Qu’attendent les anciennes et nouvelles fortunes de leur banquier privé?

Le jeune entrepreneur est très attentif aux frais et au rendement. Il compare et "fait son shopping" parmi les offres des banquiers privés. © getty images

Quelles différences d’attitudes et d’objectifs les banquiers observent-ils entre les anciennes familles fortunées et les jeunes entrepreneurs qui viennent de vendre leur entreprise et de toucher un gros chèque? Trois d’entre eux évoquent pour nous leur expérience.

Une première observation au niveau de la tenue vestimentaire, pour l’anecdote? “On observe en effet une différence dans l’attitude et l’apparence, sourit Erik Joly, country director investment advice chez ABN Amro: le new money, c’est un trentenaire ou quadragénaire qui a vendu son entreprise. Il se présente en tenue décontractée et a le tutoiement assez facile une fois les présentations faites. Il n’en est le plus souvent pas question parmi les représentants du old money, où les Monsieur et Madame restent de mise même après plusieurs décennies. Leur tenue est également plus classique.” “Les représentants du old money en costume cravate? Oui, souvent, mais pas la jeune génération, qui arbore une tenue plus décontractée, comme les entrepreneurs”, rectifie Patricia Lardinois, directeur du wealth management pour la Wallonie chez BNP Paribas Fortis. “Oui, les jeunes entrepreneurs adoptent généralement un code vestimentaire différent, embraie Olivier Goerens, directeur marketing & sales pour le p rivate banking et le wealth management chez Belfius. Par contre, j’observe un dénominateur commun entre les divers profils de clients: la recherche de l’excellence du service. C’est assez logique de la part des entrepreneurs: ils ont lancé leur société, ont cet esprit d’entrepreneuriat et ils veulent que leur partenaire banquier partage cet esprit dans le style ‘on décide et on agit’.” Plus sérieusement, observez-vous une différence d’attitude face au risque, en fonction d’une fortune récente ou ancienne? “C’est surtout une question de sensibilité personnelle et de vécu, relève Patricia Lardinois. Certains chefs d’entreprise ayant vendu leur affaire vont vouloir lancer une nouvelle activité ou oser davantage au niveau des marchés financiers pour augmenter leur rendement. Tandis que d’autres, se trouvant dans la même situation, souhaitent au contraire investir à présent de manière très prudente. Ils sont moins à l’aise avec les marchés financiers, sont donc plus frileux et choisissent dès lors une gestion déléguée très défensive.

Pas forcément plus frileux au risque

Si ces deux attitudes existent dans le new money, il en va de même dans le old money, d’autant que l’on est ici souvent investi dans des entreprises familiales, qui constituent clairement du capital à risque. Et si les portefeuilles sont plutôt prudents, composés sur le principe du buy and hold, ces familles s’intéressent de plus en plus à des positions en private equity, un type d’investissement spontanément très prisé par les entrepreneurs.”

“Quand l’argent se trouve dans la famille depuis plusieurs générations, on observe souvent un peu plus de réticence vis-à-vis du risque, complète Erik Joly. Ainsi qu’une vision à plus long terme, qui se traduit notamment par davantage de patience quand les choses n’évoluent pas comme souhaité. Un entrepreneur a un comportement un peu plus agressif en matière d’investissement. Il prendra plus facilement sa perte sur une action en cas de coup dur et se tournera alors vers une autre valeur.”

Une question d’âge?

Certains banquiers soulignent pourtant qu’une personne ayant dû prendre des risques en tant que dirigeant d’entreprise toute sa vie active, a tendance à ne plus vouloir en prendre, ou fort peu, une fois retraité. “C’est peut-être vrai quand il est à la retraite, nuance le banquier d’ABN Amro, mais quand cet entrepreneur est encore jeune, il y va plutôt à fond! C’est-à-dire qu’il choisit une large proportion d’actions ou de fonds actifs, voire pour la totalité de son portefeuille.” “C’est d’abord une question d’âge, confirme Olivier Goerens. Un client se situant en fin de carrière se préoccupe davantage de sécuriser son patrimoine pour le transmettre. Les clients plus jeunes, qui ont potentiellement devant eux deux ou trois cycles d’investissement, vont relancer une autre activité professionnelle ou investir dans des start-up, etc.” Cela étant, on rencontre tant des patriarches ne jurant que par le capital à risque que de jeunes entrepreneurs cherchant une grande sécurité dans leurs placements, ajoute le banquier.

“Une prise de risque excessive peut être le fait tant du old money que du new money, appuie Erik Joly. Je pense à deux clients s’étant adressés à la banque, un dans chacune de ces catégories: leur portefeuille était investi pour 20 à 25% dans une action particulière. Et ceci sans lien avec une entreprise familiale, dois-je ajouter. C’est le rôle du banquier d’attirer l’attention sur ce déséquilibre, pour le corriger rapidement.”

Le rendement et la relation

Les exigences à l’égard du banquier privé sont-elles les mêmes? “Le jeune entrepreneur est très attentif aux frais et au rendement, observe Patricia Lardinois. Il compare et “fait son shopping”. C’est normal, puisqu’il n’a pas encore d’attache avec son banquier privé, contrairement aux familles qui sont en relation avec lui parfois depuis plusieurs générations.” Celles-ci ne sont pas inattentives aux frais et au rendement, bien entendu, mais elles accordent beaucoup d’importance à la pérennité de la relation de confiance avec un banquier qui connaît bien la famille. A noter qu’il existe au sein de la banque une équipe de family governance, qui épaule les banquiers privés.

N’ayant pas (encore) de relation historique avec son banquier privé, un jeune entrepreneur circonscrit-il toujours bien son rôle? N’a-t-il pas tendance à le confondre avec un service de conciergerie pouvant lui réserver un yacht ou les vacances de ses enfants? Chez Belfius comme ailleurs, le service de banque privée, qui démarre ici à 500.000 euros, coexiste avec le wealth management, dont le plancher se situe à 2,5 millions. Ce dernier comporte certes des services de conciergerie, mais ceux-ci sont prestés par un partenaire extérieur, d’ailleurs bien connu: la société Quintessentially. “Les demandes qui lui sont adressées ne sont pas aussi extravagantes que certains le fantasment, souligne Olivier Goerens, pas plus des clients new money qu’ old money. Il s’agit par exemple de réserver, dans une capitale étrangère, un restaurant très réputé dont aucune table n’est théoriquement libre avant un mois. Ou de fournir des entrées pour une exposition dont tous les tickets sont vendus. Mais pas de remplir un avion de roses rouges…”, sourit-il.

Le mépris de l’argent…

Printemps 1988: l’OPA lancée sur la Générale de Belgique a asséché le marché et on se bat pour trouver les dernières actions disponibles. Un agent de change contacte une famille cliente pour lui signaler qu’il y a une incroyable opportunité à saisir: “Le cours est devenu fou et, si vous vendez, vous pourrez certainement bientôt racheter deux fois moins cher!”. Réponse dédaigneuse des châtelains en question: “Non merci, nous n’avons pas besoin de cela pour vivre”. Un tel mépris de l’argent existe-t-il encore, une génération plus tard? “C’est fort rare, mais on le ressent encore dans certaines familles, avoue un de nos interlocuteurs. Cela pose d’ailleurs des problèmes et peut même engendrer des querelles entre parents et enfants, quand ces derniers veulent faire bouger les choses. Entendez: davantage profiter de la vie – et donc de leur patrimoine – en réaction à l’égard de parents qui cultivent l’austérité. C’est au sein des mêmes familles que l’on rencontre parfois une génération âgée qui néglige de préparer sa succession et refuse les donations. Ceci conduit évidemment à des situations catastrophiques en cas de décès inopiné.” Ces gens ont pourtant eux-mêmes hérité de leurs parents? “Oui, mais au décès. Ils reproduisent donc ce schéma. Et tant pis si les enfants paient des droits de succession très élevés, déclarent-ils parfois eux-mêmes!”

De génération en génération

Et qu’en est-il de la transmission du patrimoine? On imagine que le fait d’en avoir hérité de ses ancêtres rend plus sensible au principe de continuité à travers les générations. “C’est vrai, l’approche est assez différente, d’autant que la structuration de ce patrimoine est en accord avec cette vision, observe Olivier Goerens (Belfius), qu’il s’agisse de holdings patrimoniaux ou a fortiori d’une entreprise familiale. De plus, la génération suivante, voire les deux suivantes, est souvent déjà impliquée dans ces structures, au niveau des conseils d’administration ou des organes de gestion. L’âge contribue aussi à cette différence, souligne-t-il, car l’entrepreneur ayant revendu son entreprise a souvent des enfants encore jeunes, ne pouvant être impliqués dans une entreprise.”

Ce souci est plus prononcé dans les vieilles familles, confirme Erik Joly (ABN Amro), où l’on a l’habitude de transmettre ce qui est considéré comme un ” patrimoine familial“. Il faut toutefois nuancer en fonction de l’âge: on est clairement moins préoccupé de planification successorale à 40 ans qu’au-delà de 60. Discuter de la transmission du patrimoine n’est plus un tabou, ajoute-t-il. Pas plus que le fait de sauter une génération, une démarche que l’on observe davantage que naguère.”

“La transmission du patrimoine est plus marquée dans les familles, confirme également Patricia Lardinois (BNP Paribas Fortis), car c’est en quelque sorte inscrit dans leurs gènes. Elles ont une vision transgénérationnelle. Dans le new money, ce n’est géné- ralement pas la priorité. C’est dès lors notre rôle de banquier privé d’aider ces clients à y penser. La première démarche de ces entrepreneurs est d’examiner comment réinvestir leur argent.”

Et que leur conseillez-vous? “La plupart ont tendance à réinvestir dans de nouveaux projets et nous leur conseillons quand même de se ménager une poire pour la soif, sourit notre interlocutrice. Notamment dans l’optique d’une transmission à la génération suivante.” En fait, ces entrepreneurs sont plus à l’aise avec le monde de l’entreprise qu’avec les marchés financiers. D’où cette tendance à vouloir réinvestir dans ce qu’ils maîtrisent, mais en prenant à nouveau des risques entrepreneuriaux importants. Et ceci aussi bien à 60 ans qu’à 35.

L’implication des jeunes générations au patrimoine familial se fait très tôt, observe encore Patricia Lardinois, y compris par le biais des donations. Parfois même avant la majorité, ce qui n’est pas toujours l’idéal, car cela implique des formalités particulières. Ces donations se font plus souvent et plus facilement que naguère, dans toutes les couches de la population. “Et si les jeunes entrepreneurs y pensent moins spontanément que les séculaires familles nanties, ils y viennent aisément une fois qu’on aborde ce sujet.”

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