Notre victoire à la Pyrrhus et le Saint-Esprit des taux bas

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

Il y a parfois des victoires à la Pyrrhus dont on se passerait bien. Vous qui nous faites l’honneur de lire ce ” Point final ” de Trends-Tendances, vous savez que notre journaliste Sébastien Buron vous avait prévenu que notre argent n’intéressait plus les banques. Votre magazine économique préféré y a d’ailleurs consacré sa une la semaine dernière. Bref, tous nos avertissements sont aujourd’hui devenus réalité. BNP Paribas Fortis, la première banque du pays a franchi le cap ce 1er septembre 2019 : elle a annoncé officiellement qu’elle abaissait les taux sur tous ses comptes d’épargne, pour les ramener au taux minimum légal de 0,11%. Soit 0,01% de taux de base augmenté de la sacro-sainte prime de fidélité de 0,10%.

En idiots utiles du capitalisme numérique de surveillance, nous serons pris au piège de l’argent virtuel.

Est-ce une surprise ? Non. Sauf à être aveugle et sourd, le secteur bancaire nous avait tendu quelques perches cet été. D’abord, il y a celle du patron d’ING qui n’avait pas hésité à avouer à la presse – au creux de l’été – que même le taux minimum légal de 0,11% était intenable selon lui. Mieux encore, le CEO d’ING plaidait pour ramener ce taux minimum légal à… 0% ! Ensuite, le patron de la KBC s’est également fendu d’une déclaration plus ou moins similaire, même si le ton était moins tranchant.

Bref, toutes ces déclarations n’avaient qu’un seul but : nous préparer à recevoir le Saint-Esprit des taux bas. La démarche de BNP Paribas Fortis n’a donc surpris personne. Les marges d’intermédiation des banques commerciales souffrent des taux d’intérêt bas et, sauf à laisser leurs cours de Bourse plonger encore plus, elles se devaient de réagir. Puis, soyons clairs, nos banques n’ont plus besoin de notre argent, de nos dépôts. La raison ? Ces dépôts leur coûtent de l’argent. N’oublions pas que lorsque les banques commerciales déposent elles-mêmes leurs liquidités auprès de la Banque centrale européenne, cette dernière les ponctionne d’une grassouillette pénalité de 0,40%.

Après avoir longtemps hésité, ces mêmes banques commerciales veulent aujourd’hui refiler le mistigri aux épargnants. Elles le font avec d’autant plus de facilité qu’elles croulent sous les liquidités. Bref, aussi étonnant que cela puisse paraître, notre argent les intéresse moins. Sans vouloir jouer au devin, il est clair que maintenant que BNP Paribas Fortis a osé sortir du rang, toutes les autres banques vont suivre le même chemin. Avec parfois des nuances, mais le chemin est tracé.

La deuxième étape ? Selon moi, elle consistera à imiter ce qui se fait déjà dans des pays étrangers : à savoir, taxer les dépôts des clients à partir d’un certain montant. Au-delà de 100.000 euros, par exemple, vous n’aurez plus droit au taux minimum légal de 0,11%. Et puis, la troisième étape, et j’espère sincèrement qu’on n’y arrivera jamais, consistera à supprimer le cash de nos sociétés !

Pourquoi écrire cela ? Parce qu’officiellement, les autorités politiques et monétaires nous endormiront en disant que le cash est superflu dans une société numérique, qu’il prend de la place, qu’il coûte cher à manipuler. Bref, que c’est un coût inutile dans cette société réputée être sans frictions. Leur discours sera appuyé par les banques commerciales, par le secteur de l’e-commerce et par les millennials qui, à l’unisson, nous diront que notre argent physique appartient aux siècles passés. Soyons modernes, que diable : un clic et tout réglé !

La vérité est tout autre : le jour où le refuge du cash aura disparu de nos sociétés, il suffira à un gouvernement sans le sou d’instaurer un impôt sur les dépôts des épargnants et hop ! , comme par magie, l’Etat fera rentrer de l’argent sans nous demander notre avis. Vive la ponction démocratique numérique ! Comme il n’y aura plus de cash, nous, humbles épargnants, ne pourrons plus aller au guichet et retirer prestement notre épargne. En idiots utiles du capitalisme numérique de surveillance, nous serons pris au piège de l’argent virtuel. Sauf pour la taxe qui, elle, sera bien réelle. Les économistes qualifient ces stratagèmes de ” répression financière “. L’homme de la rue parlera de hold-up et fera le triste constat qu’aujourd’hui, l’épargne n’est plus une vertu puisque nos élites politiques et monétaires veulent nous dissuader de mettre un peu de côté pour aller de l’avant.

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