Pas de ski ? Pas vraiment un souci…

A Ovifat, on a investi dans deux canons à neige. Mais ils ne peuvent entrer en action qu'à partir de -5 °. © Karel Duerinckx

Il vient seulement de véritablement neiger, cet hiver, dans les cantons de l’Est. L’occasion d’enfin ouvrir l’une ou l’autre piste de ski. Une bonne affaire pour les exploitants ? Certainement. Pourtant, même quand la neige s’installe durablement, cette activité reste généralement trop marginale pour en vivre.

Jeudi 13 février. A Ovifat, village des Hautes Fagnes situé à un jet de pierre de la Baraque Michel, la température est glaciale. Un vent froid malmène les branches des sapins. D’épais flocons tombent sur les cantons de l’Est.

Günther Elser, qui préside l’ASBL Club de ski alpin Ovifat, n’en est pas euphorique pour autant : ” C’est de la neige fondante, commente-t-il. Et ce week-end, la température remontera au-delà de 15 °C. Nous n’avons pas encore pu skier de tout l’hiver. Pour être confortable, il faut que la couche atteigne 15 cm au moins. Ceci dit, la situation n’a rien de bien exceptionnel ; ce n’est pas la première fois qu’il ne neige quasiment pas. En 2006, la neige n’a commencé à tomber qu’à la mi-mars ; elle a tenu 17 jours. En 2008, elle est arrivée à Pâques, soit une quinzaine de jours plus tard encore. ”

Cette année, la petite neige fondante de mi-février a quand même fini par faire place à un vrai manteau neigeux une dizaine de jours plus tard. De quoi permettre à plusieurs centres de ski, qu’ils soient de fond ou alpins, d’ouvrir l’une ou l’autre piste durant quelques heures. On craignait que la saison 2019-2020 des sports d’hiver à la belge ne s’arrête avant d’avoir réellement démarré. Ce ne sera donc pas tout à fait le cas.

Activité incertaine

Pour les exploitants spécialisés de la région, une saison sans neige n’est de toute façon pas une catastrophe, contrairement à leurs confrères alpins, par exemple. En effet, si une vingtaine de pistes de ski sillonnent les cantons de l’Est, vous n’y trouverez personne que ce sport occupe à plein temps. ” Nous ne disposons d’aucun centre de sports d’hiver important, confirme Claudine Legros, marketing manager au sein de l’office du tourisme des Cantons de l’Est. Compte tenu de leur caractère incertain, les activités liées au ski ne sont jamais un revenu principal, tout au plus constituent-elles un complément. Car même quand les conditions sont excellentes, ces activités sont trop marginales pour en vivre. En fait, nous ne concevons jamais aucune campagne de marketing axée sur les sports d’hiver. N’espérez donc pas trouver des soirées vin chaud ou après-ski organisées dans les cantons de l’Est ! ”

Même s'il dispose des infastructures  les plus pros de la région, le club de ski d'Ovifat reste géré par des volontaires.
Même s’il dispose des infastructures les plus pros de la région, le club de ski d’Ovifat reste géré par des volontaires.© Karel Duerinckx

Les infrastructures sont, en toute logique, à l’avenant. Certes, du matériel de location est disponible sur chacune des pistes, mais les restaurants, par exemple, sont bien plus rares et épars. Et très peu d’entre elles ont leur hôtel. Quant aux exploitants, ce sont tantôt agriculteurs de profession, tantôt des clubs sportifs locaux, voire la commune même. Autrefois célèbre, le site de la Ferme Libert, à Malmedy, a été reconverti en bike park.

Flanquée d’un hôtel, le Wellness Resort des Hautes Fagnes, l’infrastructure la plus professionnelle de la région demeure celle d’Ovifat, remonte-pentes en sus. ” Mais le club de ski alpin est exploité par des volontaires, nous explique Günther Elsen. L’intervention de personnel salarié n’est pas envisageable : l’activité rapporte quelque 30.000 euros par an, ce qui nous permet juste de payer les assurances et d’entretenir le matériel. Notre objectif est d’offrir des conditions aussi démocratiques que possible. Ici, la piste est accessible toute la journée pour 30 euros, tous frais compris – location des skis aussi, donc. Dans les Alpes, le prix est au moins trois fois plus élevé. ”

Günther Elser
Günther Elser ” En 2006, la neige n’est tombée qu’à la mi-mars. En 2008, une dizaine de jours plus tard.”© Karel Duerinckx

Canons à neige

Le club d’Ovifat est par ailleurs l’heureux propriétaire des deux seuls canons à neige de Belgique. ” J’ai travaillé 10 ans sur ce dossier, relate son président. L’investissement a coûté 700.000 euros. Heureusement, la Région wallonne est intervenue pour les trois quarts de ce montant, que l’ASBL n’aurait jamais pu financer seule. ”

Mais les canons ne font pas tout : ils ne peuvent entrer en action qu’à partir de -5 °C. Ils projettent alors 50 m3 de neige par heure. L’eau provient d’un bassin naturel d’une contenance de 8.000 m3, situé sous la colline. ” Le coût est de trois à cinq euros par m3 de neige projetée ; une neige qu’il convient en outre de répartir convenablement sur la piste “, ajoute notre interlocuteur. Si l’enneigement et les températures s’y prêtent, les canons parviennent à multiplier par deux le nombre de jours de ski.

Le club d’Ovifat n’est pas très exigeant sur ce plan : ” Une fréquentation de 10.000 visiteurs par an nous permet de rentrer dans nos frais, calcule Günther Elsen. Nous recensons depuis 1990 une moyenne de 19 jours par an durant lesquels le ski peut être pratiqué. ” Quand les conditions s’y prêtent, la piste d’Ovifat voit passer entre 1.000 et 2.000 visiteurs par jour. ” Y compris en semaine. Les trois quarts des skieurs sont néerlandophones. Parmi eux, plus des deux tiers sont flamands. Et un sur 10 vient d’Allemagne, par exemple d’Aix-la-Chapelle. ”

Les domaines skiables ont donc un public très fidèle, une donnée que l’office du tourisme sait exploiter. ” Etant donné l’irrégularité des conditions atmosphériques, nous ne proposons jamais de package pour des vacances de neige, souligne Claudine Legros. La neige attire surtout des touristes d’un jour, qui accourent par milliers dès l’apparition des premières couches. En semaine, nous accueillons principalement des bus scolaires, un segment que nous exploitons résolument. Notre site internet affiche une analyse détaillée des conditions atmosphériques, une information que nous expédions en direction de divers médias également. ”

Boutique au pied de piste

Lors de notre passage, il faisait encore extrêmement calme chez Claessen Sport, boutique spécialisée du Mont Spinette, à Malmedy, que Sarah Claessen exploite en compagnie de son père, Jean-Louis. Pour cette entreprise, contrairement à d’autres, la météo reste un enjeu majeur. ” Nous sommes quasi entièrement dépendants de la neige, admet Sarah Claessen, entrée dans la société familiale en 2005. L’hiver 2019-2020 ne s’annonce pas donc très bon. C’est de surcroît la troisième année consécutive à connaître un enneigement limité. La saison 2016, en revanche, a été fantastique. Dès que la neige tient, la file, à la boutique, s’étire jusqu’à l’extérieur. Les clients louent ou achètent du matériel. Il suffit de cinq jours pour sauver notre année. ” D’autant que la localisation de la boutique l’y aide: une piste de ski de fond prend naissance à son seuil. ” La grande majorité des clients qui achètent du matériel l’utiliseront ici, seuls quelques-uns l’emporteront à l’étranger. Nous vendons des bonnets, des chaussures, des gants, des vestes et, évidemment, des skis. Le plus souvent, les clients consacrent à ces derniers un budget de 200 à 300 euros. ”

Sarah et Jean-Louis Claessen
Sarah et Jean-Louis Claessen ” Il suffit de cinq jours de ski pour sauver notre année. “© Karel Duerinckx

Mi-février, le magasin débordait encore de matériel. ” Mais dès que les pistes se parent de blanc, les rayons se vident, sourit Sarah Claessen. Nous ne parvenons pas toujours à livrer dans les délais. Heureusement, les achats par Internet sont rares ; envoyer une paire de skis par la poste n’est pas simple. En outre, il vaut mieux se faire conseiller et le matériel exige d’être entretenu. “

Flocons en recul

Cela fait plusieurs dizaines d’années que l’IRM calcule l’enneigement du Mont Rigi, lieu-dit situé à une altitude de 680 mètres, proche de la Baraque Michel. ” Les premières mesures remontent à l’hiver 1975-1976. Les résultats sont très fluctuants, analyse Pascal Mormal, porte-parole de l’IRM pour la Belgique francophone. En 1979, nous avons recensé 85 jours d’enneigement, pour trois seulement en 1989 et en 2007. Entre 1970 et la moitié de la décennie 1980, en revanche, la moyenne a été plus élevée. Il a peu neigé dans les années 1990, mais les chiffres remontent depuis 2000. Le nombre de jours d’enneigement continue, lui, de reculer : alors que l’on en recensait 57 entre 1976 et 1985, la moyenne est tombée à 38 entre 2010 et 2019. ” Les quantités de neige elles-mêmes sont passées de 54 cm entre 1976 et 1985 à 44 durant la période 2010-2019.

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