Perles architecturales

Bâtie en 1904, cette maison dessinée par Ernest Blerot, était déjà dotée d'un garage. © PH. CORNET

La Biennale d’Art nouveau et d’Art déco se transforme en Banad Festival, manifestation identitaire en quête de perles du patrimoine bruxellois qui élargit les plaisirs aux concerts et expositions et sera désormais annuel. Avec visites documentées et volontiers intimes.

“Cet hôtel a été imaginé par des commerçants du coin qui voulaient un endroit où ils pouvaient tranquillement voir leurs maîtresses. Soyons clairs, ceci est un hôtel de rendez-vous et non pas un hôtel de passe, la prostitution y était bannie… ”

Jacinthe Gigou, responsable de l’événement, s’assied dans le décor de l’hôtel Le Berger, qui avec ses faux palmiers et ses tentures précieuses, évoque toujours un lupanar de luxe, bien qu’il soit revenu de nos jours à de plus sages activités horeca. De l’extérieur, ce bâtiment ixellois à l’allure de chalet montagnard, n’évoque en rien son intérieur Art déco sorti tout droit d’un roman d’Agatha Christie : il date de 1933 et a été conçu par l’architecte-entrepreneur Gabriel Duhoux.

C’est l’un des lieux inattendus de cette première édition du Banad (Brussels Art nouveau & Art déco) Festival, mise sur pied par quatre associations bruxelloises : l’Arau, Pro Velo, Bruxelles Bavard et Arkadia, cette dernière étant présidée par Jacinthe Gigou. ” Le Banad Festival est la prolongation d’une initiative datant de 2001, précise-t-elle. La Région bruxelloise nous demande d’être désormais annuels. La Biennale attirait en effet beaucoup de touristes étrangers, lesquels représentaient une part importante des 30.000 entrées. Avec tout le bashing récent visant Bruxelles, le festival Banad a pour ambition de montrer que l’on peut être bien dans cette ville. ”

Si ce festival réduit un rien la voilure, se concentrant sur une cinquantaine de lieux (dont 10 inédits), il développe aussi une dizaine d’événements annexes, comme des concerts à Flagey ou dans le splendide musée van Buuren, une perle construite à Uccle en 1928, quartier moins riche en Arts nouveau et déco qu’Ixelles, Schaerbeek ou Jette. Banad Festival parie aussi sur la visite de quartiers bruxellois où l’on ne s’attend pas forcément à trouver de l’architecture historique, comme par exemple Molenbeek et son vaste Hôtel Riez conçu par Jean-Baptiste Dewin. Pendant trois week-ends prolongés de mars (*), les visiteurs vont pouvoir y déambuler comme dans divers autres lieux datés de 1893 à la fin de l’entre-deux-guerres, demi-siècle extraordinairement fleuri en matière d’architecture.

Au-delà de Victor Horta

” Evidemment, le Banad Festival ne peut passer outre Victor Horta : plusieurs de ses créations comme l’école maternelle Catteau ou la Maison Autrique seront visitables. Horta était connu pour exploser volontiers le budget en faisant travailler les meilleurs artisans mais aussi pour s’occuper de l’intégralité d’une habitation, bien au-delà des murs. C’est tout juste s’il ne dessinait pas la vaisselle “, explique Jacinthe Gigou alors que nous passons devant l’impressionnant Hôtel Solvay, avenue Louise, signature de l’architecte belge, au programme du festival 2017.

” Victor Horta (1861-1947) a changé le traditionnel trois pièces en enfilade de la maison bruxelloise, notamment en repositionnant l’escalier dans l’habitation, et en favorisant la circulation, l’espace, la lumière “, précise notre interlocutrice, Française originaire de Tours venue en Erasmus à Bruxelles il y a 11 ans pour étudier l’architecture locale. Jacinthe Gigou est restée, aimantée par cette curieuse ville qu’est Bruxelles. ” Une ville aux rues et facades pas forcément toujours bien entretenues mais qui possède un patrimoine immobilier que très peu d’autres villes en Europe peuvent revendiquer. La particularité du Banad consiste à raconter les maisons visitées de manière assez intime, en montrant combien les propriétairtes privés bichonnent leurs maisons et appartements. Arriver ainsi chez les gens n’aurait sans doute pas pu se faire à Paris ou ailleurs. ”

Arrêt au Palais de la Folle Chanson, immeuble du rond-point de l’Etoile à Ixelles, non loin de La Cambre. Sept étages pour 14 appartements et une vue large depuis la rotonde dominent le bâtiment Art déco daté de 1931, et dont la facade et la toiture ont été classées en 1988. ” Ascenseurs et hall d’entrée ont été classés par la suite, précise Philippe Leblanc, propriétaire d’un appartement-bureau au premier niveau, comme cette coupole assez originale dans la mesure où elle a été voulue afin que les différents habitants puissent trouver un lieu commun pour se retrouver face à la ville. C’était assez audacieux pour l’époque, mais c’était aussi un moyen d’attirer les futurs habitants. Tout comme une offre étendue de services : ici, il avait même été prévu d’installer un atelier de réparation de voitures en bas de l’immeuble. Cela ne s’est finalement pas fait. ”

Philippe Leblanc note que l’esprit du Palais de la Folle Chanson – consistant à créer de vastes espaces communs et un hall d’entrée monumental qui doit accueillir mais aussi impressionner – est aujourd’hui au coeur des buildings nord-américains mais aussi de constructions récentes locales, comme la tour UP-site face à Tour & Taxis. A des prix qui, eux aussi, s’envolent. ” La dernière vente d’un appartement du Palais de la Folle Chanson date d’une quinzaine d’années, pour environ 400.000 euros. Aujourd’hui les prix flambent, alors que dans les années 1980, dans cet immeuble, on pouvait acheter un appartement pour le prix d’un garage. ” Egalement plasticien, Philippe Leblanc a installé une de ses sculptures mobiles, qui rappelle les créations de Calder, dans la cage d’escalier.

Entrepôt à charbon

Le style Art nouveau, qui peut parfois sembler chargé ou démodé, présente aussi des volumes inhabituels et même contemporains. C’est le cas de la Maison Flagey, avenue du Général de Gaulle, face aux étangs d’Ixelles : des plafonds qui pointent à 5 m et un rez-de-chaussée aux proportions princières où l’on note un escalier majestueux. Le lieu est signé par un élève de Victor Horta, l’architecte Ernest Blérot.

” La maison fait à peu près 700 m2 sur six niveaux, explique fièrement Vincent Liénard qui y habite et y gère cinq chambres d’hôtes. Blérot a mélangé l’Art nouveau et le classicisme et a beaucoup simplifié le style de l’habitation. Ce qui fait qu’elle traverse mieux le temps, elle est plus légère, plus aérienne que d’autres bâtiments construits en tout début de 19e siècle. ” Bâtie en 1904, la maison n’en possède pas moins un garage, l’automobile étant le dada de l’architecte : ” Cela s’appelait alors une remise à voitures et elle est minuscule parce que les voitures de l’époque, rares et lentes, l’étaient aussi. ” Vincent Liénard qui accueille beaucoup d’étrangers en virée architecturale à Bruxelles mais aussi les visiteurs de la salle de spectacles Flagey, s’est naturellement embarqué dans l’aventure Banad. ” Pour Bruxelles, l’Art nouveau comme l’Art déco sont attractifs : beaucoup de gens qui logent chez moi, viennent aussi pour rêver de cette époque “, ajoute-t-il.

Parmi la dizaine de lieux inédits dans le cadre du festival 2017 figure le CAB Art Center. A Ixelles, la facade élégante mais standard du bâtiment Art déco ne laisse en rien présager l’espace intérieur : au rez-de-chaussée, un ancien entrepôt de 800 m2, conçu pour entreposer du charbon, s’est mué depuis le printemps 2012 en centre d’art contemporain. Au milieu de l’espace rénové par l’architecte Olivier Dwek, trône un chalet en bois : il s’agit d’une maison démontable conçue par Jean Prouvé au sortir de la guerre de 1940 pour accueillir les sinistrés de Lorraine. Du coup, ce pavillon dans un dépôt ancien modernisé lui-même au coeur d’une plus vaste maison, fait penser aux matriochkas, ces poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres.

Un peu comme le Banad Festival où la présence de noms et de lieux prestigieux comme Victor Horta ou La Villa Empain, conduit à d’autres découvertes. Moins visibles mais souvent singulières, socialement et historiquement signifiantes. ” La visite de chaque lieu avec un guide spécialisé – ils seront 150 sur l’événement – personnalise l’endroit en racontant l’histoire de la maison mais aussi celle de l’architecte et du quartier, précise Jacinthe Guigou. On en ressort comme d’une séance de cinéma avec des images et une narration. L’Art nouveau étant aussi un art total, nous avons également voulu mélanger différentes disciplines dans le Band. C’est la raison pour laquelle nous avons mis sur pied des collaborations avec Flagey, La Chapelle Reine Elisabeth ou le musée van Buuren. ” Rajoutez-y des événements tels qu’une expo sur le Bauhaus à l’Art & Design Atomium Museum ou une fête de clôture du Banad sur le thème des années folles au piano-bar de l’Archiduc et vous aurez une idée de la nouvelle température des Arts nouveau et déco à Bruxelles.

Le Banad se visite par zones géographiques, les 11-12 mars, 15-19 mars et 22-26 mars. Le pass global est à 70 euros, le pass pour une semaine s’élève à 30 euros. Lieux accessibles uniquement sur réservation en ligne. www.banad.brussels

PHILIPPE CORNET

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