Notre-Drame-de-Paris et l’autre feu de la jalousie

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

” Nous rebâtirons Notre-Dame parce que c’est ce que les Français attendent, parce que c’est ce que notre histoire mérite, parce que c’est notre destin profond (…). C’est notre histoire, notre littérature, notre imaginaire, le lieu où nous avons vécu tous nos grands moments (…) Alors je vous le dis très solennellement ce soir : cette cathédrale, nous la rebâtirons, tous ensemble, et c’est sans doute une part du destin français et le projet que nous aurons pour les années à venir. ”

Voilà de belles paroles tenues par Emmanuel Macron, président de la République française après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. Sa déclaration est magnifique parce qu’elle montre que la culture n’a pas de prix et qu’une cathédrale fait partie de notre patrimoine commun, qu’on soit croyant ou pas. En fait, cette communion des Français n’a été ternie que par un seul aspect. Aspect plutôt vulgaire car fiscal. De quoi s’agit-il ? Sitôt que la presse a fait état de dons de centaines de millions d’euros de la part de milliardaires français comme Bernard Arnault (LVMH), la familleBettencourt (L’Oréal) ou François-Henri Pinault (Kering), certaines belles âmes (y compris en Belgique) se sont senties obligées de préciser que ces dons allaient être déductibles dans le chef de ces personnes ou de leurs entreprises. Et donc que si ces riches peuvent donner autant d’argent et aussi rapidement, c’est qu’ils ne paient pas assez d’impôts. Ou pire encore, qu’ils se donnent bonne conscience après avoir éludé l’impôt pendant des années.

Pourquoi bouder ces dons (souvent plafonnés) sous prétexte quece sont des milliardairesqui en sontà l’origine ?La réponseest hélas très simple : parce que sous couvert de justice sociale, c’est le feu de l’envie qui s’exprime.

C’est une autre manière de dire que l’argent du privé – surtout s’il provient de milliardaires – est forcément un argent sale. Pour ces détracteurs, seul l’argent public trouve grâce à leurs yeux. Simone Wapler, l’une des meilleures commentatrices de la vie financière française, s’en est émue dans l’une de ses dernières chroniques sur le site des Publications Agora. Elle rappelle avec sa verve habituelle, que ” le miracle de saint Fisc transforme de l’argent privé, laid et sale, acquis en exploitant des pauvres et des faibles, en bon argent public. L’argent privé est purifié lorsqu’il est pris par les hommes de l’Etat et transformé par la grâce de l’eucharistie de Bercy en argent public distribué par les hommes d’Etat “. Bref, écrit-elle, dans l’esprit de certaines personnes, ” l’argent public est forcément bon car il est dépensé dans l’intérêt commun “. D’autres auteurs qu’elle cite rappellent aussi que ” cette manipulation des esprits portée à la hauteur d’un mythe est sans doute l’opération de subversion la plus réussie des 20 derniers siècles par les hommes de l’Etat “.

Autrement dit, pour ceux qui ontcritiqué le geste de Bernard Arnault ou deFrançois-Henri Pinault, forcément ” l’argent privé corrompt et l’argent public soulage. Or, c’est pourtant rigoureusement le même. Mais voilà, cet argent privé s’est transformé en se bonifiant par le miracle de saint Fisc “. La polémique est triste car, face à un drame pareil, ce n’est pas la déductibilité qui compte mais d’abord le geste. D’ailleurs, François-Henri Pinault a immédiatement désamorcé la bombe en affirmant qu’il renonçait à toute déductibilité de son don de 100 millions d’euros. Bernard Arnault a faitde même en fustigeant au passage la jalousiede certains de ses compatriotes. Il a aussi euraison d’ajouter qu’ailleurs, pareille initiative aurait soulevé des applaudissements. Par ailleurs, je rappelle à ces belles âmes que la famille Pinault a aussi aidé à restaurer le musée de la Bourse de commerce de Paris sans faire jouer la déductibilité fiscale. Quant à Bernard Arnault,il a dû rappeler que son don de 200 millionsd’euros se faisait via la Fondation Louis Vuitton qui a déjà atteint son plafond de déductibilité via d’autres actions.

Mais la France n’est pas les Etats-Unis. La Belgique, non plus d’ailleurs. Les mêmes qui fustigent ces milliardaires sont les premiers à faire la quête auprès d’eux. Faut-il rappeler à tous ces critiques que Notre-Dame fut bâtie grâce à des initiatives privées ? Faut-il leur rappeler que nos nombreux musées nationaux regorgent d’oeuvres d’art payées en leur temps par des mécènes ? Dommage d’en arriver là, surtout quand on apprend que Notre-Dame n’était pas assurée et que selon toute probabilité, la charge retombera automatiquement sur le contribuable français. Alors pourquoi bouder ces dons (souvent plafonnés) sous prétexte que ce sont des milliardaires qui en sont à l’origine ? La réponse est hélas très simple : parce que sous couvert de justice sociale, c’est le feu de l’envie qui s’exprime.

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