Paris à l’ombre des grandes expos

Musée des arts forains De 1850 à la Belle Epoque, une somme de trésors au service de l'imaginaire.

Les trésors de l’art forain, la collection de deux fans de Bowie, les coulisses de l’épopée postale, le génie de l’Art Déco, l’effroi d’un musée anatomique: cinq raisons inattendues de se rendre cet été à Paris. Attention, le plaisir est contagieux.

Une plongée en enfance

Surprenant, ce “village” de 8.200m2 dans le quartier de Bercy avec ses venelles pavées et ses gigantesques chais à vin reconvertis en Musée des arts forains. Un vrai décor de cinéma. C’est que Jean-Paul Favand a le goût du spectacle et de la démesure. Cet ancien comédien sans gloire devenu antiquaire est le grand ordonnateur du musée qu’il a installé dans de défunts entrepôts de bibine. Son idée? Démontrer que le monde forain n’est pas qu’un simple divertissement populaire mais un univers féerique où l’artisanat de haut vol était au service du merveilleux.

Le parcours qui dure près de deux heures est une plongée enivrante dans l’enfance. On avance au rythme des notes aigres des orgues de barbarie et des pianos mécaniques. Eclairées à la manière d’une scène de théâtre, les pièces qui couvrent une période allant de 1850 à la Belle Epoque sont de véritables trésors au service de l’imaginaire. Cariatides en plâtre, éléphant en stuc échappé d’un livre de Kipling, stand de tir vintage garanti avec “carabine U.S.”, automates en chapeau haut-de-forme et on en passe. On navigue d’un pays à l’autre, avec ses codes et ses règles. Ainsi apprend-on que le sens giratoire des manèges anglais diffère des manèges continentaux. Un héritage de la conduite à gauche… Mais ce tour du monde en 120 minutes a un prix. La statue de carrousel représentant Saint-Georges terrassant le dragon a été acquise pour 60.000 euros dans une très chic vente aux enchères parisienne. Longtemps délaissé, l’art forain a appris à se faire respecter. Et attiser la convoitise. En coulisses, les organisateurs se muent en Sherlock Holmes pour dénicher les pépites. Les vestiges du magnifique Théâtre mécanique Morieux, une attraction belge du 19e siècle, ancêtre du cinématographe, ont ainsi été récupérés par l’équipe du musée en 2007 au fond d’un hangar, à Gand… Le périple fait revivre des attractions oubliées à la manière de ces bio-cultivateurs qui ressuscitent avec passion des légumes du passé. Qui a entendu parler du manège vélocipédique datant de Méliès? Le carrousel se meut par la seule force du mollet. Un chef-d’oeuvre du genre qui, 100 ans et des poussières d’étoiles après, donne encore et toujours le tournis.

Musée des années 30 L'occasion de se plonger dans l'effervescence artistique de l'entre deux-guerres, pour des moments de pur réjouissance.
Musée des années 30 L’occasion de se plonger dans l’effervescence artistique de l’entre deux-guerres, pour des moments de pur réjouissance.

Musée des Arts Forains: 53, avenue des terroirs de France, Paris 12e – Visite sur réservation – www.arts-forains.com – 16 euros.

Les années 30 au sommet

Avec seulement 20.000 visiteurs par an, le Musée des années 30 fait partie de ces adresses confidentielles dont même les Parisiens ignorent l’existence… depuis 82 ans. A cinq minutes à pied de la station de métro Marcel Sembat, sur la commune de Boulogne- Billancourt, voilà l’occasion de se plonger dans l’effervescence artistique de l’entre deux-guerres. La collection se déploie sur trois étages dans un bâtiment malheureusement sans âme, l’espace Landowski. Tant pis pour le décor, on se réjouira du panorama avec ses jolis passages obligés (pièces de mobilier Art Déco, maquettes d’architecture moderniste) et ses angles de vue inattendus comme l’influence de l’exposition coloniale de 1931 sur les arts de l’époque. Fait nouveau au moment où triomphent les croisières jaune et noire de Citroën: il ne s’agit plus de proposer une vision romantique de l’ailleurs comme chez Delacroix et ses harems peints un siècle avant, mais de revendiquer une approche réaliste, quasi ethnologique et propagandiste. Bien qu’un rien décousu, le musée offre des moments de pure réjouissance comme ces chaises dessinées par le peintre cubiste Juan Gris recouvertes de motifs de tapisserie ou cette tête de mannequin en plâtre polychrome du fabricant Pierre Imans dont les bustes étaient destinés aux vitrines des grands magasins. A la sortie du musée, l’hôtel de ville voisin s’affirme comme un prolongement indispensable. Ce joyau architectural édifié en 1931 par Tony Garnier est un must de l’Art déco. Pour découvrir l’envers du décor, poussez la porte et feignez de récupérer un acte de naissance!

Musée des années 30: 28, avenue André Morizet, Boulogne Billancourt – www.boulognebillancourt.com – 7 euros.

Bowie en mode fan zone

Célébrer le génie musical de David Bowie et ses multiples avatars scéniques, voilà de quoi donner envie de se précipiter à Paris. L’exposition que lui consacre Le Palace, la scène de spectacle parisienne (et ex-club mythique des années 1980) rachetée par les Belges Alil et Hazis Vardar, retrace à sa manière le parcours du créateur de Ziggy Stardust. Au programme, la foisonnante collection de Jean-Charles Gautier et Yves Gardes, deux fans qui ont pieusement conservé disques, affiches de films, coupures de presse, dossiers de presse et, surtout, matériel promotionnel de leur idole. A priori, rien de totalement passionnant à se retrouver devant un gobelet en plastique affublé d’un portrait de l’interprète de Modern Love, une antique cassette VHS du film Furyo (1983) ou une une de Nice-Matin. Mais les produits dérivés de “Major Tom” révèlent quand même quelques surprises. Qui se souvient du stylophone, un synthé de poche créé en 1967 auquel le jeune Bowie prêta son image publicitaire? Structurée autour des albums et des tournées phares du chanteur, cette rétrospective trouvera grâce auprès des aficionados les plus engagés. Consolation pour les autres: les organisateurs ont eu la bonne idée d’accrocher dans le hall du théâtre une splendide sélection de clichés originaux captés durant la période glam-rock du Britannique par le bien nommé Mick Rock. Jusqu’au 31 août.

Bowie Odyssée Matériel promo, affiches, coupures de presse: la rétrospective trouvera surtout grâce auprès des aficionados les plus engagés.
Bowie Odyssée Matériel promo, affiches, coupures de presse: la rétrospective trouvera surtout grâce auprès des aficionados les plus engagés.

Bowie Odyssée: Le Palace – 8, rue du Faubourg Montmarte, Paris 9e – www.bowie-odyssee-expo.com – 14 euros.

L’autre musée de cire

Un lieu interdit aux moins de 12 ans? Et pour cause, il faut avoir le coeur bien accroché lorsqu’on pénètre au Musée des moulages. Le nom prête à confusion. Rien à voir avec Rodin. Ici, c’est le règne des végétations, le triomphe des ulcères, l’apologie des urticaires, des zonas, des luxations, des xanthomes! Autrement dit, 4.800 moulages ultra-réalistes de pathologies médicales soigneusement rangés derrières des vitrines d’apothicaire. Le bâtiment, inauguré en 1889 au sein de l’hôpital Saint-Louis, a été laissé dans son jus. Le parquet qui grince, les lourdes tentures de velours, les plaques émaillées qui portent les mentions “tuberculose” ou “impétigo” donnent le ton. Une ambiance digne des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, la série BD de Tardi…

La vocation originale de cet inquiétant cabinet de curiosités n’est pourtant pas de susciter le frisson à l’image des monstrueuses répliques en cire du docteur Spitzner exhibées en son temps à la foire du Midi, mais bien d’éclairer la lanterne des futurs médecins. “Au 19e siècle, on estimait que les étudiants n’étaient pas bien formés aux maladies de la peau”, explique Sylvie Dorison, chargée du musée-bibliothèque. “C’est la raison pour laquelle les dermatologues de l’hôpital Saint-Louis ont réfléchi à un nouveau support pédagogique afin d’apporter la connaissance. Il y avait les atlas illustrés du docteur Alibert mais ils étaient très onéreux. Il fallait démocratiser l’enseignement”.

Musée des moulages Une ambiance digne des aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec .
Musée des moulages Une ambiance digne des aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec .

Les premières empreintes anatomiques de l’hôpital Saint-Louis datent 1867. Elles sont le fait d’un certain Jules Baretta dont le buste trône dans la vaste et unique salle rectangulaire d’exposition. L’artiste, spécialisé dans les fruits en carton-pâte, va se faire une réputation de fine lame dans la reproduction grandeur nature des ravages de l’érythème polymorphe ou de la syphilis. Ses successeurs se nomment Louis Niclet ou Stephan Littré. La préparation à base de cire d’abeille, mélangée quelque fois à du saindoux, du suif ou de l’huile d’olive, était directement appliquée sur le corps meurtri des patients qui n’ont d’autre choix que de se laisser faire au nom des progrès de la science. C’est seulement en 1958 qu’aura lieu le dernier moulage. “Les mentalités avaient changé. Les malades ne pouvaient plus tolérer ce qu’ils acceptaient par le passé. Les photographies en couleur et les diapositives ont remplacé la pratique. C’était plus confortable et moins onéreux”.

Musée des Moulages: Hôpital Saint-Louis/Porte 14 – 1, avenue Claude Vellefaux, Paris 10e – sur rendez-vous (cinq personnes min.) Tél.: 01 42 49 99 15 – www.hopital-saintlouis.aphp.fr – 7 euros.

La poste vide son sac

Ce n’est pas seulement l’un des musées scientifiques les plus discrets de la capitale, c’est aussi, contre toute attente, l’un des plus passionnants. L’adresse était en convalescence de 2015 à fin 2019, le temps de revoir de fonds en comble les lieux. Les trois niveaux (5.000 m2 y compris un espace d’exposition temporaire) ont gagné en clarté, en lisibilité. A l’issue des grands travaux, la façade d’origine datant de 1973 et ses magnifiques reliefs en béton sculpté signés Robert Juvin ont été conservés.

Si l’on peut s’enthousiasmer de la balade – comptez au moins deux heures et demi – c’est que le thème choisi dépasse de très loin la curiosité philatélique. Comme l’expliquait la directrice Anne Nicolas à La Gazette Drouot (la revue consacrée aux ventes aux enchères publiques), la poste “est le reflet d’une mémoire collective, d’un univers fédérateur, qui raconte une longue aventure humaine, sociale, économique, politique, technique, artistique”. On ajoutera “universelle” comme en témoigne les uniformes, képis ou boîtes aux lettres glanés aux quatre coins du globe par les conservateurs.

Musée de la poste Des maquettes, des documents de bord, des images rares retracent l'époque où des individus risquaient parfois leur vie pour
Musée de la poste Des maquettes, des documents de bord, des images rares retracent l’époque où des individus risquaient parfois leur vie pour “relier les hommes entre eux.”

Cette épopée du courrier pour tous a pris son essor au tournant de la seconde révolution industrielle. A une époque où l’on ne parlait pas encore de télécoms, ni de Minitel et encore moins d’e-mails. Ce sont les débuts des compagnies des messageries maritimes puis les balbutiements de l’aviation postale. Des maquettes, des documents de bord, des images rares retracent ce préambule où des individus risquaient parfois leur vie pour “relier les hommes entre eux”, comme disait la pub. Cette foi inaltérable dans le progrès s’accompagne de gestes esthétiques. On croise au dernier étage des enseignes en fer forgé d’une élégance folle, un kiosque art déco en céramique qui s’impose par sa pureté, une cabine téléphonique que l’on dirait sortie d’un film avec Jean Gabin. Les coulisses du métier étonnent. Il n’y a pas si longtemps encore, les wagons ambulants transportaient dans le bruit et la crasse des brigades chargées de trier le courrier. Les agents étaient entassés et bringuebalés dans des fourgons lancés à toute allure, sans voir le jour… Un autre temps.

Musée de la Poste: 34, boulevard de Vaugirard, Paris 15e – www.museedelaposte.fr – 5 euros.

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