par un Goncourt pour le formidable Au revoir là-haut, Pierre Lemaître quittait la littérature policière et noire qui a fait son succès pour le roman picaresque. L’auteur de Robe de mariée, adoubé par Stephen King, signait un roman pas loin d’être magistral sur le retour de deux poilus dans la France de l’après-Première Guerre mondiale autour d’une truculente arnaque aux monuments aux morts.

A la fin de l’été dernier, Pierre Lemaître annonçait sur les ondes d’Europe 1 la suite d’Au revoir là-haut (adapté au cinéma par Albert Dupontel) pour le deuxième volet de sa trilogie sur l’entre-deux-guerres. Un deuxième volet tout aussi costaud qui couvre la période 1927-1933. Le troisième et ultime tome, annoncé en juin 2019, s’attardera sur ” l’exode “.

Inspiré comme jamais, Pierre Lemaître emprunte la préface à l’auteur allemand Jacob Wasserman, dont les oeuvres furent brûlées par les nazis. Une préface qui cloue le lecteur au pilori et qui donne le ” la ” d’un des grands romans de ce début d’année. ” Il n’y a, à tout prendre, ni bons ni méchants, ni honnêtes gens ni filous, ni agneaux ni loups ; il n’y a que des gens punis et impunis. ”

Nous sommes en février 1927. Tout le gratin parisien (nobles, hommes d’affaires, hommes politiques, etc.) est réuni à l’occasion des obsèques de Marcel Péricourt. Rappelez-vous, c’est le père d’Edouard, l’un des douloureux protagonistes d’Au revoir là-haut, impitoyable et redoutable banquier qui laisse à sa fille Madeleine les rênes de son empire. Le jour des funérailles, le jeune fils de Madeleine, Paul, par un mouvement inattendu et désespéré que le lecteur découvrira dès la huitième page, plonge Madeleine dans une situation quasi inextricable. C’est peu d’écrire qu’elle devra faire preuve d’imagination, de sang-froid et de vivacité d’esprit pour affronter ce ciel qui lui tombe littéralement sur la tête, afin de retomber, comme le plus agile des félins, sur ses pattes et faire face à l’armada de rapaces qui veulent la détrousser.

La dette du pays inquiétait les économistes, qui angoissaient les politiques, qui, à leur tour, culpabilisaient les citoyens.

Pierre Lemaître a l’intelligence de se cacher derrière un narrateur tantôt polisson et lubrique (le roman ne manque pas d’humour), tantôt commentateur politique et citoyen. Derrière Couleurs de l’incendie, qui est bien plus qu’un hommage à Alexandre Dumas (un phare chez l’auteur de 66 ans), se cache une description féroce, cruelle et barbare des moeurs de l’époque, en harmonie avec le destin extraordinairement romanesque de Madeleine et de celui son fils Paul, valeureux Capitaine Courage qui trouve refuge dans l’opéra de Bellini, Verdi et Mozart et qui se lie d’amitié avec Solange Gallinato, une cantatrice pour le moins pittoresque. Paul peut aussi compter sur Vladi, sa dame de compagnie polonaise ” portée sur la chose ” qui ne pipe pas un mot de français.

Au-delà de cela (comme le Goncourt 2017 Eric Vuillard, avec L’ordre du jour), ce sont les résonances au monde d’aujourd’hui qui troublent, affolent, perturbent et font office de piqûre de rappel. Merveilleusement bien documenté, Pierre Lemaître, à travers une galerie de personnages singuliers, évoque aussi la tentation d’une France musclée à l’heure où les ” couleurs de l’incendie ” en provenance d’Allemagne grossissent le ciel et laissent planer une odeur âcre et nauséabonde. La suite (et fin) de cette vertigineuse trilogie risque d’être particulièrement salée…

Pierre Lemaître, ” Couleurs de l’incendie “, éditions Albin Michel, 530 p., 22,9 euros.

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