Laurent Jossart (Liège Airport): “Nous aurons sans doute une baisse par rapport à 2021”

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le nouveau CEO de Liege Airport affronte une année difficile, à la fois pour le trafic et pour le renouvellement du permis d’exploitation qui polarise les riverains.

Arrivé en décembre, Laurent Jossart succède à Luc Partoune, qui avait développé l’aéroport avant d’en être écarté, et des mois d’intérim assurés par Frédéric Jacquet. La situation de Liege Airport est meilleure que celle des autres aéroports de passagers, mais quelques défis se profilent à l’horizon.

Profil

  • 54 ans
  • 1990. Arthur Andersen, audit
  • 1997. CFO de City Bird Airlines, puis de Virgin Express
  • 2002. CEO de Brussels South Charleroi Airport
  • 2006. CFO de LuxairGroup. Il y occupe plusieurs fonctions, à la tête de LuxairCargo et de la compagnie Luxair
  • 2020. Managing director de G4S Luxembourg
  • 2022. CEO de Liege Airport

TRENDS-TENDANCES. Vous avez une grande expérience dans l’aéronautique, à la direction de l’aéroport de Charleroi, puis chez LuxairGroup, quelles fonctions y avez-vous remplies ?

LAURENT JOSSART. J’ai été directeur financier de LuxairGroup pendant huit ans et responsable des activités handling passagers, catering et airport shops. Pendant cinq ans, j’ai dirigé les opérations de handling cargo. Il y a une importante opération cargo à Luxembourg Findel, un million de tonnes par an, 1.200 personnes et 300 intérimaires, 3.000 camions par semaine. Puis, j’ai dirigé un an la compagnie aérienne Luxair.

Les compagnies russes ont dû partir fin février. Elles ont été remplacées par d’autres compagnies.

Vous avez aussi dirigé l’aéroport de Charleroi pendant cinq ans : un bon souvenir ?

C’était en 2002. Charleroi avait misé sur le bon cheval, Ryanair. J’avais été engagé pour mettre en place les opérations. A l’époque, c’était hasardeux, Ryanair était minuscule. Il est devenu le géant mondial que l’on connaît. Ryanair a mis Charleroi sur la carte. Nous avions en plus rebaptisé l’aéroport ” Brussels South “, c’était un bon changement marketing.

Depuis votre entrée en fonction en décembre, quel bilan tirez-vous de Liege Airport ?

J’ai apprécié le succès de l’aéroport, qui a doublé de taille en cinq ans. C’est impressionnant. Liege Airport est un gagnant de la crise du covid, son activité a augmenté de 50 % en deux ans, nous sommes devenus le cinquième aéroport de fret européen. C’est un bel outil de travail, là où Luxembourg Findel, que je connaissais, est avant tout un aéroport de passagers qui fait du fret. Il y a beaucoup de logisticiens installés ici. Le développement s’est fait avec une prise de conscience environnementale de la Région wallonne qui a ouvert son portefeuille pour indemniser les riverains, rachetant ou finançant l’insonorisation des logements dans un certain périmètre.

Cette politique environnementale ne fait pas l’unanimité…

C’est vrai, mais peu d’aéroports en Europe – je pense même aucun – ont été aussi généreux vis-à-vis de leurs riverains. Même au Luxembourg. Zaventem non plus n’a pas cette politique. Ici, pour chaque euro mis dans l’infrastructure aéroportuaire, un euro est mis dans des mesures environnementales, via l’action de la Sowaer (Société wallonne des aéroports, propriété de la Région wallonne, qui possède l’infrastructure des aéroports, Ndlr).

Quelles sont, de votre point de vue, les forces et les faiblesses de l’aéroport ?

Sa force est l’ouverture 24 heures sur 24, avec une flexibilité que permet un aéroport avec peu de trafic passager. Comme on dit dans le métier, nous ne sommes pas coordonnés, donc un avion peut arriver et partir quand il le veut. A Amsterdam, Bruxelles, Paris ou Francfort, ce n’est pas le cas, vous devez demander des créneaux d’atterrissage ou de décollage. Ils sont souvent refusés aux heures de pointe. Autre force : la situation géographique. Nous touchons 250 millions de consommateurs à une journée de camion maximum. Le mauvais côté est que nous ne sommes pas seuls, nous avons six concurrents immédiats : Paris, Amsterdam, Cologne, Francfort, Bruxelles et Luxembourg. Dans les grands aéroports de passagers, le fret est la deuxième priorité. Nous bénéficions d’un effet boule de neige. Quand vous avez un Cainiao Alibaba qui s’installe, plein de concurrents arrivent à sa suite. Quand vous avez des logisticiens comme Kuehne+ Naegel, Bolloré ou DB Schenker, vous en attirez d’autres.

Surtout quand les logisticiens deviennent, si j’ai bien compris, les décideurs qui font le succès d’un aéroport, alors qu’hier c’étaient les compagnies aériennes…

Dans le fret classique, les compagnies aériennes décidaient de leurs destinations. Depuis quelques années, les logisticiens, que nous appelons les freight forwarders, les DB Schenker ou les Cainiao, branche logistique d’Alibaba, décident si les marchandises vont par la mer, le train, la route, l’avion, le fluvial, en fonction de la situation de leurs entrepôts. Ils sont devenus aussi plus importants que les compagnies aériennes, ils décident des noeuds logistiques à utiliser.

Si le covid a profité à Liege Airport, n’est-ce pas l’inverse avec le conflit en Ukraine ?

Les compagnies russes ont dû partir fin février, comme AirBridge Cargo ou Altran. Elles ont été remplacées par d’autres compagnies.

Qui a remplacé ces compagnies russes ?

Des Magma, Senator, des noms de compagnies full cargo peu connues du grand public. La sortie d’AirBridge Cargo et d’autres a poussé les tarifs à la hausse car il n’y a pas assez de capacité. Nous sommes davantage touchés par les dommages collatéraux de la guerre qui imposent aux avions occidentaux de contourner l’espace aérien russe, soit deux à trois heures de détour. Cela ne concerne pas les compagnies chinoises, le pays n’ayant pas condamné la Russie. Ces détours ont un coût, d’autant que le prix du kérosène a explosé. La politique chinoise du zéro covid entraînant des confinements drastiques nous touche davantage. J’ai une carte des flux cargos qui schématise cela : il y avait

Laurent Jossart (Liège Airport):
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-53 % de trafic à l’import et -54 % à l’export pour la semaine du 4 au 17 avril par rapport à la même période en 2019, en Europe.

Après des années de croissance, qui ont porté Liege Airport à 1,4 million de tonnes, vous notez un ralentissement ?

Oui, depuis le mois de mars. Dans le budget, nous avions tablé sur +1 % pour 2022. Avec la guerre en Ukraine et la Chine, nous aurons sans doute une baisse par rapport à 2021, mais nous restons prudents. Tout peut changer très vite.

Vous subissez aussi l’impact de la réduction des activités de Fedex, votre premier client…

Les effets se font sentir depuis un mois : -65 % de vols. Les effectifs de Fedex ont reculé dans une proportion moindre, de 1.700 à 1.200 personnes, un tiers, car il reste une grosse activité camions, du fret allant ou provenant du Benelux, d’une partie de la France ou de l’Allemagne.

Comment tourne Cainiao Alibaba à Liege Airport, installé depuis l’an dernier ?

C’était très bon en 2021, avec environ 100.000 tonnes, une création de 300 jobs. En 2022, c’est plus compliqué avec la crise du covid en Chine. Cainiao occupe actuellement 33.000 m2, et a lancé une étude d’incidence pour en ouvrir 60.000 de plus. Les Chinois se projettent sur le long terme.

Autre élément, une enquête publique est menée pour le renouvellement du permis d’exploitation. Où en est-elle ?

C’est un grand débat démocratique. Notre masterplan pour les 20 années à venir, qui prévoit un doublement des activités et un développement des zones d’entreprises autour de l’aéroport, a servi de base à une étude d’incidence sur l’environnement, avec comme périmètre les 18 communes concernées par le plan de développement à long terme de l’aéroport fixé par la Région wallonne dans le cadre des mesures d’accompagnement des riverains. Le bureau d’études a mesuré l’impact de ce développement sur des paramètres comme la qualité de l’air, les nuisances sonores, la mobilité… Le processus est transparent et met l’aéroport à nu pour ses activités actuelles et projetées. Les deux fonctionnaires, technique et délégué, rendront leur décision durant l’été. L’enquête publique vers les citadins s’est terminée le 21 avril et les communes pourront rendre leur avis jusqu’à la fin mai. C’est une période médiatiquement tourmentée, surtout en province de Liège. Il y a une radicalisation des positions, avec les pour et les contre, mais on entend surtout les seconds.

Vous vous attendez à des limitations ?

Nous plaidons pour qu’il n’y en ait pas. L’ouverture la nuit fait le succès de l’aéroport, qui génère 10.000 emplois aujourd’hui, 30.000 en 2040. Une fois la décision annoncée, il pourrait encore y avoir un recours, qui sera arbitré par le gouvernement wallon, vers la fin de l’année.

Prendre des mesures limitatives sur un seul aéroport, cela n’a guère de sens.

En dehors des positions virulentes exprimées, n’y a-t-il pas une pression environnementale de plus en plus défavorable à l’avion et ses émissions ?

Nous plaidons de manière raisonnable en faveur d’une transition. Nous ne la contestons pas. Elle doit être arbitrée au niveau au moins européen, non au niveau local ou régional. Prendre des mesures limitatives sur un seul aéroport alors que d’autres sont en opération, à Bruxelles, Maastricht ou ailleurs, cela n’a guère de sens. Le débat est le même pour l’implantation d’Alibaba à Liege Airport contestée par certaines associations. On peut avoir un débat sur le consumérisme, il doit avoir lieu au niveau européen. Au niveau des nuisances et de la mobilité, il y a des évolutions. La Région wallonne revoit les zones couvertes par ses mesures tous les trois ans, et va mettre 30 millions d’euros sur la table pour la cinquième révision du plan d’exposition au bruit. Pour la mobilité, nous travaillons avec les communes avoisinantes et le bureau d’étude Stratec. Nous discutons d’un lien direct entre le nord de l’aéroport et l’E40 vers Bruxelles.

L’ancien projet d’un TGV Fret, Eurocarex, est-il vraiment relancé ?

Sur le ferroviaire, il y a deux dossiers. Pour le TGV Fret, le projet Eurocarex, qui date d’il y a 15 ans environ, la bonne nouvelle est qu’une étude a été relancée. Plusieurs acteurs, dont Infrabel, la SNCF, ADP, Fedex, UPS et DHL, montrent beaucoup d’intérêt. Il y a un momentum avec le prix du kérosène qui augmente, la pression pour devenir neutre en carbone d’ici 2050. Nous devons aussi être créatifs, en reconvertissant des rames existantes vers le fret, comme dans l’aérien, sinon ce serait probablement trop coûteux, dans un premier temps, de faire des trains spécifiques. Est-ce le bon moment ? Je ne sais pas. En tout cas, il faudra que les opérateurs, comme les expressistes, s’engagent à utiliser le service pour amorcer la pompe. Nous avons déjà du fret classique par rail, avec sept trains par semaine qui viennent de Chine, via la Russie et la Biélorussie, dans la zone Liege Logistics à côté de l’aéroport. En 2021, il y a eu 170.000 tonnes de fret rail, +70 % par rapport à 2020. Cela permet de développer une forme de hub multimodal. Des produits bon marché de l’e-commerce peuvent venir en train, en avion s’ils sont plus chers, en bateau, par la voie fluviale ou maritime, être stockés dans des entrepôts ici en attendant d’être envoyés par camion aux clients.

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