Nimby or not nimby

Pierre-Henri Thomas

La crise actuelle nous a montré clairement qu’il nous fallait reconstruire des morceaux entiers de notre outil productif. Si nous voulons recouvrer notre souveraineté économique, maintenir notre modèle social et préserver notre niveau de vie,

il nous faut davantage d’industries. La bonne nouvelle, c’est qu’un large pan encore inexploré, l’économie verte, s’ouvre à nous, et que l’Europe a développé connaissances et techniques pour se lancer avec succès dans cette voie décarbonée.

La mauvaise nouvelle est la croissance du syndrome Nimby ( Not In My Back Yard). Vous pouvez construire cette usine, ces éoliennes, etc., mais surtout pas dans mon jardin. Les exemples abondent. Clarebout Potatoes, le géant flamand de la frite, veut installer depuis des mois une usine à Frameries, une région qui, avec un taux de chômage frôlant les 14%, reste disons assez éloignée du plein emploi. Mais les riverains se battent contre le projet.

Toujours dans le Hainaut, Elia, le gestionnaire du réseau électrique à haute tension, affronte de grandes difficultés pour concrétiser sa ” boucle “, un projet d’une ligne à haute tension de 80 km entre Avelgem et Courcelles (taux de chômage: 12,8%). Cet investissement d’un demi-milliard d’euros doit permettre de véhiculer l’électricité verte et soutenir l’attractivité économique du Hainaut. Mais les riverains en sont venus presqu’aux mains avec les représentants de l’entreprise.

Brugelette (chômage de 11,3%), entité qui n’était connue que pour sa défunte sucrerie, revit économiquement depuis une vingtaine d’années grâce à Pairi Daiza. Mais entre l’entreprise, les collectifs de riverains et les autorités communales, les débats concernant les projets d’extension du parc sont souvent houleux. Dans le nimbyisme, il y a une dose d’égoïsme: on se proclame contre les émissions de CO2, mais pas question d’avoir des éoliennes qui me bouchent le paysage. C’est aussi le signe que la fracture sociale passe par la géographie. Il est facile de condamner les nimbyistes lorsque l’on habite dans un coin placide et agréable et que l’on jouit, de sa terrasse, d’une vue parfaitement dégagée.

Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de nuisances. Mais de dire qu’il y a moyen de les circonscrire et de les limiter.

La solution à ces conflits n’est pas simple, mais elle existe et passe par une concertation locale intelligente (à Brugelette, Pairi Daiza et la commune sont finalement tombés d’accord sur la réhabilitation du site de l’ancienne sucrerie) et par une vue intelligente et dynamique de l’aménagement du territoire. Arrêtons de pousser les gens hors des villes et de promouvoir des lotissements campagnards qui prennent la place de terres agricoles ou empêchent l’extension de zonings industriels. Depuis trop longtemps, l’efficacité des plans d’urbanisme est diluée au gré de décisions attentistes ou contradictoires de pouvoirs publics tétanisés.

Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de nuisances. Mais de dire qu’il y a moyen de les circonscrire et de les limiter par des réglementations urbanistiques et industrielles intelligentes. C’est d’ailleurs l’appel lancé voici quelques semaines par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour un nouveau ” Bauhaus européen “, un programme de construction où le nécessaire n’est pas antagoniste du beau et du durable.

Nous n’avons pas le choix. Il nous faut déployer de nouvelles activités et de nouvelles infrastructures. Et nous devons être tous conscients de cette nécessité. Sinon, le syndrome Nimby se muera en syndrome Banana ( Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone, en français: Ne construisez absolument plus rien, à côté de personne). Ce qui est finalement la définition même du désert.

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